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Premier sommet régional en faveur des femmes entrepreneurs (We-Fi)/ Kristalina Georgieva, DG Banque Mondiale : « Nous sommes convaincus que miser sur les femmes est essentiel pour générer de la croissance et lutter contre la pauvreté »

La Côte d’Ivoire accueille ce 17 avril, le premier sommet régional de l’initiative de financement en faveur des femmes entrepreneurs (We-Fi) en Afrique de l’Ouest. En prélude à cet événement Kristalina Georgieva, Directrice du Groupe de la Banque Mondiale – co-organisatrice – dans une interview (via Internet) à Abidjan.net en présente les enjeux.

La Côte d’ivoire accueille le 1er Sommet régional de l’initiative de financement en faveur des femmes entrepreneurs le 17 avril prochain. Quelles sont les raisons qui motivent la participation de la Banque mondiale ?

À la Banque mondiale, nous sommes convaincus que miser sur les femmes est essentiel pour générer de la croissance et lutter contre la pauvreté dans les pays et le continent africain dans son ensemble. En Afrique, plus que dans d’autres régions du monde, plus de femmes que d’hommes choisissent la voie de l’entrepreneuriat. Mais si la proportion de femmes entrepreneures est impressionnante, nous devons en revanche lever les obstacles qui les freinent dans leur élan. Si l’on aide les femmes entrepreneures et si l’on donne aux femmes et aux filles plus d’opportunités, tout le monde en bénéficiera.

Afin de promouvoir l’entrepreneuriat des femmes en Afrique de l’Ouest et mobiliser le soutien des gouvernements et décideurs, l’initiative We-Fi organise le premier Sommet régional de l’Initiative de financement en faveur des femmes entrepreneures ce mercredi 17 avril à Abidjan en partenariat avec la Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement et le Groupe de la Banque mondiale. Cet évènement, sous le patronage du gouvernement ivoirien, réunira d’importants partenaires des pays CEDEAO ainsi que les Etats-Unis. Ce Sommet constituera une plateforme pour les femmes entrepreneures qui y feront entendre leur voix.

Quelles sont vos attentes de cet événement régional?

Mes collègues et moi souhaitons que cet évènement entraîne une collaboration accrue entre les partenaires et résulte en des actions concrètes visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place des programmes et réformes qui s’attaquent spécifiquement aux défis auxquels les femmes entrepreneures doivent faire face. Les discussions que nous allons avoir, lors de ce Sommet, nous permettront de mieux comprendre ce qu’il faut faire pour donner aux femmes entrepreneures les moyens de réussir, l’objectif étant qu’elles contribuent pleinement à la croissance et la prospérité de leur pays.

La question que je souhaite poser aujourd’hui est la suivante : Comment pouvons-nous tous, chacun à notre niveau, propulser les femmes entrepreneures sur le devant de la scène ? Car chacun de nous a un rôle à jouer afin de lever les obstacles qui pénalisent les femmes : aussi bien les individus que les familles, les communautés, les gouvernements, la société civile, et bien entendu le secteur privé.

Quel est le niveau d’engagement de la Banque mondiale en faveur de l’entrepreneuriat et plus spécifiquement l’entrepreneuriat féminin en Côte d’Ivoire ?

Le climat des affaires s’est amélioré pour les entrepreneurs ivoiriens. La Côte d’Ivoire figurait ainsi au rang des pays ayant adoptés le plus grand nombre de réformes en la matière dans le classement Doing Business 2019 de la Banque mondiale. Mais si certaines réformes vont faciliter la tâche des femmes entrepreneurs, comme par exemple le fait de pouvoir faire des affaires sans obtenir l’autorisation préalable de leurs maris, les Ivoriennes sont encore confrontées à des défis importants. D’où la nécessité de mettre en place des mesures concrètes afin de combler le fossé hommes-femmes.

Par exemple, la connectivité reste un défi important pour les femmes ivoiriennes. Les femmes ont 9% moins de chances que les hommes de posséder un téléphone portable et 48% moins de chances d’utiliser l’internet en raison du coût d’accès et des niveaux d’alphabétisation.

Le Groupe de la Banque mondiale s’engage à aider les femmes entrepreneures à promouvoir leur entreprise de manière durable. Les projets financés par notre institution cherchent à améliorer l’environnement des affaires et nous ciblons également certains secteurs comme l’agriculture. Nous soutenons aussi l’adoption de réformes aux niveaux national et régional visant à améliorer l’infrastructure financière afin que les petites et moyennes entreprises aient accès au crédit. A travers la région, nous cherchons, en partenariat avec la BCEAO, à promouvoir l’inclusion financière, la finance digitale, à réduire les taux d’intérêt et lancer de nouveaux types de financements pour les entreprises.

En Côte d’Ivoire, nous avons également soutenu l’adoption de réformes visant à créer un bureau d’information sur le crédit, ainsi qu’une loi sur le crédit-bail et le tribunal de commerce d’Abidjan

Afin d’aider les PME à être plus compétitives, nous avons développé des projets visant à renforcer leur viabilité commerciale sur l’ensemble de la chaîne de valeur, notamment dans les secteurs de la noix de cajou et du caoutchouc. Par exemple, un programme d’entrepreneuriat, qui incluera un accélérateur de startups ainsi qu’un concours de business plan, sera lancé dans les prochains mois à Bouaké et San Pedro. La Société financière internationale, institution du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, aide les coopératives de femmes du secteur de l’agrobusiness à devenir plus compétitives à travers un programme de leadership. Et un projet financé par l’initiative We-Fi se focalisera sur les obstacles affectant les coopératives aux mains de femmes : le transport et la logistique l’accès au marché et au crédit.

Selon vous, existe-il des éléments d’obstacles à l’émergence du monde féminin ( les femmes) dans l’entrepreneuriat ?

Bien que les entrepreneurs africains, hommes comme femmes, soient confrontés à de nombreuses contraintes dont le manque de capitaux, les femmes font face à des obstacles assez particuliers.

En conséquence, les profits générés par les entreprises des femmes sont de 34% inférieurs à ceux des entreprises tenues par les hommes. En République démocratique du Congo par exemple, nos recherches ont montré que même lorsqu’un homme et sa femme possèdent, tous deux, une entreprise dans un même secteur, la femme gagne moins d’argent que son mari.

Une des contraintes majeures, c’est le fossé en matière de compétences. Bien que la plupart des pays africains aient atteint la parité en termes d’accès à l’éducation primaire, vous constatez que là où 100 garçons terminent le premier cycle du secondaire seulement 86 filles parviendront à atteindre le même niveau.

Les femmes qui travaillent à leur propre compte ont moins d’années d’instruction que les hommes : notez ainsi que seulement la moitié des femmes entrepreneurs sont lettrées contre presque trois-quarts de lettrés chez les hommes.

Les hommes ont des niveaux plus élevés en matière de compétences techniques et commerciales, alors que les programmes destinés à donner des compétences commerciales classiques aux femmes entrepreneures ont obtenu des résultats décevants en termes d’impacts réels sur les profits de leurs entreprises. Il faut donc peut-être envisager les choses autrement. Par exemple, développer des compétences psychologiques dans le cadre de formations à l’initiative personnelle s’avère plus efficace. Des études préliminaires montrent que si l’on accorde plus d’attention au développement d’un esprit d’entreprenariat, les résultats sont prometteurs. Au Togo, une formation incitant les femmes à prendre des initiatives personnelles, à être proactives, et à faire preuve de persévérance a donné des résultats impressionnants : Les bénéfices des entreprises des femmes qui ont pris part à cette formation ont augmenté de 40 % en moyenne.

Ici en Côte d’Ivoire, l’une des difficultés de tous les entrepreneurs reste la question du financement. Les prêts bancaires sont généralement difficiles à obtenir. Avez-vous des solutions à proposer à ce niveau ?

A la Banque mondiale, nous sommes bien conscients de ces difficultés. Un de nos récents rapports a démontré que les entreprises appartenant aux hommes ont six fois plus de capitaux que celles appartenant aux femmes. Les femmes n’ont pas de terre et d’autres biens qui peuvent servir de cautions, et elles ont très peu d’influence sur les décisions financières dans leurs foyers. Cela rend les choses plus compliquées pour obtenir des prêts pour financer la croissance de leurs entreprises.

Dans beaucoup de cas, un simple ajustement, à bas coût, dans un montage de projet, peut avoir un grand impact. Notre laboratoire d’innovation sur le genre en Afrique a utilisé des tests psychométriques en Ethiopie comme alternative à la caution bancaire. Ces tests prédisent avec une exactitude impressionnante la probabilité qu’un entrepreneur va rembourser son prêt bancaire, avec un taux de remboursement de 99%. On a aussi découvert au Malawi, que le simple fait d’encourager les femmes à faire enregistrer leurs entreprises n’avait aucune incidence sur leurs profits. Mais quand cet enregistrement est accompagné d’une simple session d’information dans une banque, avec une offre d’ouverture d’un compte bancaire, le taux d’utilisation des services bancaires par ces femmes augmente, ce qui permet en retour d’augmenter leur profit de 20% en moyenne. Et on peut le faire avec seulement 27 dollars par entreprise.

Quels sont les secteurs porteurs en termes d’entrepreneuriat féminin ?

Il y a cette tendance en Afrique qui voudrait que les femmes entrepreneures soient concentrées dans des secteurs d’activités peu lucratifs, et traditionnellement dominés par les femmes. En Ouganda, par exemple, une coiffeuse gagne en moyenne 86 dollars par mois, alors qu’un électricien gagne 371 dollars sur la même période.

Notre étude a montré qu’un quart de l’écart entre les profits générés par les entreprises appartenant aux hommes et celles aux mains de femmes pouvait s’expliquer par le fait que les femmes opèrent dans des secteurs moins profitables. Nous avons également découvert que ce n’est ni par manque de compétences ou d’accès aux capitaux que les femmes opèrent dans des secteurs traditionnellement dominés par les femmes, mais à cause de facteurs sociaux et d’un manque d’information cruciale. Parfois, elles ne savent mêmes pas qu’elles gagnent moins que les hommes.

Au Nigeria, nous avons obtenu des résultats impressionnants en formant des étudiantes en technologies de l’information et de la communication. Elles ont augmenté leur chance de travailler dans le secteur des TICs de 26%. Cela démontre que ce type de formations peut booster la création d’emplois pour les femmes dans ces secteurs émergeants.

Qu’est-ce qui est prévu cette année par la Banque mondiale en faveur des femmes entrepreneurs ?

Au cours de leur vie, les femmes et les filles sont l’objet de discrimination. Promouvoir l’entrepreneuriat des femmes et leur donner les moyens de leur ambition exige des solutions transposables à grande échelle. Nous entendons profiter de l’élan généré par l’initiative We-Fi et nos programmes ciblant les femmes entrepreneures. Nous continuerons de démontrer que des mesures ciblées, parfois simples et peu coûteuses, peuvent avoir un impact très important. Nous ne le répèterons jamais assez : miser sur les femmes est un pari gagnant. Quand les femmes réussissent, tout le monde en profite. Et je suis fière de souligner qu’à la Banque mondiale nous pratiquons ce que nous prêchons : la parité est une réalité au sein de notre équipe dirigeante.

Interview réalisée par R. KRA

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