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Raisins de la colère (12) : L’horreur

Lisa mort avait surpris son amant et sa sœur en pleins ébats sexuels. Sa rage passablement contenue n’avait d’égal que sa double idée de meurtre et de suicide. Sourire aux lèvres, elle courait se jeter au fond du puits.
 

Incapable de dormir, la tête lourde de mille et une pensées tantôt désespérées tantôt réconfortantes, Anne ne s’était pas couchée. L’ayant constaté, N’a-qu’un-pied enfouissait sa main droite dans ses longs cheveux pour qu’elle s’arrachât à sa tristesse, pour l’inoculer l’énergie de ses doigts réparatrices des ravages de l’insomnie. Anne ressentait l’immense besoin de présence masculine.

Peu importait le visage : il pouvait être celui du faux douanier Seydou, de son soupirant Oumar ou de n’importe quel homme. Elle ne pouvait pas résister au plaisir des sens. Sa main suppléante parcourait la poitrine poilue d’Edouard. Physiquement ne restait-il pas pour elle un sourd besoin ? Sa bouche sensuelle rencontrait les lèvres du monsieur.

Qui l’embrassait avec la force de ces tornades s’abattant sur les terres assoiffées. En lieu et place d’ordinaires protestations de femme s’affaiblissant au fur et à mesure que les secondes passent, elle émettait malgré elle des cris rauques de bête blessée. Lisa n’était pas loin. Elle s’était rapprochée sur la pointe des pieds, assistait au spasme d’amour suivi d’un silence.

Son regard errait dans la pièce austère et faiblement éclairée aux murs décrépis. Elle restait muette pendant de longues minutes, puisant en elle toute la force de dissimuler son désarroi sous un sourire narquois. N’a-qu’un-pied l’observait avec une vive inquiétude. Lisa tentait un nouvel effort pour parler, mais son visage exprimait une souffrance infinie pendant qu’elle murmurait dans un souffle : « quand l’espoir et le désespoir se côtoient la vie n’a plus de sens. Ce monde ne vaut pas la peine d’être vécu. »  

Colère et honte

La double idée de meurtre et de suicide effleurait ses pensées. Il fallait tuer son amant pour l’empêcher de continuer à nuire à sa sœur. En finir avec cet homme ignoble, puis écourter sa vie terrestre qui n’était qu’une succession d’échecs, d’humiliations jusque dans son lit. Comment n’avait-elle pas découvert cela plus tôt ? Lisa frissonnait de colère et de honte.

Elle sentait un malaise et était à un doigt de perdre connaissance. D’un  pas décidé, elle courait se jeter au fond du puits resté ouvert. Un seul cri, puis rien.  N’a-qu’un-pied accourait sur le lieu du drame, laissait tomber sa tête dans ses mains et demeurait un instant accablé : « O mon Dieu. » De longues minutes après, il relevait sa tête pâle et décomposée, son front était couvert de sueur malgré la fraîcheur.

Ni lui ni la sœur de Lisa n’étaient capables d’un tel geste fait de sacrifice ultime.  Les deux se cramponnaient à la vie avec tant d’énergie qu’ils s’étaient mis à réfléchir et à mesurer la perte d’un don de soi exceptionnel. N’a-qu’un-pied passait tous les degrés du malheur que subissait l’amant responsable du suicide. Il commençait par le choc émotionnel, puis venait à se culpabiliser, enfin Dieu était son dernier recours. Il priait le Seigneur pour qu’il l’accordât la paix intérieure. Malgré ses ferveurs prières, la douleur gonflait dans son cœur. Il ne priait plus avec ferveur mais avec rage. Rien ne les interrompait que le retour d’Anne qui avait informé les voisines dont Rokia.

La nature humaine répugne au crime. Cependant elle a engendré des besoins, des vices qui étouffaient parfois les bons instincts et conduisait au mal.

Une mare de sang s’échappait de trois blessures

Anne jetait un cri, chancelait un instant comme une femme ivre, puis s’élançait dans la chambre à coucher. Elle entendait, le cœur serré, le bruit des sirènes qui déchirait le silence de la nuit, devenait de plus en plus fort, puis rien. Des véhicules de la police et de la protection civile et de la police s’étaient immobilisés devant la porte d’entrée.

Elle mettait le nez dehors, rejoignant ainsi N’a-qu’un-pied resté en compagnie des voisins accourus. Une brochette d’hommes en uniforme équipées qui de cordage, de puissants projecteurs qui d’échelle grouillaient. Plus que jamais, le visage d’Anne exprimait, à la lumière des projecteurs, une anxiété mal contenue. L’extraction du corps était bouclée en moins d’une trentaine de minutes. La masse inerte reposait sur une bâche nageant dans une marre de sang qui s’échappait de trois larges blessures, deux à la tête et une à la poitrine.

Cet affreux spectacle avait rendu l’amie de la défunte, Rokia, presque insensée. Un moment, cette dernière n’éprouvait qu’un besoin, celui de fuir. Elle prenait ses jambes au cou, poussait des cris de terreur en traversant la grande cour avant d’être rattrapée par des policiers. Elle n’était plus maîtresse de ses sens, mais la police regorgeait de fins psychologues qui réussissaient à la calmer.

La douleur est contagieuse. Anne se roulait par terre, s’auto flagellait, puis passait aux aveux, sans que personne mettait son bec dans ses viscères. La police cueillait les deux  amoureux  par dépit qu’elle installât sur la banquette arrière menottes aux poings.

Symbole de l’amour sans calcul

Une triste matinée de juillet, des voitures, des motos stationnaient autour d’une chapelle où s’étaient engouffrées des personnes. Un noyau toujours grossissant de vieux, de vieilles mères, précédés d’un prêtre et de trois servants accompagnaient le corps. Arrivée à l’entrée de la chapelle, la foule en attente se divisait en deux pour livrer passage au cortège funèbre selon l’usage. Dans cet attroupement, l’élément féminin était en nette majorité. On dénombrait les présidentes des associations de femmes victimes de mauvais traitements, des dolotières, des ressortissants bwa. S’étaient agglomérées  de vieilles demoiselles sentimentales armées de couronnes de fleurs qu’elles posaient sur le cercueil en bois massif scintillant sous les réverbères de la chapelle. Les bonnes âmes n’avaient point lésiné sur les finances. Toutes magnifiaient ainsi la vie d’une femme qui avait tout donné sans rien exigé en contrepartie.

En Afrique, particulièrement au Mali, il est d’un certain usage d’embellir, de magnifier la vie de nos disparus parfois au-delà de toute mesure. Celle de Lisa échappait à ce propos. Elle avait su l’aimer comme elle ne l’avait peut être jamais fait. Ça ne suffisait donc pas à l’ignoble compagne d’avoir la chance de vivre au contact d’une femme merveilleuse qui l’avait arraché à son destin de cambrioleur. Il fallait tout à monsieur, absolument tout ! Lisa et sa sœur unique ! Personne ne se risquait à blâmer le geste de la jeune femme suicidée. Au contraire, elle apparaissait sous les traits d’héroïne, on l’avait même décerné un visa céleste.

Une pluie de larmes ravageait les visages très fermés, à la sortie de la messe,  des yeux perdus devant un cercueil en route vers la dernière demeure.  A trois bonnes centaines de mètres de la chapelle, le petit cimetière se dressait là. Des hommes et des femmes s’y étaient rendus massivement pour rendre un dernier hommage à Lisa. Des chants lugubres s’élevaient au ciel. Et un torrent d’applaudissements accompagnait la descente du corps. Bouleversées, des femmes se frappaient frénétiquement la poitrine en s’écriant : « Avec elle disparaissait le symbole de l’amour sans calcul. »

Une année plus tard, sa tombe est de loin la plus fleurie, prouvant ainsi à la postérité que sa mémoire est encore vivace dans les esprits. Mort où est ta victoire !

Source: L’Informateur

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