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MODIBO MAO MAKALOU, ECONOMISTE « Il faut un effort pour maintenir la croissance économique »

Meguetan Infos

5,3 %. C’est le taux de croissance réel attendu en 2023 au Mali, contre 3,5 % en 2022. L’économiste Modibo Mao Makalou, dans cette interview, porte son analyse, au-delà de ces chiffres annoncés, la semaine dernière, par le ministre de l’Economie et des Finances, à l’ouverture des travaux du processus budgétaire 2023.
Mali-Tribune : Les données du ministère de l’Economie et des Finances annoncent un taux de croissance réel de 5,3 % en 2023, contre 3,5 % en 2022.Quel  regard portez-vous sur les taux de croissance économique au Mali ces derniers années ?

Modibo Mao Makalou : La dépendance vis-à-vis de quelques produits de base exportés pour stimuler la croissance ainsi que la vulnérabilité à la volatilité des prix des produits de base empêchent l’économie malienne de maintenir une croissance élevée et durable. La dépendance aux produits de base de même que la crise multidimensionnelle ont également affaibli les leviers macroéconomiques, suscitant des tensions et des compromis entre les politiques de renforcement de la croissance et les politiques de stabilisation.

Selon le ministère de l’Economie et des Finances du Mali, après une baisse du PIB de 2 % en 2020, l’économie malienne grâce au secteur agricole, surtout le coton a atteint une croissance du PIB réel de 4,6 % en 2021 et devrait atteindre 5,2 % en 2022.

Cette prévision de la croissance économique se fonde essentiellement sur les hypothèses suivantes : la reprise de la production cotonnière grâce à l’instauration d’un climat de confiance entre les producteurs de coton et le gouvernement, une bonne pluviométrie, la poursuite des programmes d’investissements publics et le dynamisme des branches : transports et télécommunications, textiles, électricité et eau.

Mali-Tribune : Sur quels critères de base fixe-t-on le taux de croissance économique d’un pays ?

M.M. M.: La croissance économique est généralement mesurée par l’utilisation d’indicateurs économiques dont le plus courant est le Produit intérieur brut (PIB) qui est un indicateur économique. Il permet de quantifier la valeur totale de la production nationale annuelle de biens et services effectuée par les ménages, les entreprises, les administrations publiques et le commerce extérieur (importations et exportations). Le PIB reflète donc l’activité économique interne d’un pays et la variation du PIB d’une période à l’autre est censée mesurer son taux de croissance économique. Au Mali, le secteur primaire (agropastoral) représente 40 % du PIB. Le secteur secondaire (industriel), quant à lui, constitue 20 % du PIB. Le secteur tertiaire (services, transports, TIC,…) constitue 40 % du PIB.

Mali-Tribune : Est-ce que présentement, les conditions sont réunies pour parler d’une croissance économique au Mali ?

M.M. M.: L’économie du Mali est très spécialisée et peu diversifiée. Elle est fortement dépendante de l’or, du coton et des animaux vivants qui constituent plus de 90 % des exportations et les chaînes de valeur sont faiblement développées avec moins de 1 % des exportations qui sont transformées. À la suite de sa faible diversification, l’économie est dépendante des prix des produits de base sur les marchés internationaux, ce qui augmente la vulnérabilité de l’économie malienne aux chocs exogènes. Aussi, l’accumulation d’arriérés de paiement au titre de la dette intérieure de même que les sanctions économiques, financières et commerciales de l’Uémoa et de la Cédéao constituent un risque de blocage de l’activité économique et du secteur privé.

L’économie malienne confirme cependant sa résilience malgré les multiples défis auxquels le pays fait face depuis 2012. La situation économique du Mali est certes précaire mais satisfaisante. Par suite de la pandémie de covid-19, le pays a connu une baisse du produit intérieur brut (PIB) de moins 2 % en 2020, alors que ces 25 dernières années, le Mali a eu un taux de croissance d’environ 5 % de PIB. L’année 2020 a donc été une année difficile parce que la Covid-19 a perturbé le commerce international et la culture du coton avait chuté de près de 75 %. Et il est évident que le Mali dépend beaucoup de l’extérieur. Notre économie repose sur le commerce international à hauteur de 60 % du PIB indiquant ainsi que l’activité activité économique sur le commerce avec les autres pays.

Mali-Tribune : Ces taux de croissance selon certains citoyens sont juste des chiffres sur papier. Beaucoup se demandent si réellement le Mali profite de ces taux de croissance.

M.M. M. : Malgré une forte croissance économique annuelle moyenne de 5 %, la proportion de population malienne vivant sous le seuil national de pauvreté reste au-dessus de 40 %, comptabilisant plus de 8 millions de pauvres en 2020. L’absence de progrès en matière de pauvreté monétaire s’accompagne d’une amélioration mitigée des indicateurs non-monétaires. La plupart des indicateurs d’éducation et de santé ont soit stagné soit reculé en dessous des niveaux d’avant la crise. Le Mali était classé en 2019, 182e sur 188 pays pour l’indice de développement humain (IDH). Alors que l’urbanisation augmente rapidement, l’offre d’infrastructures de base et des services sociaux de base augmentent faiblement freinant ainsi tout processus de transformation économique. Réduire de moitié le taux de pauvreté pour atteindre 20 % d’ici 2030 reste un objectif ambitieux qui nécessite un effort concerté afin de maintenir la croissance économique à un minimum de 7 % par an.

La population malienne est majoritairement jeune. 67 % de la population à moins de 25 ans et croît à un rythme soutenu de 3,1 % par an. Le nombre d’emplois créés chaque année est loin de combler la demande d’emploi qui se chiffre à 300 000. L’inadaptation de la formation aux emplois demandés de même que le faible niveau de qualification de la force de travail aggrave le chômage.

Selon le FMI, le Mali fait face à des déficits critiques en infrastructures : seulement 3 % du réseau routier classé est bitumé et en bon état, le déficit de production électrique est de 140 MW et 53 % de la population n’a pas accès à l’électricité. Par ailleurs, seulement 41 % des enfants sont scolarisés dans l’enseignement secondaire et 75 % dans le primaire, et 75 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires.

Mali-Tribune : Que faut-il faire pour que les populations tirent profit de ces croissances économique ?

M.M. M. : Il va falloir que nous transformions notre secteur primaire pour avoir une agro-industrie parce que 60 % de la population vivent en zones rurales. Si nous arrivons à leur procurer des revenus et des emplois décents, cela va contribuer à booster l’économie et améliorer les conditions de vie de la majorité des populations.

Les dirigeants doivent adopter des mesures capables d’assurer une prospérité partagée, y compris par une redistribution de la richesse. Il importe, de veiller à ce que les fruits de la croissance soient équitablement partagés pour remédier urgemment aux inégalités. Autrement, l’on risque d’aggraver l’instabilité politique et sociale, de compromettre l’investissement dans le capital humain et physique et d’affaiblir l’appui aux réformes structurelles et, partant, de bloquer la croissance soutenue dont le Mali a besoin pour parvenir à une amélioration des conditions de vie des populations. Cela, afin de réduire de moitié le taux de pauvreté pour atteindre 20 % d’ici 2030. Un effort concerté est alors nécessaire pour maintenir la croissance économique à un minimum de 7 % par an.

Les périodes de crise sont des moments délicats dans la vie des nations qui peuvent être transformées en opportunités à travers l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des réformes conjoncturelles et structurelles pour améliorer le bien-être et les conditions de vie des populations.

Recueillis par

Kadiatou Mouyi Doumbia

Source: Mali Tribune

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