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Mali – Violences intercommunautaires : comment en est-on arrivé là ?

REPORTAGE. Dogons et Peuls ont choisi de déposer les armes, mais la question qui est posée est de savoir pour combien de temps. Il faudra en effet trouver le moyen de neutraliser le poison qui a alimenté les guerres entre communautés.

 

« Dogons, Peuls, nous sommes des frères. Je dépose les armes », déclarait le 2 octobre dernier dans la salle Sory Bamba de Mopti, bondée pour l’occasion, Youssouf Toloba, chef d’état-major du mouvement des chasseurs dogons « Dana Ambassagou », ce qui signifie littéralement « sous la protection de Dieu », un groupe d’autodéfense créé en 2016, vu le contexte d’extrême insécurité régnant sur la quasi-totalité du pays dogon. Ce vétéran, à la tête de plusieurs centaines de chasseurs dans les cercles de Koro, Bankass, Douentza et Bandiagara, s’est érigé en rempart face à la recrudescence de violence et a participé à maints affrontements meurtriers pour sécuriser villages et hameaux contre des vagues d’assaillants armés, des « djihadistes-malfaiteurs », des « bandits », qui, selon son mouvement, sont majoritairement composés de Peuls.

Une région désertée par le pouvoir central

Ces conflits récurrents entre les combattants dogons et peuls ont fait craindre à un basculement vers un conflit inter-ethnique, alors que ces communautés ont toujours su cohabiter dans la paix et la fraternité. « Nous ne voulons que la paix […] nous ne combattons que les terroristes », a assuré Youssouf Toloba, enjoignant les autorités à pleinement jouer leur rôle et à « assurer la sécurité de tous les citoyens » dans ces zones de non-droit ou l’État et les forces de sécurité ne sont pas suffisamment présents. À la fin de son discours, le chef d’état-major des chasseurs a tout de même averti que la milice dozo réagirait à toute agression contre la communauté dogon. Le gouvernement, par la voix de son Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, présent à Mopti, a assuré aux chasseurs que la présence de l’État serait accrue et que des projets de développement serait mis en place. L’accord signé, les médias se sont fait l’écho de ce « succès pour la paix » pour certains, « symbolique » pour d’autres, feignant d’oublier, peut-être un peu vite, qu’à ces accords, manquait les autres, les interlocuteurs représentatifs de ceux qui en brousse orchestrent également ces attaques sanglantes, coûtant la vie à des centaines de personnes et poussant à l’exode des milliers d’autres et qui, eux, n’ont pas l’intention de déposer les armes. Un cessez-le-feu sur papier, qui, sur le terrain semble loin d’être acquis. Un pacte de non-agression, une dynamique vers la paix pour tenter de résoudre une situation plus complexe, qui font douter beaucoup sur la possibilité d’un réel retour au calme.

… mais où les djihadistes circulent librement

Deux jours après la signature des accords de cessez-le-feu par Youssouf Toloba, à Niaky, dans la commune de Dioungani, cercle de Koro, épicentre des violences de ces derniers mois, 4 chasseurs dozos à moto guidant des militaires maliens à bord de pick-up vers un campement d’individus lourdement armés, essuyaient le feu nourri de plusieurs assaillants à proximité du campement. Deux militaires furent blessés, ils parvinrent avec leurs camarades à en réchapper, tout comme les chasseurs, et à se replier sur Koro, chef-lieu de la commune. Les assaillants ramenèrent ce jour-là, les 4 motos des chasseurs comme butin à leur campement. « Niaky, Bodwall, Nawadié, ce sont des fiefs peuls, les djihadistes là-bas sont en nombre et très bien armés. C’est un problème qui continue et qui a déjà pris trop d’ampleur », explique cet élu du cercle de Koro situé dans la cinquième région administrative du Mali. « Les chasseurs disent qu’ils vont désarmer, mais ils doivent protéger leur village, ils savent que s’ils donnent leurs armes, ils seront tous attaqués. Donc, ils ne peuvent pas vraiment désarmer, en tout cas pas tant que les autres ne désarment pas. C’est le gros problème, mais devant des responsables, devant des ministres, on ne peut pas dire ça. À chaque fois que l’on a signé un accord, il y a eu des affrontements, des morts ou des enlèvements de troupeau. La paix va être difficile à mettre en place », soupire-t-il.

Un cycle d’attaques-représailles…

À Koro, plus importante ville du cercle, dotée d’une base militaire, où des élus et des sous-préfets ont trouvé refuge vu le climat sécuritaire fortement dégradé, le maire Issa Sagara, confirme une situation qui depuis des mois n’a pas vraiment évolué : « Avec la signature de cet accord de paix, ils ont mis en place une commission de suivi de l’accord, qui n’a pas tardé à travailler. Samedi dernier, il y a eu un mort et dimanche un autre dans la commune de Madougou. Ça continue de part et d’autre, malgré le cessez-le-feu. Mais toutes ces nouvelles agressions risquent d’envoyer ce cessez-le-feu directement aux oubliettes. Un accord a été signé, c’est vrai, mais sur le terrain, c’est autre chose », juge-t-il.

Dans le cercle de Koro, après des mois de violence, on redoute toujours le banditisme qui s’est très fortement développé et la présence d’hommes armés non identifiés, de groupes djihadistes, qui ont exacerbé une situation qui a empiré au fil des mois, engendrant suspicion et stigmatisation au sein des diverses communautés.

… lié au vol de bétail sur fond de réchauffement climatique

De mémoire, Ali Inogo Dolo, maire de Sangha fait remonter le début de cette vague de banditisme et d’attaques à environ 3 ans. À travers les réunions de médiation et de concertation auxquelles il a participé, les populations lui faisaient savoir que tous les problèmes venaient des vols massifs de bétail, qui par leur récurrence ont engendré les conflits. « Il y a des Peuls qui volaient le bétail dans les villages et emmenaient les troupeaux au Burkina Faso, et durant ces vols, ils tuaient les gens impunément. À Dinangourou, les gens se sont révoltés. Il y a eu des problèmes entre les Peuls et Dogons. Ce problème est ensuite venu toucher la commune de Dioungani qui est voisine de Dinangourou, puis s’est largement étendu », explique le maire de Sangha.

Un peu partout dans le cercle, le mode opératoire des voleurs de bétail semble rodé et d’une redoutable efficacité : « À la nuit, ils s’approchent des villages à moto, ils savent où sont les animaux qui sont généralement vers les puits d’eau. Ils se séparent et attaquent ensuite en deux vagues, une à pied qui se charge des bêtes et l’autre à moto qui fait les tirs. Les gens entendent les coups de feu et se dirigent donc à l’opposé où ils tombent sous les balles du second groupe. Ils emmènent ensuite tous les animaux », résume cet agriculteur dogon de la commune de Madougou. En l’espace de 8 mois, ce sont plusieurs dizaines de milliers de têtes de bétail de la communauté dogon et peule qui ont été enlevés et des centaines de greniers à grains pillés ou incendiés. Pour David Tembiné, chef du bureau politique du mouvement Dana Ambassagou, le fait que les Peuls ont beaucoup moins de cheptel que les Dogons serait une raison de ces vols répétés. « Le problème des Peuls, c’est qu’ils vendent leur troupeau, alors que la reproduction n’est pas rapide. Ce sont d’ailleurs eux qui s’occupent maintenant des troupeaux des Dogons. Pour acheter une moto, ils doivent vendre un bœuf, pour se marier, il faut qu’ils vendent des bêtes, pour se soigner de même, sans compter le changement climatique qui a décimé des cheptels. Les Dogons, eux, ils ne vendent pas, ils cultivent, ils vivent d’abord de leur terre, de leur champ, ils peuvent attendre », affirme-t-il.

Source: lepoint

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