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In Memoriam : Confessions inédites d’ATT (1ère partie)

Dans une interview accordée au journal le Contrat (son organe de campagne lors de la présidentielle de 2007), Amadou Toumani TOURE, décédé le 10 novembre 2020, s’était prêté à un exercice inédit de parler de lui-même : De son enfance à Mopti (son Soudou Bâbâ natal) à la présidence de la République, en passant par son parcours scolaire, sa vie de famille, de soldat… Bref, ATT avait tout dit d’ATT. Pour la postérité L’Aube revient sur cette interview inédite.
Monsieur le Président, vos journées de travail sont très longues. Encore à 20h et parfois à 21h et même au-delà, vous êtes encore au bureau. Qu’est-ce qui fait que vous êtes si endurant ?

Par la grâce de Dieu, je dois être endurant au plan physique. Mais je crois aussi qu’il y a une question de tempérament. Et aussi une question d’habitude. En tant qu’instructeur Commando Para, ce n’est pas l’activité physique qui m’a manqué dans la vie. Et pour bien le faire, il faut avoir l’aptitude physique, mais aussi l’aptitude morale. Pour instruire des gens sur le para, le parachutisme de combat, le commando, il faut beaucoup de ressources. Je vais vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, je fus contacté par l’Organisation Internationale de la Francophonie pour faire un plaidoyer portant sur les mines anti-personnel.

Pour les besoins de la cause, j’ai dû parcourir plusieurs pays africains et même que je me suis rendu en dehors du continent. A un moment, j’ai dû dire lors de mes conférences que moi-même je suis instructeur spécialisé en explosifs et artifices et que pendant de longues années, j’ai eu à former des gens sur ces engins. J’en ai formé tellement que je ne connais même plus leur nombre.

Lorsque, par la suite, on me charge d’aller dire aux autres que tout ça c’est mauvais, vous comprenez un peu ma gêne et mon embarras.

Je pense aussi que ça tient à la foi que j’ai en ce que je fais et aussi à la confiance que mes compatriotes ont en moi. Chaque jour, je me dis qu’il faut que je fasse davantage pour ne pas décevoir cette confiance. Mais il faut savoir aussi que le vieux soldat que je suis s’entretient beaucoup. En effet, j’ai la chance de disposer d’une salle de sport ici que le Président Modibo

Kéïta a fait construire. On m’a dit qu’il était un grand sportif. Cette salle, je l’ai reprise et trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi, pendant une heure, je fais un peu de course, de marche et des exercices au sol.

Monsieur le Président, vous êtes un grand sportif. On dit que vous avez joué dans une grande équipe de Mopti.

Mon sport préféré, c’était le football. Mais j’excellais surtout en tant qu’athlète dans les courses de demi-fond et de vitesse. Mais le football restait la grande passion et j’ai tapé dans le ballon aussi bien à Mopti qu’à l’Ecole Normale Secondaire.

Savez-vous que mon père était le président du Bani Club, le rival du club dans lequel je suis finalement allé ? Un jour, je viens voir mon père et je lui annonce que beaucoup de mes camarades étaient sous licence avec le Bani. Alors, pourquoi pas moi, lui demandai-je ? Peut-être que le Bani n’a pas besoin de toi, m’a-t-il répondu. Ah bon ! Par défi, je suis donc allé signer au Sagan club, adversaire du club de mon père. Et c’est là que j’ai donné un peu la mesure de mon talent. J’étais attaquant jouant au poste d’ailier droit. Et si je devais retenir quelque chose de mes performances, je crois que j’avais une pointe de vitesse et aussi le sens du but. Aujourd’hui encore, je suis un grand fan du football et je m’intéresse au différent championnat national, aux championnats européens, au football continental ainsi qu’aux grandes compétitions internationales.

Le dimanche soir par exemple, je ne rate jamais l’émission de foot de Canal+. Je suis avec beaucoup d’intérêt le parcours des Aigles du Mali et leur souhaite beaucoup de réussite.

Vu le potentiel dont nous disposons, nous ne devrions pas nous faire de souci. Mais, malheureusement, il y a ce déclic qui nous manque et je souhaite vivement qu’ilarrive enfin au cours des matches qui nous séparent de la qualification.

Monsieur le Président, on vous a toujours entendu « égratigner » vos cousins les Coulibaly, Maïga, Kéïta, Sissoko… Que vous ont-ils fait pour mériter un tel traitement ?

Vous savez, je suis né dans un milieu où la parenté à plaisanterie a une dimension culturelle et sociale très prononcée. Chez nous, à Mopti, il y a plusieurs types de cousinage. Il y a celui qui porte sur les patronymes, mais il y a aussi cette autre forme de cousinage qui se fonde sur les liens de sang. Mieux, il y a même une journée consacrée au cousinage à Mopti. Ce jour-là, vos cousins les plus âgés vous ligotent et exigent une « rançon » pour vous délivrer.

Moi j’ai grandi dans cette ambiance. C’est une valeur fondamentale qu’on rencontre rarement ailleurs et que nous devons transmettre à la postérité. Dans nos contrées, le cousinage a une telle ampleur qu’il mérite qu’on lui accorde de l’importance.

Tout Président de la République que je suis, quand j’arrive dans certaines localités, je me fais interpeller par des chefs de village. « Touré ni, i tè na né fo wa » (Petit Touré, tu viens pas me saluer).

Pas besoin de faire une enquête pour savoir que l’auteur d’une telle interpellation est un Coulibaly. Voyez-vous, le cousinage tel que nous le pratiquons au Mali, est un puissant trait d’union entre les individus et les communautés. Mais c’est surtout une stratégie imparable de prévention et de gestion des conflits.

Et pendant ces cinq ans, moi j’ai sorti la grosse artillerie pour taper sur mes cousins Coulibaly. Je leur ai notamment exigé de voter pour moi, et au regard de mon score, je peux dire qu’ils l’ont fait.

Maintenant, il va falloir que je trouve d’autres cibles pour la période qui s’ouvre. Mais, mon petit doigt me dit que ça risque d’être la fête aux Maïga. La raison est que les Kéïta sont rentrés dans mes bonnes grâces en épousant ma première fille, et les Sissoko, pour leur part, sont mes oncles (la mère de ATT est Sissoko). Reste donc les Maïga pour essuyer mes foudres ! Figurez-vous qu’à chacun de mes voyages à l’intérieur, je reviens avec 60 à 100 kg de haricot, « la chose des cousins ». Le rituel est devenu si rodé qu’à l’accueil, il y a toujours l’eau de bienvenue, la cola et l’ « affaire », à savoir le haricot. Je peux vous dire qu’en cinq ans, j’en ai ramené de mes voyages à l’intérieur du pays au bas mot une tonne.

Pourtant, le haricot n’est pas la céréale la moins chère dans notre pays ! Pour tout dire, la parenté à plaisanterie facilite les contacts humains, contribue à détendre les rapports et surtout ramène le pouvoir à une dimension humaine.

Je me suis laissé aller à ce jeu, et mes cousins m’ont prouvé qu’eux aussi ont le sens de la repartie.

Quand je traverse la Région de Ségou, et jusqu’à Koutiala, les chefs de villages et notables que je rencontre me donnent du « Coulibaly ». Avouez que c’est très sympathique !

Monsieur le Président, vos compatriotes vous désignent majoritairement par vos trois initiales, ATT. D’où vous vient cette appellation devenue si célèbre au point de se transformer en une vraie marque déposée ?

Les initiales ATT, faut pas aller chercher loin, me viennent de l’Armée. L’Armée, vous ne le savez peut être pas, est une entité qui affectionne les initiales et les abréviations. Pour dire Régiment de Para Commando, on dira simplement RPC. De la même manière, on dira RA pour Régiment d’Artillerie ; FSA pour Fusil Semi Automatique ; PA pour Pistolet Automatique ; FM pour Fusil Mitrailleur… Je crois qu’il y avait deux Amadou Touré dans ma promotion : l’actuel Gouverneur de Gao et moi-même. Cela créait une très charmante confusion. Lorsque quelqu’un appelle Touré, nous répondions tous deux en chœur. Qu’une autre personne dise Amadou, encore nous répondions dans un bel ensemble.

Pour remédier à cette situation, c’est le Général Souleymane Sidibé, l’actuel Directeur de l’Ecole de Maintien de la Paix, qui a trouvé la parade en fabriquant pratiquement le label ATT. Et depuis lors, ces trois initiales me sont restées collées. L’appellation a d’abord prospéré au sein de notre promotion de l’Ecole Militaire. Puis, au lendemain des évènements de Mars 1991, les initiales sont devenues une marque déposée. Tout le monde me désigne par ATT y compris certains Chefs d’Etat. Pour la petite histoire, m’adressant un jour au Président Chirac, je lui dis « Monsieur le Président ». D’étonnement, il me dit : « Qu’est-ce qui t’arrive Monsieur le Président ? Tu ne veux plus que je t’appelle ATT ? D’habitude, tu m’appelles

Jacques ». C’est vous dire si le surnom ATT va bien au-delà des frontières du Mali.

On vient de me présenter un enfant qui serait né en 2002, précisément le jour du second tour de l’élection présidentielle. Son père m’a confié qu’il a quitté la maternité pour se rendre à son bureau de vote. Cet enfant voulait coûte que coûte me voir, et moi aussi, j’étais heureux de faire sa connaissance.

Aucun enfant ne m’appelle Tonton ou Papa, tous préfèrent de loin ATT. Mes propres enfants, jusqu’à un certain âge disaient, elles aussi, ATT. Mon petit-fils qui parle à peine ne peut dire ATT ; il réussit à peine à articuler « TT ». Pour le moquer, je lui dis : « TT, c’est pas moi, c’est mon père ! ». Au fond, ATT, ça fait plus intime et affectueux. Je m’en accommode sans réfléchir.

Monsieur le Président, comment expliquez-vous le grand amour entre vous et les enfants ?

Très jeune, à Mopti, j’ai toujours vécu dans les classes d’âge. Aujourd’hui encore, je garde des contacts étroits avec les amis de ma classe d’âge, qu’ils soient à la retraite, qu’ils soient maçons ou pêcheurs, qu’ils soient menuisiers ou chômeurs. On se rencontre chaque semaine pour revivre cette atmosphère. Et lorsque je vais à Mopti, c’est la même chose. Par exemple, j’ai un ami avec lequel j’ai partagé le lit pendant 10 à 15 ans ; il est chanteur dans l’orchestre de Mopti, le Kanaga. Il s’appelle Sékou et il continue à chanter. Depuis le jeune âge, j’ai toujours rassemblé les enfants. Je me suis occupé d’eux en équipe de football.

Je les aime bien. Ils sont si spontanés. Je vois des enfants qui peuvent à peine dire un mot, ils prononcent ATT. Partout où je vais, au Mali, en Afrique ou ailleurs, les enfants viennent à moi. Il y a aussi cet élan qui me porte vers eux. C’est très fort et on saurait difficilement expliquer cela de façon rationnelle. Si les enfants devaient voter, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas d’élection au Mali car je gagnerais à tous les coups.

Moi-même, à un certain moment, il faut que je prenne le temps de consulter un marabout Coulibaly ou Kéïta (rires) afin qu’il m’explique la raison profonde de l’attachement des enfants à ma personne. On m’a raconté une histoire très amusante relative à la dernière élection présidentielle. Des enfants étaient à proximité d’un bureau de vote et suppliaient les électeurs de voter ATT au motif que ATT est leur ami.

Entre les enfants et moi, il y a autant de la complicité que de l’affection partagée. Et mon père me disait très souvent que l’enfant aime celui qui l’aime. C’est aussi simple que ça !

Je leur dois tant que tout ce qui les touche ou touche leurs mères est prioritaire pour moi…

A suivre…

Propos recueillis par Diarra Diakité

(Le Contrat No 20 du jeudi 07 juin 2007)

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