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wa Bling, le rap comme porte-voix

La rappeuse Awa Bling fait partie des jeunes artistes engagés de la « nouvelle Gambie ». © RFI/Claire BargelèÀ 26 ans, Ndey Awa Mbaye est l’une des rares femmes à avoir percé dans le milieu du rap gambien. Avec ses paroles mi-anglais mi-wolof qui parlent aux jeunes, et ses échanges avec le milieu associatif, la jeune artiste entend utiliser sa musique pour servir les causes qui lui sont chères.

Jean troué et larges lunettes de soleil sur le nez, Awa Bling arrive pile à l’heure au rendez-vous, un fait assez rare en Gambie pour être souligné. Son maquillage est déjà prêt pour son concert du soir. Dans sa voix posée et appliquée, on décèle l’envie de vouloir bien faire les choses.

« J’ai besoin que ma musique ait un message à faire passer. Qu’on puisse apprendre quelque chose », indique la rappeuse gambienne. Son tee-shirt, avec son inscription « Une Gambie unie, non au tribalisme ! », affiche d’ailleurs son engagement contre les luttes inter-ethniques. « Être rappeur offre l’opportunité de parler de sujets politiques, sociétaux, de choses qui ont un impact sur la vie des gens. Bien sûr, cela m’arrive aussi de faire des chansons d’amour. Mais c’est les chansons avec message qui comptent. »

Rapper malgré les réprobations

Le goût du rap l’a saisie à la fin du lycée. Influencée par Lauryn Hill, Awa tâtonne, se tourne d’abord vers le R’n’B, puis elle est prise sous l’aile d’un groupe local, Poetic X, grâce à qui elle apprend le flow et l’écriture. Ses premiers titres sont des critiques du rap actuel et une affirmation de sa légitimité à exister dans le milieu. Puis très vite, elle se sert de son activisme pour écrire ses propres textes : Break the silence pour parler des violences faites aux enfants et aux femmes, les chansons collectives Dafadoy et The Gambia we want créées avec d’autres artistes pour évoquer les problèmes de la Gambie post-Jammeh.

Si aujourd’hui elle est une artiste reconnue, Awa Bling reconnait que les débuts ont été difficiles : « On vit dans une société qui limite beaucoup les femmes et leur dicte ce qu’elles doivent faire. On me disait que je perdais mon temps, qu’il fallait que je me dépêche de me marier et d’avoir des enfants. » Elle saura nourrir cette passion pour la musique et la scène malgré les réprobations de sa famille : « Même mes parents n’aimaient pas ça. Je devais toujours mener de longues négociations pour pouvoir aller à des concerts. Mais maintenant ça a changé, ils savent de quoi je suis capable, ils voient mon travail, et ils sont contents. »

Depuis, elle s’est engagée auprès d’associations qui se battent contre les mariages forcés ou les excisions, et participe à des ateliers de parrainage de jeunes filles, pour les encourager à suivre leur voie. Sa nouvelle mixtape, Here I am, dévoilée le 23 novembre, reprend d’ailleurs ces thèmes. « C’est difficile pour beaucoup de personnes de parler en public de ces sujets, alors que moi, j’ai cette possibilité de porter leur voix. J’espère pouvoir motiver les jeunes filles avec mes chansons, et leur montrer qu’elles ne sont pas seules. »

© RFI/Claire Bargelès

Awa Bling à l’Alliance Française de Banjul, le 23 novembre 2018.

 

Pouvoir chanter sans peur

Autre influence importante pour la jeune artiste : le rappeur gambien Killa Ace, parti en exil sous Yahya Jammeh après avoir écrit une chanson critique à l’égard du régime. « Il a montré à tout le monde que l’on pouvait parler haut et fort, se montrer ferme et faire ce qu’il fallait faire », détaille-t-elle avec admiration. Une personnalité qui a ouvert la voie aux jeunes rappeurs qui émergent dans cette période de transition : « Désormais c’est plus facile. Nos voix peuvent dénoncer ce qui blesse, sans avoir peur le soir que quelqu’un vienne nous chercher chez nous et nous arrêter. » Killa Ace qui se montre aussi élogieux envers sa « petite sœur » qui suit ses pas : « C’est une passionnée. Et c’est super de voir une jeune femme s’emparer de ces sujets via le rap, ce n’est vraiment pas si commun si l’on regarde la scène gambienne. »

Celle qui a commencé le rap il y a seulement quelques années fait donc aujourd’hui partie du groupe de jeunes artistes engagés de cette « nouvelle Gambie ». Mais si son nom commence à être connu dans le pays, Awa sait qu’elle ne peut pas compter sur ses chansons pour gagner sa vie : « C’est très dur ici, de vivre de sa musique. On n’a pas une industrie musicale très établie. » Alors, sur son temps libre, elle cultive ses compétences de coiffeuse en confectionnant des perruques pour femmes, et continue en parallèle ses études en gestion des affaires. Qu’importe si elle ne devient jamais une grande star : « la musique, c’est un outil pour moi, et ma voix, un instrument puissant pour parler de choses importantes. »

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