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Pourvoi suspensif de l’arrêt ? Les avis divergent

Deux éminents juristes donnent leur interprétation de l’article 505 du code de procédure pénale en relation avec l’affaire dite de déstabilisation de la transition politique.

 

La Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Bamako a annulé, le 02 mars 2021, la procédure de l’affaire dite de déstabilisation des institutions de la Transition dans laquelle étaient poursuivis devant un juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de la commune III Dr Boubou Cissé, Sékou Traoré, Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath, Vital Diop et autres. La Chambre d’accusation a aussi levé les mandats de dépôt et ordonné sans délai la remise en liberté des personnes injustement détenues depuis le 30 décembre 2020. Quelques heures après, les Maliens ont appris que le procureur a fait pourvoi.

Me Kassoum Tapo, avocat et ancien bâtonnier« Le pourvoi en la matière n’est pas suspensif »

On avait saisi la chambre d’accusation de la Cour d’appel de deux recours : un appel des ordonnances de refus de mise en liberté provisoire du juge d’instruction et une requête directement adressée à la chambre d’accusation en annulation de la procédure pour différentes violations de la loi et des droits de la défense. La chambre a joint les deux procédures et a annulé effectivement à notre demande et après l’appui du parquet général, donc l’avocat général qui était à l’audience Bandiougou Diawara qui a également demandé la nullité de la procédure. La chambre d’accusation a mis l’affaire en délibéré, en fin d’audience en vidant son délibéré, a annulé la procédure, annulé les mandats de dépôt décernés par le juge d’instruction et ordonné la mise en liberté des inculpés. On s’attendait tous à ceux qu’ils soient immédiatement mis en liberté, puisque l’avocat général a préparé les ordres de mise en liberté devant nous qu’il a mis dans le dossier pour les soumettre au chef du parquet, le procureur général pour signature. A notre grande surprise, le procureur général est resté jusqu’aux environs de 19 heures à la Cour d’appel, il est parti prendre ses instructions au département, semble-t-il, et nous l’avons pas revu. Nos clients ont gardé prison, le lendemain matin nous sommes retournés voir le procureur général. L’ensemble des avocats, j’étais en tant que leur doyen à leur tête, nous avons rencontré le procureur général. Ça eu au moins le mérite de la clarification, parce qu’il nous a dits qu’il a fait un pourvoi avec pour finalité de maintenir en détention nos clients, donc de suspendre l’arrêt de la chambre d’accusation.

Nous nous pensons que le pourvoi en la matière n’est pas suspensif… L’article 505 du code de procédure pénale, aliéna 1, dit que « les arrêts de la chambre d’accusation et les arrêts de ses jugements rendus en dernier ressort en matières criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés pour cause de violation de la loi. Ce pourvoi en cassation formé par le ministère public ou la partie à laquelle il est fait grief. Le recours est porté devant la chambre de la Cour suprême. Pendant les délais de recours en cassation, et s’il y a eu recours, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour suprême, il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour, sauf en ce qui concerne les condamnations civiles ».Ensuite , l’avant dernier aliéna dit « nonobstant un pourvoi mise en liberté immédiatement après l’arrêt, le prévenu ou l’accusé détenu qui a été relaxé ou acquitté soit absous ou condamné à l’emprisonnement assorti de sursis soit condamné à l’amende ». La chambre d’accusation ne rend pas d’arrêt de condamnation et dans ce sursis qui est évoqué ici on parle de l’arrêt de la cour. Il n’est pas repris l’arrêt de la chambre d’accusation. Alors que l’aliéna 1 vous dit bien les arrêts de la chambre d’accusation et les arrêts des autres cours peuvent être frappés de pourvoi, mais le sursis concerne seulement les autres arrêts.

A mon avis, c’est une interprétation abusive de cet article pour maintenir les gens en détention. Notre entretien avec le procureur a eu le mérite d’être clair. Nous lui avons posé la question : M. le procureur vous avez fait un pourvoi, pourquoi ? Quelle violation de la loi vous alléguez ? Parce que l’aliéné 1 dit que « les arrêts peuvent annulés pour cause de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public. Il a dit qu’il ne peut pas le dire parce je n’ai encore pas l’arrêt de la chambre d’accusation, mais le motif de mon pourvoi c’est d’empêcher l’exécution de cet arrêt. C’est ce qui a toujours prévalu dans ce dossier. C’est-à-dire, on fait un pourvoi soit- disant pour violation de la loi, on ne sait pas, on verra après quelle est la loi violée, mais en attendant on garde les gens en détention. Pareillement on a arrêté les gens par la Sécurité d’Etat, on les a fait cuisiner, il n’y a de dossier, il n’y a rien, on envoie à la justice, démerdez-vous, faîtes une enquête et trouver les éléments de preuve, après on verra. C’est ce qui a été fait de bout en bout dans cette procédure…

Daniel Tessougué, ancien procureur général:« Que le parquet général fasse pourvoi est légal »

Depuis quelques jours, je constate qu’une ancienne vidéo, datant des années 2014, me montre entrain d’intervenir au sujet de la justice. Les convictions fortes que j’y soutiens, restent encore mon leitmotiv, en tant que juriste, magistrat et enseignant de Droit. Cependant, je dénonce avec la dernière rigueur, l’utilisation qui en est faite, pour dénigrer au sujet d’un dossier, l’un des magistrats les plus intègres et compétents de notre pays, l’actuel ministre de la Justice, Mohamed Sidda Dicko ainsi que le Procureur général Idrissa Arizo Maiga, un homme d’une compétence avérée et d’une grande humilité.

S’agissant du ministre Dicko, il est malheureux, qu’on aille jusqu’à lui trouver des liens de parentés par alliances factices, dans le seul but de salir l’homme. Sachons raison garder, si réellement la crainte de Dieu est dans nos cœurs, maliens !

Ces deux magistrats de valeur, de la même promotion que moi, font aujourd’hui l’objet d’une inacceptable et ignoble cabale dans l’exercice de leurs missions. Je ne juge pas l’affaire, ne la connaissant pas et d’ailleurs, il ne saurait en être autrement, si on se veut respectueux du droit, en vertu du sacro-saint principe du secret de l’information.

J’évoque uniquement la forme, et nul juriste sérieux, ne peut que faire cela. Qu’à ce stade de la procédure, le parquet général fasse pourvoi, est légal. Il suffit de se référer aux pertinentes dispositions du Code de procédure pénale, dont par exemple l’article 505. Le Procureur Général n’aurait pas fait usage de son droit de se pourvoir contre l’arrêt de la chambre d’accusation, qu’il serait également en phase avec la loi.

Alors, voudrait-on lui enlever la faculté qui est sienne d’user de sa liberté ?

Ceux qui instillent dans le public l’abjecte idée de l’abus de droit, de l’illégalité, ne servent ni la cause de la justice ni celle de l’intérêt général.

Seule dans la vérité et le respect du droit, le Mali sera stable. Le comportement du Procureur général est tout à fait conforme avec mes propos, dans la vidéo. D’ailleurs il était présent lors de cette interview, comme Avocat général. Lui et moi avons servi ensemble dans nos premières années de services à Ségou, et des décennies plus tard, nous avons animé ensemble parquet général de la cour d’appel de Bamako. Il est loin d’être ce caporal aux ordres. Sachons respecter la dignité des gens.

Il est grand temps, que les intellectuels maliens, surtout les juristes, aient une once de dignité et d’objectivité pour ne pas faire de l’indignation sélective. Ruer dans les brancards, quand ses intérêts sont menacés et fermer les yeux quand la vérité ne les concerne pas, n’est guère une posture intelligente, quand on est dans un pays qui est en pleine turbulence.

Je me souviens qu’étant en fonction au Mali, dans l’exercice de mes fonctions, je n’ai pu compter sur le soutien légitime de qui que ce soit, chacun fermant les yeux, la bouche, les yeux et brisant sa plume sur le mur de l’indifférence. Et aujourd’hui, on sort de quel chapeau une vidéo qui parait arranger pour dénigrer des honnêtes cadres. Je dénonce cette attitude. La vérité reste et devra rester la vérité en tout temps et non sélective.

Être une girouette au gré de ses intérêts, est une posture peu honorable.

En ces moments où la conjugaison de la mauvaise foi et de la partialité tentent d’atteindre des magistrats dignes et loyaux comme Mamadou Kassogué, Idrissa Arizo Maiga, Mohamed Sidda Dicko, je leur apporte mon soutien et ma solidarité indéfectibles, dans l’exercice normal et légal de leurs missions, comme c’est le cas aujourd’hui.

Je regrette de me voir inviter à ce débat sans mon assentiment, mais quand l’honneur et la dignité de dignes cadres sont jetés en pâture, par des nervines du désordre, se taire est autant condamnable.

Mes convictions pour une justice indépendante, vertueuse et rendue réellement au nom du Peuple Souverain du Mali, restent sans faille, comme en ce jour de février 1985, où notre promotion a prêté serment, de se conduire en tout comme de dignes et loyaux magistrats.

La Rédaction

Source: L’Informateur

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