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«L’art des forgerons africains», les maîtres du feu en Afrique

«Hochet», (artiste inconnu). L’une des plus impressionnantes sculptures rituelles réalisées par les Chamba et leurs voisins Vere. Nigeria, XIXe-XXe siècle, fer. «Frapper le fer», au musée du Quai Branly. © Siegfried Forster / RFI
Texte par :
Siegfried Forster
Symbole de prospérité et d’autorité, de la toute-puissance et de l’éloquence, le travail du fer est un art millénaire. Au Musée du Quai Branly à Paris, l’extraordinaire exposition Frapper le fer nous révèle les multiples dimensions de l’art des forgerons africains, du XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.

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C’est l’une des traditions de fer forgé les plus sophistiquées au monde. En Afrique, les forgerons jouissent d’une réputation pratiquement divine. Au Musée du Quai Branly à Paris, 230 pièces historiques et contemporaines exceptionnelles du Nigeria, du Mali, du Bénin ou de la République démocratique du Congo nous familiarisent avec la beauté frappante des couteaux de jet ou le rôle des rois-forgerons luba, avec les ornements et le pouvoir, les fers chrétiens et musulmans… Depuis 2 500 ans, les prouesses techniques des forgerons ont investi en Afrique à la fois les actes sacrés et la vie quotidienne.

Entretien avec le commissaire américain de l’exposition Tom Joyce. Lui-même forgeron et sculpteur, il a piloté un comité d’experts pour monter cette exposition, d’abord avec le Fowler Museum à l’université californienne d’UCLA avant de la faire venir à Paris.

RFI : Votre exposition Frapper le fer montre des pièces du XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui. Considérez-vous les forgerons africains comme des artistes ?

Tom Joyce : Complètement. Les forgerons que j’ai rencontrés et avec lesquels j’ai travaillé dans six pays africains différents ont une approche aussi artistique que celui de tout autre artiste en Occident. Ils emploient leurs connaissances et leurs savoirs pour concevoir des objets à la fois utilitaires et esthétiques.

Quelle est la différence entre un forgeron en Afrique et un forgeron en Europe ?

La virtuosité des œuvres exposées ici ne pourrait souvent pas être reproduite avec des outils européens. Donc la différence principale réside dans les outils utilisés, développés pendant des siècles. En Afrique, de nombreux ont une forme complètement unique et spécifique aux groupes culturels. Ils ont l’habitude d’utiliser ces outils depuis leur enfance. Un aspect qu’on montre tout au début de l’exposition, c’est la nature très efficace de beaucoup d’outils en Afrique. Ils ont été conçus pour être confortables, efficaces, même si nombre d’entre eux ont l’air très spéciaux et inhabituels. Souvent ils sont forgés comme une prolongation de la main du forgeron et en possèdent toute l’utilité et la fonctionnalité. C’est pensé pour pouvoir travailler rapidement et efficacement la matière afin de lui donner la forme désirée.

L’exposition s’ouvre avec un chef-d’œuvre du royaume du Kuba. Cette statuette du XVIIe siècle a été forgée avec des doigts séparés et des pouces méticuleusement soudés. Pourquoi est-ce le point de départ de Frapper le fer ?

Le fer s’oxyde très rapidement en milieu humide. Pour cela, il existe très peu d’anciens objets en fer forgé dans les collections archéologiques pour retracer l’histoire de l’art des forgerons. Cette figure du XVIIe siècle, réalisée par la population Kuba dans la région du Congo, est un exemple qui révèle une compétence incroyable. Tout objet figuratif est extrêmement difficile à forger. Par exemple, modeler le visage avec des marteaux, des poinçons, des ciseaux pendant que le métal est encore chaud : ce sont des processus difficiles à maitriser. Et cette pièce du XVIIe siècle est un exemple particulièrement réussi.

Vue de l’exposition « Frapper le fer – l’art des forgerons africains », au musée du Quai Branly.
Vue de l’exposition « Frapper le fer – l’art des forgerons africains », au musée du Quai Branly. © Siegfried Forster / RFI
Vous soulignez également des différences religieuses dans l’art des forgerons africains. Par exemple, il y a les « épées d’honneur » forgées issues de la tradition chrétienne en Éthiopie, et puis il y a les lames calligraphiées musulmanes du Soudan.

Souvent, le fer est utilisé pour ses aspects et ses allusions à un processus de transformation. C’est-à-dire le fait de transformer le fer en métal utilisable. Pour cela, symboliquement, le fer est souvent intégré dans des objets rituels pour représenter la transmission du savoir et des dimensions spirituelles. Chaque œuvre montrée ici possède une fonction très spécifique pour le groupe ethnique dont le forgeron est issu. On ne peut pas faire des généralisations. On doit toujours regarder de très près quelle fonction occupe chaque objet spécifique pendant le rituel pratiqué par le groupe.

L’art du forgeron est souvent considéré comme un art ancien. Quel est son rôle dans les cultures actuelles en Afrique ?

Une chose importante à souligner dans cette exposition est selon moi qu’il ne s’agit pas d’une tradition du passé. Il s’agit toujours d’un engagement actif, participatif, ancré dans la vie quotidienne. Les objets forgés sont toujours utilisés dans les champs et dans des rituels. Souvent, il y a un malentendu selon lequel les forgerons appartenaient au passé. En fait, nous sommes tous toujours dépendants des forgerons. Même aujourd’hui, sans forgeron, il n’y aurait pas de voitures, pas de vêtements, pas d’agriculture, pas de bateaux… Et les forgerons africains d’hier ne sont pas moins importants que ceux qui travaillent aujourd’hui pour l’industrie.

L’art des fourgerons est souvent considéré comme un métier d’homme. Quel est le rôle des femmes dans dans cet art ?

Les objets forgés à petite échelle sont souvent collectivement réalisés par une famille entière. Donc, hommes et femmes y participent, même les enfants à partir de 5 ou 6 ans apprennent à maîtriser la forge. Souvent les femmes activent le soufflet, mais quand le forgeron est absent, elle le remplace parfois. Dans la communauté de Yohonou – un village dans le sud du Togo, où j’ai passé plusieurs années à interroger les forgerons –, le chef du village considère que chaque jeune devrait acquérir la faculté de faire fonctionner la forge, même s’il se décide après à faire un autre métier. Selon lui, la manipulation du métal dans un environnement difficile, voire dangereux, avec de la chaleur, prépare à affronter le monde extérieur. Et il a souvent encouragé les jeunes filles à acquérir les facultés nécessaires pour la forge.

« Herminette cérémonielle », (artiste inconnu). Population luba, RDC. XIXe siècle, fer, bois. Exposition « Frapper le fer – l’art des forgerons africains », au musée du Quai Branly.
« Herminette cérémonielle », (artiste inconnu). Population luba, RDC. XIXe siècle, fer, bois. Exposition « Frapper le fer – l’art des forgerons africains », au musée du Quai Branly. © Siegfried Forster / RFI
► Frapper le fer – l’art des forgerons africains, exposition au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, jusqu’au 29 mars.

► Le 3 et 4 mars, le Musée du Quai Branly accueille le colloque international Frapper le fer. Archéologie et techniques du fer pour faire le point sur l’archéologie du fer dans les pays extra occidentaux.

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