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In-tillit dans la Région de Gao : L’irrésistible attraction de l’or

Certains appellent déjà la localité la ville bleue à cause des nombreuses tentes en bâches de couleur bleu ciel, visibles de loin. En plein désert, la localité d’In-Tillit, située à 90 km de Gao, était presque dans l’anonymat total, il y a moins d’un an. Mais avec la récente découverte de son potentiel aurifère, elle attire irrésistiblement des milliers d’orpailleurs. In-Tillit a pris une nouvelle dimension

Chaque jour, d’interminables convois de jeunes quittent la ville de Gao pour le site l’orpaillage d’In-Tillit. Les voitures les plus adaptées pour ce trajet sont les pick-up, à cause de l’état difficile de la route et de la capacité de transport de ces véhicules. Souvent des passagers qui ne trouvent pas de place à l’intérieur des véhicules, s’installent sur le toit, au mépris des risques.

Le voyage n’est pas sans danger car les conducteurs roulent à tombeau ouvert. «Chaque pick-up peut prendre au moins une vingtaine de personnes en plus de leurs bagages. Le coût du transport est de 5000 Fcfa par personne. Donc nous pouvons gagner entre 90.000 et 100.000 Fcfa par voyage», confie Ag Mossa, un conducteur de pick-up, la moitié du visage caché derrière un turban.

Ils sont nombreux les transporteurs comme lui à tirer leur épingle du jeu, à travers cette nouvelle activité. Une véritable économie s’est créée autour du business de l’orpaillage. Le métal précieux brille pour beaucoup de personnes dans la chaine de cette économie. Pour comprendre quelques paramètres du système, nous empruntons le chemin du site.

Les groupes armés font partie des principaux acteurs de cette mini-industrie. Sur la route entre Gao et In-Tillit, les check-point anarchiques sont légions. Il n’est pas rare de voir des groupes d’hommes, qui souvent ne sont même pas armés, demander aux voyageurs de payer entre 2000 et 2500 Fcfa. à la sortie de Gao, nous dépassons un groupe de jeunes Nigériens en partance pour In-Tillit. Une dizaine, baluchons sur la tête, ils sont décidés à faire le trajet de 90 km séparant Gao du site d’orpaillage à pied. Faute de quoi payer le transport, expliquent-ils.

Les maîtres des lieux- L’entrée du site est sécurisée par un groupe de jeunes, armes aux poings. Presque camouflés, ils sont installés sous un arbre. Après le contrôle des pièces d’identité, la règle est simple : payer 2000 Fcfa, pour les Maliens et 5000 Fcfa pour les étrangers. C’est le seul moyen pour bénéficier d’un ticket d’entrée et de séjour délivré par une commission mixte, formée par des éléments de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) et de la Plateforme.

La même opération est effectuée pour sortir du site. Une fois dépassé ce comité d’accueil, on aperçoit enfin le site. à première vue, elle donne l’impression d’une nouvelle ville bâtie autour de l’exploitation de l’or. «Impossible de déterminer le nombre d’ouvriers sur le site. Mais, je pense qu’il y a plusieurs milliers de personnes qui travaillent ici, dont la grande majorité ne sont pas des Maliens», explique Ibrahim, un orpailleur malien rencontré sur le site. La quarantaine révolue, cet ancien expatrié en Europe, assure faire partie des tous premiers à avoir débarqué à In-Tillit, dès les premiers mois de la découverte de l’or sur le site.

Dans la multitude de nationalités présentes sur le site, les plus nombreux sont les Nigériens, les Burkinabè, les Tchadiens et les Soudanais. Plusieurs activités animent l’économie de cette petite bourgade. Si les étrangers sont plus nombreux dans l’exploitation des mines, beaucoup de jeunes viennent de Gao pour faire du commerce. «La ville bleue» dispose même d’un quartier des affaires, dénommé «Sardjila», où se mène le business. «Tout s’achète ici, à condition d’y mettre le prix», lâche un boucher, installé dans ce quartier et occupé à charcuter un gigot.

Les commerces sont multiples à «Sardjila», de la restauration à la vente de médicaments. Plus loin, de la boucherie, on peut apercevoir un salon de coiffure à côté d’un cabinet de guérisseur traditionnel. «Bienvenue chez nous. Vous connaissez la particularité de cette ville ? Ici quand on n’a pas d’argent, on ne mange pas !», prévient notre boucher avec un trait d’humour.

Il s’empresse d’argumenter en expliquant que les prix normaux des produits sont systématiquement doublés sur le site. «Le sac de charbon coûte 10.000 Fcfa, la plaquette de paracétamol 300 Fcfa, le kilo de viande 5000 Fcfa …», énumère-t-il. La spéculation n’épargne même pas l’eau, dont le bidon de 25 litres se négocie entre 750 Fcfa et 1000 Fcfa. Le liquide précieux étant transporté par citernes depuis Gao.

Une ville sans femmes- L’autre singularité de ce site d’orpaillage est certainement qu’il n’y aucune femme à l’horizon. à la question : où sont les femmes ? Elles ne se sont pas tolérées par les groupes armés, répond-on. à la grande détresse de certains jeunes orpailleurs qui ne seraient pas contre un peu de compagnie féminine.

«Il n’y a pas de femmes ici. Au début, des femmes ont essayé de venir, mais les groupes armés les ont sommées de quitter et de ne plus revenir», relate un jeune vendeur de boissons. La discipline est stricte. «Ici, même la vente d’alcool est strictement prohibée. Celui qui se ferait surprendre à le faire aurait de sérieux soucis», poursuit notre interlocuteur.

L’or à tout prix- L’activité principale sur le site demeure bien l’orpaillage. Et le travail n’est pas de tout repos. Les conditions de vie des orpailleurs sont dignes de vrais survivants. La plupart des gens s’abritent sous des tentes de fortune en bâches, attachées à des piquets. à défaut de tente, un abri sous un arbre fait l’affaire de certains. «Le travail est dur ici. Nous partons pour les mines à 7 heures et nous revenons en début de soirée vers 18 heures», témoigne un jeune orpailleur nigérien.

Le visage couvert de poussière, les mineurs travaillent souvent sous un soleil ardent. Le travail est rythmé par les bips des appareils détecteurs de métaux et le bruit des coups de pioches qui fracassent les roches. Tout le monde espère tomber sur un gros morceau du métal précieux. Chose qui n’arrive pas tous les jours, même si la chance sourit souvent à quelques veinards.

«L’autre jour, un gars est tombé sur un lingot de 4 kg d’or non loin de notre site», confie Ibrahim, qui précise que pour ce type de «grosse prise» les orpailleurs sont souvent obligés de partager avec les maîtres des lieux. Compte tenu de la rareté de ce type de trouvaille, certains orpailleurs s’en sortent autrement. Ils en recueillent des tas de roches susceptibles de contenir des pépites d’or. Stockés dans des sacs, les graviers sont revendus à d’autres exploitants qui disposent de machines plus sophistiqués capables de concasser les graviers afin d’extraire le métal jaune.

Cette exploitation de l’or n’est pas sans conséquences négatives. Bien qu’acteur de la pratique, Ibrahim se dit préoccupé par certains de ces aspects. «La région de Gao ne profite pas vraiment de cette exploitation. La plupart des exploitants étant des étrangers, l’or est expédié vers l’extérieur», déplore-t-il tout en soulignant également le péril environnemental que l’exploitation aurifère fait subir à la faune et à la flore locales.

«Il y a des exploitants qui travaillent sans respect pour la nature, soutient-il. Beaucoup d’arbres sont déracinés et de nombreux animaux tombent dans les trous laissés par les orpailleurs. A tel point qu’il est maintenant presque impossible de faire le pâturage ici».

Envoyé spécial
Mohamed TOURÉ

Source : L’ESSOR

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