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Merkel, l’heure du bilan: une Européenne à la peine

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Aucun responsable politique n’aura marqué comme la chancelière allemande la politique européenne des seize dernières années. Angela Merkel a dû gérer de nombreuses crises, avec des réactions parfois tardives. Elle n’a, en revanche, jamais présenté de vision pour l’avenir de l’Europe.

Avec l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel en 2005, une Est-Allemande prend les rênes du pays quinze ans après sa réunification. Contrairement à ses prédécesseurs chrétiens-démocrates, Konrad Adenauer ou Helmut Kohl, son père en politique, la nouvelle chancelière, qui a grandi dans la RDA communiste, n’a pas été imprégnée par la construction européenne. « Au début de son mandat, elle n’a pas compris pourquoi la France est si importante pour l’Allemagne. Pour elle, en RDA, le modèle, c’était l’Allemagne de l’Ouest et les États-Unis. Elle ne vibrait pas trop pour l’idée européenne », analyse le biographe d’Angela Merkel, le journaliste Ralph Bollmann.

La « petite nouvelle » sur la scène européenne engrange malgré tout rapidement un premier succès où, déjà, ses talents de négociatrice s’illustrent. Lors de son premier Conseil européen en décembre 2005, elle contribue à régler le dossier – toujours épineux – du budget de l’UE (pour la période 2007-2013). « Un énorme nuage a été levé au-dessus de l’Europe », explique Angela Merkel après les négociations. Quelques mois après le rejet par les Français et les Néerlandais du projet de Constitution européenne, trancher le nœud gordien du budget permet à l’Europe meurtrie de souffler. « Sur ce dossier, elle n’a pas joué la carte française, mais s’est rapprochée d’autres pays, ce qui lui a permis de trouver un compromis sur le budget de l’UE », analyse Ralph Bollmann.

C’est surtout à partir de son deuxième mandat, qui débute en 2009, que le poids d’Angela Merkel en Europe va augmenter durant la crise de la zone euro et le drame grec. La chancelière sous-estime la portée de la crise financière et ses implications et reste rétive à des plans de soutien de la zone euro. Elle se voit reprocher, notamment par la France, dirigée à l’époque par Nicolas Sarkozy, d’attendre trop longtemps pour trancher et de rester inflexible. L’ex-Allemande de l’Est reste profondément attachée aux règles du marché et rechigne à intervenir. Au sein de l’Union européenne et de la zone euro, elle plaide pour une politique de restructuration des économies en difficulté, s’attirant la colère d’Européens du Sud, durement frappés. « Quand la crise de l’euro a commencé en 2010, la solidarité entre les pays membres n’était pas une priorité pour elle. Il a fallu du temps pour qu’elle devienne une Européenne convaincue », analyse Ralph Bollmann. Mais les partenaires de l’Allemagne, à commencer par la France, ne comprennent pas toujours les contraintes de la chancelière : « Beaucoup de pro-Européens lui ont reproché de trahir, par son attachement à l’orthodoxie budgétaire, l’héritage d’Helmut Kohl. Les mêmes devaient en même temps reconnaître que les marges de manœuvre de la chancelière étaient réduites. Son partenaire de coalition, le parti libéral, certains chrétiens-démocrates, la Cour constitutionnelle et la Bundesbank : autant de forces qui limitaient ses options », ajoute Ralph Bollmann.
La pandémie, dernière crise qu’aura dû affronter Angela Merkel
La chancelière finit par accepter les mécanismes de soutien de la zone euro, mais voit, à chaque nouveau vote au Bundestag, sa majorité s’écorner. Lorsque la situation en Grèce menace cette même zone, Angela Merkel s’oppose à son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qui plaidait pour une sortie d’Athènes de la zone euro pour sauver cette dernière. Pour la chancelière, il en va de la cohésion de l’Europe.

À peine ce dossier réglé, une nouvelle crise européenne se profile à l’horizon avec l’arrivée de plusieurs centaines de milliers de réfugiés et la décision d’Angela Merkel, début septembre 2015, de ne pas fermer les frontières de l’Allemagne. Une décision pas vraiment coordonnée avec ses partenaires, mais qui vaut encore aujourd’hui de par le monde à la chancelière une forte popularité. Elle échouera, en revanche, dans son souhait de mettre en place des quotas entre les pays européens pour l’accueil des réfugiés. Une réforme du droit d’asile voulue par Berlin ne voit pas le jour.

La pandémie constitue la dernière crise qu’aura dû affronter Angela Merkel. La chancelière va opérer une révolution copernicienne pour son pays. Avec l’initiative commune présentée avec Emmanuel Macron en mai 2020 et qui débouchera sur le plan de relance européen, la cheffe de gouvernement allemand accepte l’émission d’une dette européenne commune, un chiffon rouge pour les chrétiens-démocrates. Cette initiative est un succès de l’axe Paris-Berlin après l’absence de réponse en Allemagne aux propositions sur l’Europe d’Emmanuel Macron. Étonnamment, les réactions négatives dans le camp de la chancelière sont très discrètes. Berlin a compris que les conséquences majeures de la crise économique causée par la pandémie étaient néfastes pour les intérêts allemands, les pays concernés étant autant de marchés pour ce pays exportateur. « Ce projet est peut-être son testament politique pour l’Europe », estime Ralph Bollmann.

Ce plan de relance fait avancer l’intégration européenne même si les lectures divergent entre ceux qui y voient un saut qualitatif sur la durée et les autres comme… Angela Merkel : « Ce plan fait explicitement référence à la pandémie, son action est ciblée et il est limité dans le temps », précise la chancelière à la tribune du Bundestag en juin 2020.
« Elle n’a pas eu d’ambition pour l’Europe »
Quel bilan tirer de l’action d’Angela Merkel en Europe ? « Elle a toujours essayé de trouver des compromis pour permettre d’avancer, mais elle a bougé trop lentement et a fait perdre du temps au continent. Le tournant du plan de relance constitue, lui, un pas en avant important », estime Daniela Schwarzer, directrice exécutive de la Open Society Foundation. Franziska Brantner, spécialiste des questions européennes chez les Verts, salue également la gestion des crises par Angela Merkel, mais regrette sa frilosité : « Elle n’a pas de visions, elle n’a pas eu d’ambition pour l’Europe contrairement au chancelier Kohl ou à l’ancien ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer. Elle a réagi aux crises pour y trouver des solutions, mais sans chercher à aller de l’avant. Elle est restée attachée, comme en France, à une vision intergouvernementale de l’Europe sans chercher à renforcer ses institutions ».

Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen et adversaire malheureux pour les sociaux-démocrates d’Angela Merkel dans la course à la chancellerie en 2017, tire également un bilan négatif : « Elle n’a jamais fait preuve d’ambition pour l’Europe. Cela vaut aussi pour les relations franco-allemandes ».

Malgré ce bilan en demi-teinte, Angela Merkel semble bénéficier du soutien des Européens. Un sondage récent montrait que si un(e) président(e) de l’Union européenne était élu(e) directement, la chancelière l’emporterait nettement avec 41% face à Emmanuel Macron à 14%.

RFI

 

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