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Arts: les sculptures perlées de Beya Gille Gacha

Beya Gille Gacha, Parisienne de 28 ans, revisite une tradition bamilékée de la petite perle, à laquelle elle s’est initiée sur les terres de sa famille maternelle, au Cameroun. Ses sculptures du corps humain ont des peaux de perles bleues, et traitent de la violence dans une poésie à double tranchant.

De face, ce bébé au visage perlé indigo, en position de prière, paraît serein comme un bouddha. De profil et de dos, il devient plus qu’inquiétant. Son dos est criblé de gros clous rouillés. Y voir une critique de l’islam, à cause du voile blanc qui recouvre l’enfant, serait faire fausse route.

Le propos va bien plus loin : « Je voulais parler de certaines maltraitances qu’on peut subir petit, explique l’artiste Beya Gille Gacha. Dans la colonne vertébrale de l’enfant sage sont plantés des clous à la façon d’un fétiche, car les mots sont comme des sorts lorsqu’ils sont répétés. La pression mise sur l’enfant pour être parfait revient à créer des adultes brisés. Les clous représentent cet héritage difficile à changer. »

L’œuvre a été achetée par le Musée Smithsonian à Washington. La première pièce de cette série en cours, dénommée « Orant » montre un visage poupin emprisonné dans le béton – celui des cités, peut-être des banlieues. « Sans accès à ce qui pourra épanouir son imagination, l’enfant fait face à tout ce qu’il n’aura pas », commente Beya Gille Gacha.

Des peaux de perles bleues

Basée à Paris, cette artiste prometteuse expose depuis ses 19 ans à travers le monde, pour la première fois à Stockholm en 2009. Au sortir d’un lycée arts appliqués, elle se cherche et elle se trouve. « Après une interruption de mes voyages au Cameroun à l’adolescence, j’y suis retournée en 2009, à 18 ans. Mes retours réguliers à Bafoussam et Bangoulap m’ont permis de former mon imaginaire ». Elle découvre alors la tradition du mobilier perlé et l’atelier de perlage monté par sa tante. Après deux années d’histoire de l’art à l’École du Louvre, l’autodidacte laisse la théorie pour passer à la pratique.

Depuis, elle enchaîne les pièces perlées, qu’elle expose à Dakar, Douala, Paris, Canton, Rome. « Chez les Bamilékés, on perle le mobilier comme on le recouvrirait d’or ou d’ivoire. À mon sens, c’est une revendication matérialiste de richesse, de statut social. Je perle les êtres humains, car leur valeur doit dépasser celle de l’objet ». Chez elle, les épidermes sont bleus, pour plusieurs raisons. « C’est la couleur de la sagesse, mais aussi de la noblesse, du « sang bleu » en France comme des princes bamilékés. Je voulais aussi faire un clin d’œil à la faïence égyptienne de l’antiquité, et au rapport entre les couleurs. Toutes les peaux humaines ont des tonalités d’orange, dont la couleur complémentaire est le bleu. À mes yeux, le bleu est splendide dans toutes ses nuances – clair, indigo, azur -, comme peuvent l’être toutes les nuances de peau chez l’homme. »

Beauté et violences

Beya Gille Gacha ressemble un peu à ses œuvres : sa beauté ne va pas sans une certaine violence. Lorsqu’elle est alpaguée par des hommes dans les vernissages, elle leur tourne le dos ou les déstabilise avec des blagues. Elle prend de mieux en mieux le décalage entre l’image qu’elle donne, « celle d’une potiche qui doit faire des œuvres fleuries, plutôt qu’une femme avec des pensées qui découpent ».

Son travail traite du rapport à l’autre, qu’il soit intime ou historique. Ses bras et mains coupées sont des allégories des exactions commises au Congo belge, sous Léopold II. Ou en Sierra Leone pendant la guerre civile. « Couper la main, c’est empêcher quelqu’un d’évoluer », explique-t-elle. Sa seule pièce en perles noires – et non bleues – est une Vénus qu’elle a tirée d’une statue grecque, et dont elle a coloré en rouge les endroits où il manque les membres et la tête.

« Cette Vénus est limitée à son tronc, elle ne peut pas penser, faire quelque chose de ses mains, ni sortir du système, puisqu’elle n’a pas de jambes. » Elle y voit une Mami Wata, « puissante même amputée », et fait le lien entre plusieurs histoires de femmes puissantes, sorties de l’Afrique comme de la Grèce antique. « La Vénus parle de la chosification du corps de la femme, son hyper-sexualisation et l’idée de perfection. Comme beaucoup de femmes, j’ai été agressée parfois, insultée dans la rue, j’ai subi beaucoup de violence par rapport à mon corps. »

Happée par le marché de l’art africain

En plus d’être femme, le fait qu’elle soit métisse « joue totalement », dit-elle. « À Paris je suis la Noire et au Cameroun la Blanche, ça m’a fait rire. On est tous l’étranger de quelqu’un. Je n’ai pas besoin de me positionner comme on l’attend de moi. Je m’appuie sur mes deux cultures, et je suis surtout intéressée par l’être humain.  » Avec la perle de verre, devenu une part intégrante de la tradition au Cameroun, elle se réapproprie les corps du classicisme occidental. Et entre en contact avec « l’autre », ses modèles.

Elle aime malaxer la silicone pour faire des moulages de personnes qu’elle connaît depuis longtemps – sa cousine par exemple – ou des inconnus rencontrés par hasard, qui l’inspirent : « À chaque rencontre, je passe beaucoup de temps à discuter avec les modèles. Les corps deviennent l’incarnation de l’esprit. Comme je suis assez solitaire, ce sont des moments très forts, le moulage est une expérience intime et spirituelle partager avec l’autre ».

Après une résidence au Bénin en février, elle se prépare à la foire 1:54 à New York, au salon Révélations au Grand Palais en mai, puis à la Biennale internationale de la sculpture à Ouagadougou, en octobre. Elle n’a pas choisi entre le monde de l’art français ou africain. « C’est le marché africain, en plein essor, qui m’a choisie… Mon envie est simplement d’être artiste. Je ne me voyais pas forcément comme ayant une production ‘africaine’. Je représente une France aussi. »

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