ACTUALITÉScrise malienne

Dans le nord-est du Mali, le grand sentiment d’abandon des habitants de Ménaka

Située dans la zone des trois frontières en proie aux attaques de l’Etat islamique au grand Sahara, la ville ne parvient pas à assurer à la population les services de base.

Assise sur un mur fissuré couleur ocre, une bande d’adolescents regarde, impassible, un chariot tiré par un âne à bout de forces. Derrière eux, une étendue d’habitations en paille parfaitement rangées en damier ne laisse aucun doute : le campement est là depuis longtemps. « Près de 240 ménages venus du Niger vivent ici depuis deux ans », souffle Zakariou Touré, directeur par intérim de la direction régionale du développement social.

Nous sommes à Ménaka, ville du nord-est du Mali, près de la frontière nigérienne. Une zone dite des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso) où se concentrent désormais une bonne partie des attaques djihadistes au Sahel. Visage juvénile, son khimar (voile) couvrant ses épaules, Awa, 18 ans, conduit le visiteur dans l’un de ces abris de fortune qu’elle ne connaît que trop.

D’abord réservée, sa langue se délie au fil de la conversation et du récit des événements du 9 janvier qui l’ont conduite ici. Alors en visite dans son village nigérien de Chinégodar pour un mariage, elle entend des coups de feu, jette le seau qu’elle tient et file se cacher, mime-t-elle, les mains au-dessus de sa tête. Une fois les tirs terminés, la jeune fille sort de sa cachette pour tomber face aux cadavres.
Ce jour-là, 89 soldats de l’armée nigérienne ont perdu la vie dans une attaque revendiquée par l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS), à 10 kilomètres de la frontière malienne. Awa raconte avoir pris la route pour rejoindre le Mali cinq jours plus tard, accompagnée par 4 400 de ses compatriotes fuyant les zones désertées par l’armée vers Ménaka ou les localités frontalières du Niger comme Andéramboukane, à 90 kilomètres plus au sud.

« Personne ne s’occupe de notre sécurité »
Une arrivée parfois difficile à assumer pour une population locale déjà très fragilisée. « Il n’y a pas de différence entre les Ménakois et les réfugiés », lâche une femme de 46 ans, s’insurgeant, non pas contre leur présence, mais contre les conditions de vie dans la ville. « Depuis 2012, nous sommes tous des réfugiés. L’Etat est absent, personne ne s’occupe de notre sécurité et les quelques services qui existent viennent des ONG internationales et locales », explique-t-elle.

Un campement de réfugiés nigériens à Ménaka, en février 2020.
Un campement de réfugiés nigériens à Ménaka, en février 2020. PAUL LORGERIE
Coincée dans cette zone des trois frontières, là où Emmanuel Macron a annoncé l’envoi de 600 troupes supplémentaires pour renforcer l’opération « Barkhane », la ville de 30 000 habitants, perdue dans le désert, est un concentré des maux maliens. Aujourd’hui au cœur de la guerre contre le djihadisme au Sahel, Ménaka a été aux premières loges du conflit malien en 2012. Dès janvier de cette même année, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe auparavant rebelle et indépendantiste, avait pris la ville aux forces armées maliennes (FAMa), avant de s’en faire chasser par les islamistes du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) le mois de novembre suivant.

Par la suite, la ville a fait l’objet de nombreuses luttes d’influences entre différentes factions de groupes armés. La situation a fini par se stabiliser en 2015 lorsque le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), un groupe armé progouvernemental, a repris le contrôle de la ville à la veille des accords de paix signés en mai de la même année. Mais en raison de l’isolement géographique de la ville et de la présence menaçante de l’EIGS dans la région, l’Etat peine à s’y réinstaller.
Assassinats ciblés, braquages, violences sexuelles
Ménaka semble figée dans une autre époque. Les chameaux regardent passer sans broncher les motos qui filent sur les pistes. Les ruelles ensablées sont bordées d’échoppes en tôles grises où les clients se font rares. Sur les étals, le pain de mil côtoie les oignons et patates douces vite recouvertes d’une épaisse poussière au passage d’un vieux camion venu d’Algérie pour réapprovisionner le marché. La route depuis Niamey, la capitale nigérienne auparavant fournisseuse de denrées, est devenue trop dangereuse pour être empruntée.

A l’intérieur du seul centre de santé de référence de la région, où les soins sont gratuits, femmes et hommes patientent sur des nattes. « L’insécurité pour nous, c’est que nous ne pouvons pas nous soigner », lance une femme en montrant des résultats d’analyse. D’autres malades, ordonnances à la main, se plaignent du manque de médicaments. « La gratuité des médicaments ne marche pas car il n’y a pas de médicaments ! Du coup, les gens doivent aller à la pharmacie. Mais dans une zone si pauvre, il est presque impossible pour les gens d’acheter des médicaments », constate Ute Kollies, la chef de bureau des affaires humanitaires des Nations unies au Mali.
Alors que le Mali est classé 182e sur 189 pour son indice de développement humain, la région de Ménaka est « l’une des régions les plus pauvres de l’un des pays les plus pauvres », rappelle la responsable onusienne. Mais également l’une où règne l’insécurité avec son lot d’assassinats ciblés, de braquages et de violences sexuelles. Une situation qui a poussé six ONG internationales à suspendre leurs activités le 26 décembre 2019 pour une durée de deux mois.

Une accalmie depuis l’accord de paix
Pour retrouver la confiance en l’autorité de l’Etat, « il est nécessaire que les services sociaux de base soient assurés », insiste Abdou Salam Ag Mohamed Ahmed, président de l’autorité intérimaire, un organe représentatif de transition mis en place dans l’attente de l’application effective de l’accord de paix. Notamment dans le secteur de la justice. Car si le juge s’est rendu à Ménaka fin novembre avec l’appui de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), il demeure dans la ville de Gao le plus clair de son temps, considérant qu’à Ménaka les conditions sécuritaires pour son accueil ne sont pas remplies.

Pour l’instant, les Ménakois s’en remettent à la Plateforme – dont le Gatia fait partie – et à la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), deux groupes armés rivaux mais signataires des accords de paix de 2015. Les patrouilles de pick-up chargés d’hommes en arme ont damé le pion à celles des policiers aujourd’hui cantonnés dans leur commissariat en périphérie de la ville.

Et malgré les divergences entre les deux groupes, un protocole a été signé le 5 février pour « participer efficacement à la sécurisation de la ville de Ménaka et des autres contrées de sa région à travers un mécanisme consensuel » sous le leadership de l’Etat. Le 7 mars, le premier ministre Boubou Cissé s’est rendu dans la ville, dernière étape d’une tournée hautement symbolique dans le nord afin d’y rappeler la souveraineté de l’Etat malien.
Les personnes interrogées sont unanimes. Elles observent une accalmie depuis la signature de l’accord. « Le travail de la police est facilité par l’action convergente des deux groupes. Nous envisageons de reprendre les patrouilles conjointes dans un bref délai », promet Daouda Maïga, gouverneur de la région depuis 2016. Une collaboration qui devrait être facilitée par l’arrivée, jeudi 12 mars, de 120 éléments de l’armée reconstituée, composée de membres de la Plateforme, de la CMA et de l’armée régulière, conformément aux accords de 2015. Signe de l’ampleur des défis à relever : en route pour Ménaka, deux soldats de ce bataillon ont perdu la vie et trois ont été blessés dans l’explosion d’un engin explosif improvisé.

Des troupes concentrées dans la ville
Car si la localité a retrouvé un peu de calme, la menace djihadiste persiste. A quelques kilomètres du centre-ville, la carcasse carbonisée d’un blindé gît sous un arbre sans feuille. Vestige d’anciens combats, il marque la limite d’une zone où s’aventurer devient risqué. « L’EIGS évolue entre Ménaka et la ville d’Ansongo, à 100 kilomètres à l’ouest », indique une source au sein d’un groupe armé. En novembre 2019, une attaque contre le poste avancé d’Indelimane, à mi-chemin entre les deux municipalités, avait fait au moins 49 morts dans les rangs des forces armées maliennes. Les bases de la région ont depuis été désertées et les troupes se concentrent à l’intérieur de Ménaka.

Au cours des six derniers mois, le camp de la Minusma, voisin de celui des soldats de l’opération française « Barkhane » construit en 2018, a été la cible de tirs de roquettes « une fois par semaine », constate un personnel onusien. Lundi 17 février, cinq obus ont été tirés sur la ville par l’EIGS, sans faire de victimes. « L’économie en est paralysée. Ménaka, qui vit du commerce, est sous embargo », tempête Almouftoul Ag Rahimoun, vice-président de l’autorité intérimaire.
« Et beaucoup d’obus tombent derrière le lycée qui se trouve proche de la base des FAMa », note un professeur, « ce qui effraie les élèves » et perturbe les cours, laissant nombre d’enfants dans les rues en journée. Dans la région, 84 des 205 écoles ont fermé leurs portes, en raison de l’insécurité comme des grèves persistantes à travers le pays. « Les bandits sont en brousse, dehors, et petit à petit, ils attirent la jeunesse en leur promettant de l’argent. Nous avons besoin de travail ! », prévient un habitant d’une trentaine d’années, excédé par la situation actuelle.

Paul Lorgerie(Ménaka, Mali, envoyé spécial

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Open

X