L’Afrique face à la pauvreté structurelle : entre dépendance institutionnelle, piège monétaire et sous-industrialisation
Meguetan Infos

1. Pourquoi l’Afrique reste pauvre malgré ses richesses naturelles
L’Afrique est paradoxalement le continent le plus riche en ressources naturelles et le plus pauvre en revenu par habitant. Ce paradoxe s’explique notamment par sa place marginale dans les chaînes de valeur mondiales, dominées par les multinationales étrangères.
a) Une économie extravertie dominée par les matières premières
•En 2022, plus de 75 % des exportations africaines provenaient de produits non transformés (pétrole, minerais, cacao, coton…).
•Par exemple, le Ghana transforme moins de 10 % de son cacao, la Côte d’Ivoire moins de 15 %. Le Mali transforme à peine 2 % de son coton.
•Le continent est donc privé des gains liés à la transformation : emplois qualifiés, innovation, fiscalité, pouvoir de négociation sur les prix.
b) Des chaînes de valeur globales captées par les multinationales
•Selon la CNUCED, 60 à 80 % de la valeur ajoutée d’un produit manufacturé revient aux multinationales (design, distribution, marketing).
•Exemple : un t-shirt en coton africain est payé 2 $ au producteur, vendu 30 $ en Europe. Le pays producteur capte moins de 10 % de la valeur finale.
c) L’absence d’industrialisation maintient la dépendance
•L’industrie manufacturière représente moins de 10 % du PIB en Afrique subsaharienne, contre 25-30 % en Asie de l’Est.
•Cela freine la création d’emplois décents, la collecte fiscale et la montée en compétence des populations.
•Résultat : des économies vulnérables aux chocs extérieurs et aux cycles des matières premières.
2. Le rôle des institutions de Bretton Woods dans le blocage du développement africain
a) Les programmes d’ajustement structurel (PAS) et leurs effets destructeurs
À partir des années 1980, le FMI et la Banque mondiale ont imposé des réformes drastiques aux pays africains en échange de leur aide :
•Libéralisation des importations, fin des barrières douanières
•Privatisation des entreprises publiques
•Réduction des subventions et du rôle de l’État
Conséquences :
•Disparition d’industries locales incapables de résister à la concurrence étrangère
•Réduction des investissements dans les services publics essentiels
•Aggravation du chômage et de la précarité
b) L’aide publique au développement (APD) : un outil de dépendance
•Une grande partie de l’APD est liée, c’est-à-dire que les fonds doivent revenir aux entreprises du pays donateur.
•Peu de projets d’aide soutiennent l’industrialisation ou l’autonomie technologique des pays bénéficiaires.
•Moins de 10 % de l’APD africaine est dirigée vers les secteurs productifs.
c) La dette comme moyen de contrôle
•Les États africains consacrent 15 à 25 % de leurs recettes fiscales au remboursement de la dette.
•Les prêts du FMI sont souvent conditionnés à des réformes « pro-marché » qui affaiblissent davantage la capacité de l’État à orienter son développement.
3. Le franc CFA : un carcan monétaire hérité de la colonisation
Le franc CFA est utilisé par 14 pays africains regroupés dans deux unions monétaires (UEMOA et CEMAC), représentant plus de 180 millions de personnes.
a) Une monnaie sous tutelle
•Le franc CFA est arrimé à l’euro à un taux fixe, ce qui limite la capacité des pays utilisateurs à ajuster leur monnaie selon leurs besoins économiques.
•Une partie des réserves de change (50 %, anciennement 100 %) doit être déposée auprès du Trésor français, ce qui réduit la souveraineté monétaire.
•Les décisions de politique monétaire sont fortement influencées par la France, bien que ce soit une monnaie censée être africaine.
b) Un frein à la compétitivité et à l’investissement productif
•Le taux de change fixe rend les exportations africaines peu compétitives sur le marché mondial.
•L’accès au crédit reste limité, avec des taux d’intérêt très élevés (souvent supérieurs à 7-8 %) pour les PME locales.
•La politique monétaire est conçue pour lutter contre l’inflation plutôt que pour stimuler la production locale ou l’emploi.
c) Des performances économiques en retard
•Entre 2000 et 2020, les pays du franc CFA ont enregistré une croissance moyenne annuelle de 3 à 4 %, inférieure à celle des pays africains hors CFA comme :
•Éthiopie (+8 %), Rwanda (+7 %), Ghana (+6,5 %) ou Kenya (+5,5 %).
•Ces pays ont une monnaie indépendante, qu’ils peuvent ajuster pour soutenir leur compétitivité ou leurs exportations.
Conclusion : une urgence stratégique pour l’Afrique
La pauvreté de l’Afrique n’est pas due à l’absence de ressources, mais à un système économique international structuré pour empêcher l’industrialisation autonome du continent. Ce système est maintenu :
•Par les politiques économiques imposées par le FMI et la Banque mondiale
•Par une aide au développement qui finance la consommation et non la production
•Par un système monétaire (le franc CFA) qui prive les pays de leur souveraineté
Pour se libérer de cette dépendance, l’Afrique doit :
1.Rompre avec les logiques d’ajustement imposées et exiger des politiques de co-développement équitables.
2.Repenser l’aide au développement comme levier d’industrialisation et de transformation des matières premières.
3.Se doter d’un outil monétaire souverain pour financer son développement et maîtriser son avenir économique.
H. Niang
Ancien Ministre
Source : Malijet