Quelle différence entre l’agression sexuelle et le viol?
Une étude Ifop a établi que neuf femmes sur dix, victimes d’agressions sexuelles/viols commis par des hommes, ne portent pas plainte.
Avec le hashtag #balancetonporc, depuis quelques semaines, dans le monde entier les femmes s’expriment pour raconter et dénoncer sur les réseaux sociaux, les harcèlements sexuels, agressions sexuelles et/ou viols qu’elles ont subis de la part d’hommes. Chaque femme semble avoir une histoire à raconter…Jamais la parole des victimes ne s’est autant libérée.
Dans les deux cas, il y a une atteinte sexuelle et un défaut de consentement. Ceci étant, il existe une différence de gravité. Le viol est un crime, tandis que l’agression sexuelle est un délit. La qualification de viol sera retenue s’il y a eu pénétration sexuelle, de quelconque nature. Par exemple, légalement, une fellation forcée est un viol.
A la suite de l’article que j’ai écrit sur les affaires Tariq Ramadan , que vous pouvez relire ici, j’ai reçu un flot de témoignages de la part de jeunes femmes maliennes relatant des agressions sexuelles ou viols qu’elles ont subis. Avec leur consentement, j’ai décidé de partager certains des témoignages, et de vous livrer mon analyse et mes recommandations qui en découlent; recommandations que je formule à l’endroit des parents.
Les prénoms des victimes ont été changés. Et leurs âges actuels ont été sensiblement modifiés.
Témoignages des Maliennes: Pédophilie, agressions sexuelles, viols
‘’J’avais 9 ans quand mon oncle m’a violée. Mes parents allaient au travail et il était chargé de me garder au retour de l’école avant que mes parents n’arrivent vu qu’il était au chômage. C’était un jeune diplômé. Un après-midi, pendant que nous étions seuls à la maison. Il est venu vers moi, a introduit son pénis dans ma bouche de longues minutes. Puis, il a enlevé ma culotte, a essayé d’introduire son pénis en moi. J’ai crié. J’avais mal. Puis il a arrêté, et a simulé un rapport sexuel avec moi en faisant des mouvements de va-et-vient avec son pénis contre mon sexe. Puis, il a pissé dans mon vagin.
Il m’a dit que c’était un jeu, notre secret et qu’il ne fallait rien dire à papa et à maman. Et je ne leur ai jamais rien dit. C’était le petit frère de sang de mon père…Mon père a financé ses études, subvenait à tous ses besoins avant qu’il ne trouve un travail. Et lui, tout ce qu’il a trouvé comme moyen de le remercier, c’était de violer sa fille. Il s’appelle Moussa Keita, il vit paisiblement à Bamako au quartier de Niamakoro‘’
Kadija, 26 ans, responsable marketing
‘’Quand j’avais 8 ans, un ami de mon père est venu à la maison avec des fruits et des pâtisseries, pleins la main. C’était un homme très souriant, calme, petit de taille, qui ne venait jamais chez nous les bras vides. Ce jour-là, mon père était absent. J’étais avec ma mère. Il aura fallu que ma mère s’absente 15 minutes, le temps d’aller à la boutique, pour que cet homme me prenne, me mette sur ces genoux et mette sa langue dans ma bouche. Puis il a rapidement sorti son pénis de son pantalon, a commencé à le frotter contre mon sexe. Et en entendant le bruit de la porte, il a rapidement remonté ma culotte et a rangé son arme du crime. Ma mère venait de revenir.
Je n’ai rien dit. Je ne savais même pas que ce qu’il venait de faire, était mal.’’
Lalla, 20 ans, étudiante en commerce international
‘’ J’étais en classe de CE1, j’avais des difficultés en maths. Et mon père a donc fait appel à un professeur particulier qui me donnait des cours à domicile. Il venait à la maison, et puis il a commencé à demander à ce que j’aille chez lui prendre les cours avec deux autres élèves (garçons) qu’il encadrait. Mes parents me laissaient aller chez lui prendre des cours. Moi, il me mettait dans une pièce différente des deux garçons. Un jour, il est venu vers moi et m’a embrassée soudainement et violemment. J’ai essayé de le repousser mais il faisait 4 fois ma taille. J’ai dit à mes parents que je ne voulais plus aller chez le professeur, sans leur raconter ce qui s’est passé. J’avais honte de leur raconter. Je ne sais pas comment ils ont accepté que je n’y aille plus, mais j’ai plus remis les pieds chez ce porc.’’
Binta, 23 ans, étudiante en géologie
‘’ J’avais 10 ans quand cet homme marié et ami de la famille m’a violée, je dormais dans le salon, quand soudain je sentis quelque chose entrer dans mes fesses. J’avais mal. Je me suis retournée, et j’ai vu ce gros porc. Son frère jumeau aussi, a voulu violer ma soeur un jour, mais heureusement il a été surpris par ma mère avant qu’il ne puisse aller plus loin. ‘’
Mariam, 20 ans, étudiante en médecine
Mon père a dit que j’ai menti. J’ai tellement pleuré du fait que mon père ne m’ait pas cru.
‘’ J’avais 19 ans. Mon père m’a envoyée faire mes études à Montréal, chez son frère, mon oncle qui est marié et qui a trois enfants de bas âge. Un jour, je siestais dans ma chambre quand je sentis des caresses sur mes cuisses et mes fesses. Je me suis réveillée en sursaut. Et j’ai vu mon oncle en face de moi, insistant pour m’embrasser. J’ai couru pour aller m’enfermer dans la salle de bain. Sa femme était au travail. Je suis restée dans la salle de bain jusqu’à ce que sa femme arrive. J’étais tellement choquée. Cet homme parlait tellement de Dieu, il ne ratait jamais l’heure de la prière. Après cet épisode, j’ai tout fait pour quitter leur domicile. Quand je l’ai raconté à mes parents, ma mère m’a soutenue et m’a crue. Et mon père a dit que j’ai menti. J’ai tellement pleuré du fait que mon père ne m’ait pas cru.
Binta, 21 ans, étudiante en économie
‘’ J’avais 15 ans. J’ai quitté Bamako pour aller séjourné quelque temps à Ségou, chez mes grands-parents maternels. Et là-bàs, vu qu’il n’y a pas suffisamment de chambres pour tout le monde, je dormais dans la même pièce que ma cousine de 9 ans, ma grand-mère et mon jeune oncle de 19 ans. Une nuit pendant que je dormais, mon tonton de 19 m’a agressé sexuellement et a tenté de me violer. J’étais tellement stupéfaite que je ne comprenais pas. Il m’a dit qu’il avait envie de moi et a touché mes parties intimes. Je l’ai repoussé, et il a essayé de soulever mon pagne. Je lui ai dit que s’il n’arrêtait pas, j’allais crier. Il a pris peur et il est parti. Le lendemain, je suis revenue à Bamako. Quand j’ai raconté les faits, c’était sa parole contre la mienne. Mon oncle a nié l’histoire en bloc. Il a juré sur le coran et sur sa vie qu’il n’a rien fait. Et c’est lui qu’on a cru…’’
Fatoumata, 25 ans, étudiante en médecine
‘’J’avais 17 ans quand mon oncle m’a violée. Le jeune cousin de mon père, qui fut major de sa promotion dans une université privée de renom à Bamako, est venu poursuivre ses études de Master chez nous, à Paris. Il était beau, gentil, et de nature calme. Tout le monde l’appréciait et disait que c’était un jeune homme bien élevé. Il jouait au basket et était très sportif. Un jour, pendant que nous étions seuls à la maison, il m’a envoyé un SMS sur whatsapp me demandant de venir dans sa chambre. Il était quasiment nu, il ne portait qu’une culotte. Il m’a dit de ne pas avoir honte, que j’étais une grande fille. Il a commencé à m’embrasser, puis m’a retirée de force mes vêtements et s’est jeté sur moi, m’a violée. Je pleurais, je lui disais d’arrêter. Mais il persistait. Puis, il s’est excusé, m’a dit qu’il a commis une erreur, qu’il regrettait ce qu’il m’avait fait, et que ça devait rester entre nous. Plusieurs fois, j’ai eu envie de raconter mon viol à mes parents, mais la honte m’a, à chaque fois stoppé. Raconter cette histoire est une douleur. J’en ai les larmes aux yeux. Je pensais que le fait de porter le foulard et des vêtements amples me protégeait. J’étais voilée et je me suis quand même faite violée.
Hawa, 21 ans, étudiante en droit:
Ce qu’il faut retenir de ces témoignages
La parole des victimes est souvent décrédibilisée, il arrive que des parents soient dans le déni et accuse l’enfant d’avoir menti: une réaction grave et irresponsable qui fait que la fille se retrouve livrée à elle-même et doublement victime: Victime de l’agression sexuelle/du viol et victime de l’incrédulité de l’un des parents.
Les violences sexuelles au Mali sur des jeunes filles mineures ou majeures sont clairement loin d’être anecdotiques. Et le plus souvent, elles sont commises par des proches, des hommes de la famille.
Les parents ont une grande part de responsabilité dans la prévention des violences sexuelles commises par des hommes sur les filles/femmes. En effet, plus que jamais les parents doivent sans honte, sans tabou aborder la question de la sexualité avec leur enfant dans un langage pudique, adapté. Les parents doivent montrer aux filles qu’elles peuvent parler, se confier à eux, sans honte et sans peur. Et pour cela, il est impératif qu’il existe une réelle proximité et complicité parent/enfant.
Bien sûr, et c’est certain, il y a des hommes qui n’oseraient jamais agresser sexuellement une fille mineure ou majeure soit-elle, parce que c’est lâche, criminel et laid. Mais nous n’avons aucun moyen de sonder les cœurs, de savoir avec certitude que tel frère, tel cousin, tel ami, tel proche ne fera jamais rien à notre fille à notre absence. Il est impossible de détecter les agresseurs sexuels/violeurs. Ils ont des profils divers. Ils peuvent être des hommes très beaux, charismatiques, souriants, financièrement stables, intelligents, cultivés, gentils, serviables, religieux, instruits, mariés. Les témoignages que vous avez lus, plus-haut attestent éloquemment de cette vérité brutale.
Il n’ y a pas de profil-type du violeur/agresseur sexuel. C’est pourquoi quand vous êtes parent d’une petite fille, la vigilance doit être de mise, avec tout le monde.
Comment parler de ces choses à une enfant ?
Les parents doivent communiquer avec leurs filles, et le plus tôt possible, sachant que les agressions sexuelles sur les filles commencent à partir de 6 ans. Plus les enfants grandissent, plus ils sont en contact avec des personnes autres que leurs parents, ce qui les rend plus vulnérables. Il n’est donc pas surprenant de constater qu’il y a énormément de victimes d’abus sexuels chez les filles de 6 à 12 ans. Même si parler d’abus sexuel à une fillette n’est pas du tout une chose facile, il est important de discuter de ce sujet dans un langage métaphorique. Cela pourrait la protéger puisqu’elle n’a pas encore la maturité pour comprendre que certains adultes autour d’elle pourraient profiter d’elle. De plus, un petite fille qui a été informée sur les risques d’abus sexuels se confiera plus facilement si jamais elle en est victime. L’objectif est d’outiller votre fille à refuser et signaler tout geste à connotation sexuelle, de la part d’un adulte.
Halimatou Soucko
Aube d’Afrique