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Gastronomie traditionnelle : Le tô résiste à l’évolution

Mariage réussi entre la pâte et la sauce, il trône sur la liste des meilleurs plats de grand-mère et demeure l’un des mets préférés de chez nous

Les vieilles marmites font les meilleures sauces, a-t-on coutume d’entendre dans les conversations. On peut dire autant des recettes de grand-mère qui, pour certaines, ont tendance à tomber dans les oubliettes. Un mets échappe fièrement à cette terrible règle. Un peu de suspens pour aromatiser notre propos. Je suis un mets très courant au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire, ainsi qu’au Burkina Faso. Je suis cuisiné à l’aide d’un fouet, à base de farine de mil ou de sorgho et d’eau. Je suis servi sous forme de pâte et consommé avec une sauce. Qui suis-je ? Tô! « Ah, les jeunes ne savent plus préparer de nos jours ! », provoque la vieille Adja qui a tenu à sermonner sa fille de 16 ans, Salma. Il y a de quoi. La jeune femme, fiancée depuis quelques mois, vient de passer à côté de sa sauce arachide. Elle a commis l’impair d’oublier le sel. Ce n’est pas le plus grave : la cuisson du bouillon d’arachide n’était pas à point.

Crier haro sur Salma pour avoir rater sa cuisine est une sentence quelque peu sévère. Pour cause, la veille, la famille Diarra a honoré sans modération la friture de viande d’agneau et les bananes plantains, assaisonnées d’une vinaigrette à la mayonnaise. La jeune dame sait faire ces genres de petits plats exotiques. Les mets traditionnels, en revanche, ne sont pas dans ses cordes. Et pourtant !
Et pourtant, certains de ces plats traditionnels reviennent au goût du jour. Nostalgie ou reconnaissance d’une valeur sûre ? Mamadou Sidibé, entrepreneur établi au Badialan III, confie que les plats traditionnels sont de loin meilleurs que les « petits plats » que nos épouses prennent du plaisir à servir à la maison. « J’aime le tô, le couscous à base de mil et surtout le laaro », salive l’entrepreneur. Et il ajoute quelques ingrédients : « Tu sais, avec un peu de poisson sec, du beurre de karité pur, du sel et un peu de bonne volonté, l’affaire est dans le sac… Avant, il n’y avait rien de tout ce qu’on voit aujourd’hui. Pourtant, les gens mangeaient bien et tombaient moins malades».

LES VIEILLES MARMITES. La voilà déclarer une guerre de génération. Nos mamans savaient-elles mieux cuisiner que nos sœurs et nos épouses ? « Ah oui ! », tranche sans concession Flakè, de son vrai nom Abdoulaye Diallo, 32 ans, gardien d’une ferme et jardinier à ses heures perdues.
Quels sont les plats traditionnels encore en vogue ? Il est hasardeux de réussir un classement sans polémique. En la matière, c’est une question de goût et de culture. En tout état de cause, posons le débat. Le tô, pâte de mil, sorgho, riz …, revendique le podium. Depuis la nuit des temps, ce plat est servi dans tous les milieux. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, partout au Mali, le tô est connu.

Ce plat est la base de l’alimentation des paysans dans le pays profond. Toutes les céréales, sans discrimination aucune, y trouvent leur place. Facile à préparer, la pâte est consommée avec une sauce de gombo, de tomate et de feuilles. La recette dépend des cultures et des habitudes culturales. Certains poussent la gourmandise jusqu’à l’associer au lait.
« Je n’aime pas le tô mais je l’adore », exagère Ablo, mécanicien qui, heureuse coïncidence, se voit servir du tô à son lieu de travail par son épouse qui porte sur le dos leur dernier né, Moussa. « Ma femme sait mes goûts. Et avec le peu de moyens dont nous disposons, elle arrive à me faire plaisir en me cuisinant mon plat préféré », ajoute le mari comblé. Ses apprentis se lèchent les doigts quelques minutes plus tard après avoir honoré la nourriture.

Ce mets qui traverse les âges sans prendre une ride, est proposé dans certains restaurants une fois la semaine. « Je mange du tô tous les vendredis à la maison ou au restaurant », témoigne un employé de commerce. Dans certaines gargotes, il est préparé tous les jours. Avec 100 Fcfa, il y a déjà de quoi alimenter l’estomac. Plus la bourse du client est conséquente, mieux le plat est savoureux. Le supplément est constitué de viande ou de poisson. Une sauce de tomate rejoint la sauce de gombo sur les hauteurs de la pâte pour remonter le goût du plat. Pour les conservateurs, le tô mérite le respect. En ce sens qu’il faut le manger à la main pour en tirer le maximum de plaisir et de saveur.

À LA MAIN. Manger à la main est d’ailleurs culturel. Amadou Hampaté Bâ en a dit du bien. Le sage va jusqu’à le recommander aux fils du continent. Pour lui, s’asseoir en groupe pour partager un repas relève carrément de l’ordre du sacré. Dans la culture de différents peuples, manger ensemble (encore mieux avec les mains) représente un rituel qui a ses principes. Il a pour avantage de consolider les liens et cultiver les vertus de solidarité, de partage et d’amour. Malheureusement, le constat qu’on peut faire de nos jours est que cette méthode d’éducation au sein des familles tend à disparaitre. Dans son ouvrage « Amkoullel, l’enfant Peul » paru en 1991, l’écrivain et historien malien Amadou Hampâté Bâ raconte son enfance avec le but de donner du sens à l’éducation. Il ne manque pas de peindre les clichés des repas communautaires partagés en famille.
Retournons à table. Et voyons comment le tô est préparé chez différentes ethnies. Au Nord du Mali, nous sommes chez les Sonrhais. Cultivateurs aguerris, ils consomment beaucoup le tô, surtout la nuit. La pâte est plutôt diluée, tendre. Elle est servie avec la sauce gombo.

Accessoirement, on y ajoute du beurre de vache. Un peu plus au centre, au pays Dogon, le tô prend le pouvoir à la maison. Connus pour être de grands cultivateurs de mil, les Dogons mangent de ce plat mythique à tout moment de la journée. Chez eux le tô est plus dur, raffermi. Chez les Bambaras, il est également très consommé. La croyance populaire leur en attribue la paternité. Dans les milieux urbains, le mets prend des déclinaisons en fonction des fortunes. On y ajoute du poulet et peut être même du caviar. Qui sait ?
Le Mali n’est pas le seul pays dépositaire de ce plat. Le Burkina Faso, le Bénin, le Togo où il est appelé « akoumé » et la Côte d’Ivoire en mangent très souvent. La gargote de Tantie (surnom) est aux abords du marché de Railda, derrière l’Assemblée nationale. De son aveu, le tô est le mets le plus demandé par ses clients. « Ils aiment le tô, surtout avec le gombo frais », confie la tenancière du petit restaurant du bout de la rue. Elle sert le plat à chaud par pièces superposées à 100 Fcfa l’unité. La sauce de tomate qui arrose le gombo généreusement coulé, est offerte.

Certains clients fidèles, des commerçants, des démarcheurs, des porteurs et des tailleurs du marché ont même droit à un traitement particulier. Une espèce de carte de fidélité. Quelques morceaux de viande coiffent leur plat. à côté de sa mère affairée à satisfaire sa clientèle par son plat national, la petite Abi, 3 ans à peine, se lèche les doigts après avoir avalé deux grosses boules de tô.
C’est bon ? « Awo (oui)», répond la petite aux cheveux sommairement tressés, secouant sa tête de bas en haut à la manière d’un magouillat enchanté.

Qu’en disent les médecins ? Du point de vue de la santé, le tô est plutôt conseillé par les médecins. Facile à digérer, les personnes du 3è âge en font leur aliment de base. Malgré ses bienfaits, dans le milieu juvénile, le tô est souvent méprisé. « Papa, je n’aime pas le tô », entend-t-on dans certaines familles nucléaires et quelque peu formatées au mode de vie moderne.
Dans ce milieu inhospitalier, il se laisse appeler « l’Afrique en danger ». Certains disent qu’ils en ont tellement mangé à l’enfance au village qu’ils n’en veulent plus. Alors question : pourquoi cet honorable repas est traité avec si peu de respect ?

Amadou. CISSÉ

Source : L’ESSOR

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