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Lignes haute tension : Attention danger de mort

Couchée sur un lit, dans une chambre de l’hôpital Gabriel Touré, l’adolescente Fatoumata Témé avale difficilement une gorgée de bouillie que lui donne sa petite cousine âgée de 5 ans. Cette scène émouvante s’est produite pendant que sa mère était aux toilettes. En effet, la fillette peine à trouver l’équilibre nécessaire pour boire. Âgée de 13 ans, elle se retrouve aujourd’hui avec les quatre membres amputés à cause d’un incident qui aurait pu lui coûter la vie.

L’on s’en souvient. Le 17 juillet dernier, Fatoumata Témé a reçu une décharge électrique foudroyante, provoquée par une ligne haute tension suspendue non loin du toit de la maison où elle travaillait comme domestique. Que s’est-il passé ? «Avec une barre de fer, j’ai voulu décrocher un habit de la ligne haute tension. Puis plus rien. Je me suis réveillée à la maison», marmonne la domestique.

«Quand Fatoumata est arrivée ici, ses membres étaient déjà raides, elle avait déjà passé quelques jours à la maison avant de venir à l’hôpital. Faute de soins appropriés à domicile, les vers avaient déjà infecté ses membres. Après consultation de spécialistes ici au Mali, en France et aux états-Unis, la seule alternative pour sauver sa vie, c’était l’amputation des quatre membres», confesse Adam Telly, responsable du service social du CHU Gabriel Touré.

La mésaventure de Fatoumata n’est malheureusement pas un cas isolé. D’autres accidents similaires avaient été enregistrés à Bamako auparavant. Et la cause serait due à une urbanisation galopante, anarchique et incontrôlée. «Le taux d’urbanisation annuel du Mali, qui est de 4,9% par an, dépasse de loin le taux de croissance démographique global, qui lui s’établit à 2,9% par an. Actuellement urbanisé à 41%, le pays devrait franchir la barre de 48% d’ici 2030», analyse un rapport de la Banque mondiale intitulé : «Bamako : Un moteur de croissance et de prestation de services. Analyse du secteur urbain».

IMAGINER LE PIRE- À Tiébani, un quartier périphérique de la capitale, les chantiers poussent comme des champignons. Des lignes haute tension s’étalent sur plusieurs kilomètres, surplombant certaines maisons déjà habitées ou en cours de construction. Mohamed Barry dit avoir déménagé dans le quartier, il y a quatre mois. «Je suis surpris de voir des familles entières résider si près des lignes haute tension. Quand je fais la marche le petit soir et que je vois des enfants et des groupes de jeunes sous les lignes, je ne peux m’empêcher d’imaginer le pire» s’indigne-t-il. Il y a moins d’un mois un poteau électrique a provoqué un incendie vite maîtrisé. Cependant, une dizaine de maisons sont restées dans le noir. «Je n’ose pas imaginer les dégâts que pourraient provoquer les lignes haute tension», renchérit Mohamed Barry.

à quelques encablures de là, se trouve un garage de mécanique automobile, en dessous de la ligne haute tension. Siriki Diarra, un apprenti mécanicien, affirme être conscient du danger. Mais n’ayant pas d’autres choix, il se voit obligé d’y travailler à défaut de trouver un emploi ailleurs. Une opinion partagée par ses collègues. Au moins cinq garages auto se trouvent sur le même alignement.

Plus loin se tient un petit jardin maraîcher appartenant à Assa Doumbia. La quinquagénaire aussi se dit consciente du danger mais n’a pas d’autre alternative pour survivre. «à deux reprises, j’ai dû abandonner mes cultures. Les propriétaires ont repris leur terrain. Ici, au moins le terrain n’appartient à personne, j’espère qu’on ne viendra pas me déguerpir un jour», dit-elle.

Non loin de là, la haute tension passe au-dessus d’une maison. Un groupe de jeunes discute à côté. «Nous connaissons les risques encourus. Il nous arrive d’en parler avec le chef de famille, un pharmacien. Il dit disposer d’une autorisation de construire», répond le groupe.

LA RÈGLEMENTATION EN LA MATIÈRE-Interrogé, le directeur national de l’urbanisme et de l’habitat est formel. «La marge latérale à observer le long des lignes haute tension est de 25 à 50 mètres suivant l’intensité conformément au décret n° 113 du 09 mars 2005 fixant les règles spécifiques applicables en matière d’urbanisme», précise Almaimoune Ag Almoustaphe. Selon lui, toute personne vivant près des lignes haute tension s’expose à de graves dangers d’électrocution et d’incendie. Il est démontré qu’une longue exposition aux ondes électromagnétiques est cancérigène, ajoute le responsable.

Autre lieu, autre scène. Nous sommes à Sirakoro, dans la Commune rurale de Kalaban-coro. Une station-service est construite sous une ligne haute tension. Interpellés, les pompistes visiblement occupés à servir leurs clients soutiennent qu’ils ne font que leur boulot. «C’est ça ou le chômage», acquiescent d’un signe de tête les autres pompistes.
Il est 16 h. Un groupe de jeunes hommes s’affairent sur un terrain vide. Ils se préparent à jouer un match de football sous la ligne haute tension. Leila Camara, une étudiante en colère dit ceci : «Ça m’énerve tellement de les voir jouer ici, ils ne se préoccupent pas des risques encourus».

Tout au long de la route, sur plusieurs kilomètres, lavages auto-motos, kiosques, boutiques, fleuristes, restauratrices et cabris sont confortablement installés sous les lignes haute tension. à la question de savoir s’ils quitteront les lieux pour sauver leur propre vie, ils soutiennent qu’à moins d’être expulsés. Ils disent ne pas se plaindre et les activités marchent. En outre, Boubacar Coulibaly, gérant d’un lavage-auto, affirme avoir l’autorisation de s’installer et s’acquitte régulièrement de ses taxes.

Pour Ahmed Kanté, enseignant à la retraite, tout ceci est de la faute des autorités. Tout le monde voit ce qui se passe ici à Sirakoro. De hauts responsables de ce pays vivent ici : gouverneurs, ministres, directeurs de grandes institutions, chacun passe son chemin. Certains riverains ont interpellé la mairie en vain, se plaint le retraité.

Les conséquences sont pourtant réelles et connues de tout le monde. En la matière, Dr Ibrahim Haïdara ajoutera qu’en plus du cancer, la probabilité d’attraper des maladies neuro-dégénératives (comme l’Alzheimer) est très élevée chez les personnes habitant à proximité des lignes haute tension ou exposées dans le cadre de leur profession.

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