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Cellou Dalein Diallo: un coup de force «pertinent, mais les militaires n’ont pas décliné de calendrier électoral»

RFI

Voilà onze ans qu’il perd tous ses duels face à Alpha Condé et qu’il crie à la fraude électorale. Aujourd’hui, tout à coup, la route semble se dégager devant Cellou Dalein Diallo. Mais le chef de l’opposition guinéenne peut-il vraiment faire confiance aux militaires qui viennent de renverser Alpha Condé ? Pour la première fois depuis le putsch, le leader de l’UFDG, l’Union des forces démocratiques de Guinée, s’exprime. En ligne de Conakry, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Cellou Dalein Diallo : Je suis soulagé et un peu inquiet. Soulagé parce que, vraiment, l’armée nous a débarrassés d’une dictature. Alpha Condé s’est emparé du pouvoir en modifiant la Constitution et en violant donc son serment. Ensuite, c’est un hold-up électoral qu’il a opéré le 18 octobre 2020. Si bien qu’il n’y avait plus d’issue.

Vous dites que vous êtes soulagé et en même temps, inquiet…

Ensuite, je suis inquiet parce que, d’habitude, lorsque les militaires viennent au pouvoir, souvent ils restent plus longtemps que prévu. C’est vrai que l’exposé des motifs du coup de force était pertinent. Ils ont touché tous les griefs qu’on a souvent dénoncés contre la gouvernance d’Alpha Condé. Mais, pour l’instant, ils n’ont pas décliné d’agenda, en termes de calendrier, en termes de temps pour la mise en place d’institutions légitimes par l’organisation d’élections transparentes et crédibles. Mais, je pense qu’ils ne tarderont pas à le faire. Et je l’espère.

Ce dimanche, quand vous avez vu le président Alpha Condé prostré, muet au milieu des militaires qui venaient de le capturer, à quoi avez-vous pensé ?

A l’entêtement des dictateurs, parce que je pense qu’il a reçu beaucoup de conseils pour essayer d’instaurer le dialogue, pour éviter ces affrontements qui nous ont coûté très chers, parce que je dois dire que plus de 250 jeunes ont été abattus à bout portant. Mais, néanmoins, j’ai vu un homme réellement en difficulté et je n’étais pas à l’aise de voir un homme dans cette situation. Mais s’il avait fait preuve de sérénité, s’il avait cherché à consolider l’unité nationale, à instaurer la démocratie, à respecter les droits, je pense qu’il aurait pu conduire le pays à de meilleurs jours.

Que souhaitez-vous aujourd’hui pour Alpha Condé ?

Je me suis réjoui de constater qu’ils ont préservé sa vie, qu’il continue de jouir de ses droits, de voir ses médecins. C’est comme ça qu’il faut faire, même si lui, parfois, il a refusé cela à ses prisonniers. Il a détruit ses opposants. Je pense qu’il ne faut pas lui infliger la même chose qu’il a infligée aux autres. Il faut respecter ses droits et l’amener à répondre de ses actes.

Ce lundi midi, le chef des putschistes, le colonel Mamady Doumbouya, a annoncé l’installation d’un gouvernement d’union nationale qui sera chargé de conduire une transition politique. Comment réagissez-vous ?

J’accueille favorablement cette intention. Je pense qu’elle va se traduire par des consultations qui permettront de mettre en place justement un gouvernement d’union nationale pour conduire la transition.

Mais l’an dernier, est-ce que ce ne sont pas les forces spéciales du colonel Mamady Doumbouya qui ont réprimé très brutalement vos partisans dans les rues de Conakry ?

Je ne sais pas lequel des corps. Ce qui est vrai, c’est que l’armée a été réquisitionnée, même pendant les violences postélectorales, pour permettre à Alpha Condé d’avoir son troisième mandat. L’armée a été requestionnée, mais aussi la police, la gendarmerie. Toutes les forces de défense et de sécurité étaient sur le terrain. Mais, je ne peux pas dire que les hommes du colonel [Mamady] Doumbouya ont fait ceci ou cela ? puisqu’Alpha Condé n’a jamais voulu qu’il y ait des enquêtes sur ces crimes.

Ne craignez-vous pas que le colonel Mamady Doumbouya soit un nouveau capitaine Moussa Dadis Camara [qui avait pris le pouvoir il y a 13 ans et avait suscité de l’espoir, avant le massacre commis par l’armée guinéenne le 28 septembre 2009] ?

Je ne connais pas le colonel [Mamady] Doumbouya. Je ne sais pas. Les gens disent qu’il a une bonne formation militaire tout au moins. Je pense que, s’il a pris le risque de faire un coup d’Etat contre Alpha Condé, c’est qu’il est animé de bonnes intentions.

Est-ce que vous lui avez parlé depuis ce dimanche midi ? Non.

Est-ce que vous avez des échanges avec lui par l’intermédiaire de quelques amis communs ?

Je connais quelqu’un qui le connait. On a parlé, mais on n’a pas eu vraiment d’échanges.

Et vous en aurez bientôt ?

Sans doute. Cela dépendra, c’est à son initiative. Moi, je suis là. Je suis prêt à contribuer à mettre en place une transition crédible, capable justement d’organiser des élections libres et transparentes, des élections équitables pour que le peuple guinéen puisse choisir ses dirigeants, aussi bien au niveau législatif que présidentiel, et même au niveau local, puisque pendant le règne d’Alpha Condé, il n’y a pas eu d’élections. Il n’y a eu que des mascarades et parfois des hold-up flagrants.

Comment expliquez-vous les divisions qui se sont accrues ces derniers mois dans le camp Alpha Condé ?

N’oubliez pas qu’il y a la guerre de succession. Il y a beaucoup de gens qui agissaient pour être le dauphin officiel, pour être le vice-président ou qui se sont dits ‘Alpha Condé est âgé, il faut que je me positionne, il faut que j’élimine tel adversaire ou tel autre’. Cet adversaire peut aussi bien être dans la mouvance que dans l’opposition. Ce n’est pas pour rien aussi qu’on a sévi contre l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée]. N’oubliez pas qu’on a plus de 100 prisonniers dans les geôles d’Alpha Condé et que moi-même, mon épouse, et mes collaborateurs en liberté, nous sommes privés de nos droits et libertés de voyager à l’étranger. Nos passeports sont saisis.

Le colonel Mamady Doumbouya est originaire de Kankan comme Alpha Condé. Est-ce que vous ne craignez pas que, comme Alpha Condé, il fasse tout pour vous écarter du pouvoir ?

J’espère qu’il ne fera pas cela, parce qu’il a parlé de consolidation de l’unité nationale, de rassemblement et de la réconciliation des Guinéens. Ce serait contraire en tout cas à son discours. Je souhaite qu’il traite tous les Guinéens sur le même pied pour qu’on puisse organiser des élections libres et transparentes, pour que les Guinéens choisissent librement leurs dirigeants. Quelle que soit l’origine de ce Guinéen, celui qui va l’emporter, il faut qu’il soit proclamé président de la République.

Est-ce que même divisés, les gens du camp Alpha Condé ne se retrouvent pas tous contre votre personne, contre Cellou Dalein Diallo ?

Alpha [Condé] a mis en œuvre beaucoup de manœuvres pour justement isoler Cellou parce que, évidemment, je suis resté avec mon parti une force politique redoutable qui gagne les élections. Et il a toujours utilisé la stigmatisation ethnique pour essayer de rassembler aussi large que possible contre le principal opposant qu’il n’a jamais pu battre en réalité dans les élections. Mais ceci dit, je pense que, tout comme le colonel [Mamady] Doumbouya a été animé par un sursaut patriotique et a pensé à la nation, a pensé au pays, il faut que les autres renoncent au tribalisme et à l’ethnocentrisme primaire, qui justement causent d’énormes préjudices à notre pays actuellement.

Vous faites confiance au colonel Mamady Doumbouya ?

Jusqu’à preuve du contraire, je fais confiance au général Doumbouya et à son équipe. Je pense que la Guinée a besoin de patriotes pour sortir le pays de cette situation, aller à la réconciliation nationale, aller vers l’instauration d’une démocratie apaisée.

A condition que la transition militaire ne dure pas trop longtemps ?

Oui. Il serait souhaitable qu’elle ne dure pas longtemps dans la mesure où, pour mener les réformes devant conduire à la réconciliation nationale, la première mission d’un gouvernement de transition, ce sera de réunir les conditions d’une élection libre et transparente et de l’organiser le plus tôt possible.

Voulez-vous prendre votre revanche sur Alpha Condé ?

Non, je ne dirige pas mon combat contre un individu ou contre un groupe particulier. Moi, j’ai envie de répondre à l’attente de la population. J’ai l’ambition d’être celui qui va instaurer une véritable démocratie dans notre pays, garantir la sécurité de tous les citoyens et l’exercice par chacun d’eux de tous les droits qui leur sont reconnus par la Constitution.

Que pensez-vous de la réaction de la communauté internationale qui est très hostile à ce coup de force ?

Je pense que ce sont des réactions pour la forme, dans la mesure où, au niveau de la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest] et de l’Union africaine, lorsqu’on abattait comme des lapins des manifestants contre le troisième mandat, on ne les a pas entendus. On ne les a pas vus.

RFI

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