ACTUALITÉSArt

Livre / Nicolas Normand publie : Le grand livre de l’Afrique

Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, vient de publier « LE GRAND LIVRE DE L’AFRIQUE », paru aux Editions Eyrolles (novembre 2018). Le livre écrit de main de connaisseur, et préfacé par Erik Orsenna, est un livre d’analyse des transformations et des devenirs de l’Afrique subsaharienne (CHAOS OU EMERGENCE AU SUD DU SAHARA ?). Ce livre, qui parait officiellement le 15 novembre, est disponible à la librairie BA du Grand hôtel à Bamako. Nous survolons ci-dessous, quelques passages des points du résumé des principaux messages et analyses.

La pauvreté en Afrique subsaharienne est-elle une fatalité ?
Il y a bien des éléments de fatalité : géographiques (manque d’espèces
domesticables, mouche tsé-tsé empêchant l’élevage et les animaux de trait, maladies parasitaires et autres non encore surmontées, et surtout enclavement avec 35% des populations vivant dans des pays enclavés) ; historiques, avec l’ impact très déstructurant de l’esclavage arabo-islamique et atlantique (dissémination des armes, raids internes disloquant les Etats…) et le traumatisme encore plus sensible aujourd’hui de la colonisation ayant créé différents types de contre-acculturation.

Il existe aussi deux catégories d’éléments ne résultant pas de la fatalité. Parmi les premiers : l’exploitation par les puissances étrangères et les théories tiers-mondistes désormais désuètes après les émergences asiatiques, mais devenues altermondialistes, le néocolonialisme flirtant avec les théories complotistes. La corruption est une cause qui est sujet à débat (de nombreux pays corrompus se sont développés avec succès) : il faut distinguer les différents types de corruption, toxiques ou non. Les causes culturelles, bien étudiées par plusieurs auteurs africains, peuvent être soutenues à condition d’éviter une série d’écueils : l’essentialisme et aussi leur surévaluation.

Les causes institutionnelles sont très importantes et mieux analysées depuis les
travaux de Karl Popper et surtout de l’économiste Douglas North et ses suiveurs (Acemoglu et Robinson). Enfin, les causes démographiques sont également importantes et distinguent aussi les pays restés pauvres des autres. De ce point de vue, la démographie d’une majorité des pays subsahariens, non encore entrée en transition, est défavorable au développement. Ceci est aggravé par l’inadaptation des systèmes éducatifs, parfois même en perdition (Sahel), bien que quelques pays africains (Kenya, Ghana…) aient surmonté ce défi.

La politique en Afrique n’est-elle qu’un business ou permet-elle de gérer l’intérêt collectif ?
L’Etat postcolonial importé fonctionne-t-il correctement ? Bertrand Badie soutient que la greffe est rejetée, sans d’ailleurs proposer d’alternative véritable. L’Etat-nation moderne est la synthèse d’une rationalité universelle et d’une expérience européenne spécifique, mais il ne faut pas oublier que ce modèle a de nombreux précédents non européens et africains.

Cela étant, la situation actuelle majoritaire est encore celle d’Etats hybrides intégrant normes modernes et éléments de sociologie africaine : Etats encore fragiles souvent néo patrimoniaux et à réseaux clientélistes (la politique du ventre ?), créant un entre-deux propice à des dysfonctionnements. L’Afrique serait-elle en voie de confirmer (pour cette seule région) la théorie de la fin de l’histoire de Fukuyama ? En effet, contrairement à une tendance récente constatée ailleurs, la démocratisation (et le libéralisme économique) ne cesse de progresser sur le continent, même si elle demeure en peau de léopard. Il ne s’agit pas d’une injonction externe mais d’un processus endogène de revendications et de contestation des régimes autoritaires. On peut aussi trouver des racines anciennes et locales de la démocratie.

Les liens entre démocratie, développement et bonne gouvernance ne sont pas aussi simples qu’on le prétend parfois, surtout avec la survenue des ? néo despotismes éclairés ? (Rwanda, Ethiopie) sur le modèle singapourien. Les injonctions de bonne gouvernance ont aussi perdu de leur crédibilité, comme l’a théorisé l’anglobangladeshi Mustak Khan : ce n’est pas un moyen de développement, mais un résultat de ce dernier. En revanche, la criminalité économique prospère et mine des régions entières (exploitations illégales des forêts, de la faune, des minerais, drogues, faux médicaments, piraterie, trafics humains, flux financiers illicites). Elle est un des symptômes de la fragilité des Etats pouvant aller jusqu’à la criminalisation de la politique et la politisation des crimes.

L’Afrique est-elle malade de ses divisions (ethnies, castes, frontières) ?
Le concept d’ethnie est écartelé entre deux visions opposées et extrêmes : pure élaboration coloniale (Coquery-Vidrovitch notamment) ou principe fondamental (Lugan). Il souffre d’une paternité historico-raciste, d’une définition mouvante et n’est pas une donnée figée. Balandier a montré le caractère dynamique et évolutif des sociétés africaines interagissant avec les facteurs externes.

Une analyse plus fine et rationnelle des rapports sociaux est donc nécessaire. Cela étant, l’Afrique est marquée par un fort multiculturalisme avec environ 2000 langues pour 48 Etats subsahariens, soit un tiers des langues de la planète pour moins d’un cinquième de la population mondiale et moins du quart des terres émergées. Dans chaque Etat, une culture nationale apparait nécessaire pour les citoyens partagés entre leur communauté (naturelle, traditionnelle, objective) et leur société (historique, liée à l’association de consentement ou à la division du travail).

Ce pluriculturalisme peut-il favoriser des conflits ? assiste-t-on à des identités discriminées ? le cas est rare sur la durée, hors Rwanda et Burundi (pourtant des Etats anciens aux frontières presque inchangées). Seuls l’Ethiopie (avec son fédéralisme ethnolinguistique) et le Burundi (avec des quotas hutu/tutsi) ont voulu prendre en compte le facteur ethnique dans leur Constitution, les autres Etats estimant qu’un multiculturalisme plus ou moins assumé correspond davantage à la modernité qui érode ces différences.

Les sécessionnismes (Biafra, Erythrée, Soudan du sud, Darfour, nord du Mali, Cameroun anglophone) recouvrent des entités pluriethniques tandis que des guerres cherchant à réunir une ethnie ne se sont pas produites (hors le conflit de l’Ogaden éthiopien attaqué sans succès par le dictateur somalien en 1977). Inversement, la Somalie, seul Etat mono ethnique s’est redivisée
selon ses frontières coloniales. En revanche, le cas fréquent est celui de
l’instrumentalisation des ethnies par des entrepreneurs identitaires, exploitant ce que Freud a qualifié de « narcissisme des petites différences ».

Quant au partage inégal du pouvoir ou de la rente au profit d’un clan, d’une clientèle (souvent pluriethnique) ou parfois d’une ethnie, il relève de la logique des institutions non inclusives ou extractives et de la mauvaise gouvernance. Le conflit du nord Mali est typiquement un cas où une analyse erronée a mis en avant une soi-disant oppression ethnique des Touaregs ou même leur désir supposé d’autonomie, sans tenir compte des réalités (absence d’entité touarègue, conflits internes de classes et de tribus touarègues).

En revanche, les castes ont un rôle politique important et souvent méconnu, y compris dans les conflits (Sahel). Les frontières sont-elles un faux problème ? Elles sont le plus souvent artificielles, mais pas tellement plus que celles d’autres régions du monde. Elles ne sont pas que le résultat de rapports de force, mais suivent assez souvent une logique géographique et parfois précoloniale.

Leur critique a été d’abord d’origine coloniale (idée de « regrouper les ethnies », comme l’Afrique du Sud de l’apartheid l’a aussi tenté), avant d’être portée par certains pourfendeurs de la colonisation au nom d’un panafricanisme utopique mais persistant, qu’Achille Mbembe a qualifié de « racialisation de la géographie ou de géographisation de la race ». Les frontières sont pourtant nécessaires pour délimiter les compétences et les responsabilités des Etats modernes. Leur effet négatif n’est pas d’ordre politique mais économique, ce qui rend nécessaire de défragmenter les échanges en levant de nombreux obstacles. Les frontières doivent devenir poreuses. A suivre dans notre prochaine édition, la suite de notre survol des points du résumé des principaux messages et analyses sur « Le Grand Livre de L’Afrique ». Nous aborderons les points :
Une révolution culturelle est-elle nécessaire en Afrique ?
Sortir de la guerre et du terrorisme : est-ce possible ?
L’appui international peut-il rendre l’Afrique plus sure ?
Quelle efficacité de l’aide publique au développement ?
Vers l’émergence ?
Une hétérogénéité croissante et des scénarios contrastés d’évolution

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Open

X