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ME Mountaga Tall : « Le temps est venu de faire un bilan sans complaisance, de situer les responsabilités, d’interpeller les responsables par leurs noms … »

Meguetan Infos

Président historique du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid Faso Yiriwa Ton), Me Mountaga Tall n’est plus à présenter au Mali. En cette veille de la commémoration du 26 mars, ce grand artisan de la démocratie malienne nous donne ses impressions sur les trois décennies de multipartisme et sa vision pour le Mali Kura.

 

La Lettre du Peuple : Quel bilan faites-vous des 30 ans de vie démocratique au Mali ?

Me Mountaga Tall : Il y a trente années, le Mali vivait sous un régime de parti unique et constitutionnel. Cela signifie que tous les Maliens, avec ou sans leur accord, étaient d’office membres du parti unique, l’Union démocratique du peuple malien (Udpm).

Même les bébés qui naissaient étaient théoriquement membres de ce parti. Et ne pas y militer entrainait une exclusion.

S’y opposer entrainait une répression. Ceux qui, en 1974, se sont opposés au projet de nouvelle constitution voulue à l’époque par le Cmln et qui mettait en place le parti unique, l’ont payé de la façon la plus chère. Ils ont été condamnés à 4 ou 5 années de travaux forcés. Imaginez pour comprendre que ceux qui ont dit, il n’est pas si longtemps « An tè a bana » pour la révision constitutionnelle soient condamnés à des peines aussi lourdes.

C’est contre de telles pratiques que des démocrates se sont levés pour dire non, il faut changer, il faut des libertés. Parce que les Maliens s’étouffaient sous le parti unique et constitutionnel.

Vous savez, la liberté pour un Peuple, c’est comme l’oxygène pour un être humain. On ne peut pas vivre sans cet oxygène.

Les Maliens en avaient besoin. Le mouvement démocratique qui avait été initié par le Cnid association que j’ai eu l’honneur de présider a été le premier mouvement à demander ouvertement, à visage découvert, l’instauration du pluralisme démocratique au Mali.

Mais avant, il y avait les mêmes demandes formulées, venant d’associations qui opéraient dans la clandestinité, généralement à l’étranger.

Mais le mouvement de masse n’a pu être concrétisé qu’à partir de 1990, et précisément à partir de la marche historique initiée par le Cnid association le 10 décembre 1990.

S’agissant du bilan, du parcours, il est difficile de le faire de façon définitive. Parce que la démocratie, voyez-vous, est un processus. Elle ressemble à un arbre que l’on plante et que l’on est obligé d’arroser, d’entretenir tous les jours.

Sinon, cet arbre dépérit et finit par mourir. La démocratie, ce sont des règles. La première, c’est ermettre aux citoyens, d’avoir le libre choix de leurs dirigeants.

En second lieu, ces dirigeants choisis par le peuple ont l’obligation de respecter l’Etat de droit, de se soumettre à la légalité. Puis, ils sont obligés de travailler, d’avoir une gouvernance vertueuse pour le bien-être collectif. Et enfin, il y a la redevabilité.

C’est-à-dire, la possibilité pour les citoyens de renouveler le mandat confié ou de sanctionner les dirigeants après que ceux-ci ont défendu leur bilan. Au Mali, les élections sont ce que nous savons.

C’est-à-dire, des cessions organisées de pouvoirs, des fraudes à large échelle. Ce qui fait que depuis l’instauration de la démocratie, on ne peut pas dire qu’un dirigeant, un chef d’Etat, un président de la République ait été élu sur des bases transparentes incontestables.

A partir de ce moment, la gouvernance n’a jamais su mobiliser les masses, sans lesquelles on ne peut pas avoir de résultats tangibles. La corruption érigée en système d’Etat, les difficultés sociales de toute nature, l’école qui ne marche pas, les pouvoirs d’achat qui baissent, sont autant de tares qui entachent notre démocratie.

Enfin, le peuple n’a jamais eu la parole réellement pour s’exprimer. Pour autant, peut-on dire que la démocratie est un mauvais système ou que les démocrates ont échoué ? Non ! Face à la démocratie, il n’y a pas de choix.

Ou c’est la démocratie, ou c’est la dictature, ou c’est le populisme. Je ne souhaite ni au Mali, ni aux Maliens de connaitre ou de vivre à nouveau la dictature ou le populisme.

Donc, ce n’est pas la démocratie en tant que telle qui est en cause. Ce qui est en cause, clairement, nettement, ce sont les gouvernants. Ce sont les hommes et les femmes qui ont eu à assurer le destin du Mali. C’est la gouvernance qui a échoué au Mali et qui est décriée.

Dans cette gouvernance, il y a eu la classe politique, la société civile, les militaires, des jeunes, des ainés. Je ne conclus pas que tout le monde est responsable et que tout est mauvais. Je pense à mon âme et conscience que le temps est venu de faire un bilan sans complaisance, de situer de façon objective les responsabilités, d’interpeller clairement les responsables par leurs noms et leur demander de rendre compte. Si on ne fait pas cela, on risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Et surtout, on risque de décrédibiliser la démocratie qui encore une fois est le meilleur des systèmes, et n’est pas interchangeable.
Que pensez-vous de la refondation du Mali ?

La refondation du Mali est le combat de M5-RFP auquel le Cnid Faso Yiriwa Ton appartient. Et je siège au comité stratégique. La refondation du Mali consiste non pas à bricoler, à changer tel ou tel texte, mais plutôt à relever le Mali qui est aujourd’hui par terre.

C’est aussi faire en sorte que nous sortions de ce cycle des crises multiformes et qui reviennent de façon périodique. Il s’agit d’aller vers le Mali Kura. Mais, il faut aller au-delà des slogans. La refondation doit passer obligatoirement par les assises nationales de la refondation.

En clair, des Maliennes et des Maliens de toute obédience, doivent se réunir, non pas pour un forum de plus, mais pour un forum dont la configuration et les objectifs seront inédits et qui devraient apporter des solutions non pas pour maquiller, mais changer profondément notre société. Et ce, pour faire un nouveau Mali, avec des Maliens qui auront compris que personne d’autre ne fera notre pays à notre place.

Entretien réalisé par Jean Goïta

Source: La Lettre du Peuple

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