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À Vinexpo Paris et Wine Paris, les taxes américaines sur les vins inquiètent

Des bouteilles de Château Latour dans une boutique de West Hollywood à Los Angeles. George Wilhelm/Los Angeles Times via Getty Images
Texte par :
Agnieszka Kumor
Un nouveau salon professionnel des vins et spiritueux s’installe du 10 au 12 février au Parc des expositions à Paris. Avec cette édition commune, Vinexpo Paris et Wine Paris veulent distancer leur concurrent allemand, ProWein. Mais cette année, la surtaxe des vins français est dans tous les esprits.

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Réunir ses forces, c’est sans doute la chose à faire quand on aspire à devenir le 1er salon mondial dédié aux vins et spiritueux. Mais battre la machine allemande qui attire chaque année 60 000 visiteurs à Düsseldorf n’est pas une mince affaire. D’où l’effort considérable déployé par les deux organisateurs, Vinexpo Paris et Wine Paris, pour répondre aux attentes de quelque 30 000 professionnels attendus au Parc des expositions à la porte de Versailles. Des importateurs, des cavistes, des sommeliers et des journalistes venus du monde entier dans la capitale française participent aux dégustations qui s’accompagnent de rendez-vous professionnels. Par ailleurs, les conférences thématiques autour des régions viticoles, des cépages autochtones ou encore des sols (pour n’en citer que quelques-unes) sont très suivies. Malgré l’engouement que suscite le salon parisien, des sujets d’inquiétude troublent la planète vin.

Brexit, Chine, et maintenant Trump…

Le ralentissement du marché chinois, le Brexit et ses conséquences, et l’augmentation des taxes américaines sur bon nombre de produits européens commencent à peser lourd sur les échanges mondiaux de vins. En 2018, 108 millions d’hectolitres ont été exportés en volume pour un montant total de 31 milliards d’euros en valeur (source : OIV). Sur ce marché, la France garde une place de choix en tant que premier exportateur mondial en valeur (9,3 milliards d’euros en 2018).

Mais aujourd’hui les exportations françaises de vins vers les États-Unis sont plombées par la taxe Airbus. Instaurée le 18 octobre 2020 par Washington, en représailles à des subventions versées à l’avionneur européen, cette taxe de 25% cible certains produits européens comme l’huile d’olive espagnole, les spiritueux écossais et irlandais, les fromages italiens ou encore les engins de chantier allemands. La liste est longue, mais extrêmement sélective avec effet immédiat sur le commerce. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères confirme : « Les exportations de nos vins vers les États-Unis ont baissé de 44% en fin 2019 ». Le gouvernement a décidé de mettre en place une série de mesures pour faire face à cette situation. « Nous faisons plus de promotions pour trouver d’autres marchés à l’international. Pour cela le budget de Sopexa [ndlr : Agence de communication internationale food & drink] a été doublé. Business France monte les actions supplémentaires à l’international pour accompagner les entreprises françaises. Par ailleurs, nous avons demandé au niveau européen la mise en place d’un fonds de compensation. Ce serait un outil très précieux pour accompagner la filière vitivinicole dans ces moments compliqués. »

En attendant, les pertes s’accumulent. La Fédération des exportateurs de vins & spiritueux de France (FEVS) tire la sonnette d’alarme : « Ce marché est irremplaçable pour notre filière, il a un impact majeur sur le chiffre d’affaires et, plus encore, sur la marge réalisée par les entreprises exportatrices », rappelle Fabrice Latour, vice-président de la FEVS. Cette situation provoque l’inquiétude des deux côtés de l’Atlantique.

► À écouter aussi : Taxes américaines sur le vin: «Un conflit qui nous dépasse»

La filière vin en France fait ses comptes

À commencer par les producteurs, et notamment ceux des grands crus. Ces vins nobles dont le prix moyen à la production est supérieur à 22,50 euros la bouteille représentent plus de la moitié des expéditions bordelaises en valeur (1,15 milliard d’euros). Les domaines font leurs premiers bilans, et partout c’est la même constatation : le marché américain est en train de ralentir.

Ronan Laborde, président de l’Union des grands crus de Bordeaux (UGCB), précise : « Les taxes américaines ont été mises pour une durée non déterminée. À l’issue de la première période qui s’achève à la mi-février on saura quels nouveaux produits seront ciblés. Mais aussi quel sera le niveau de taxes. Pour l’instant, elles sont de 25% ». Ce propriétaire de Pomerol souligne qu’aujourd’hui cette surtaxe est partagée par la chaine commerciale. Elle est constituée du « producteur qui vend son vin à un négociant de la place de Bordeaux, qui le vend ensuite à un importateur aux États-Unis. Celui-ci va revendre le vin au distributeur ou bien, s’il distribue lui-même ses produits, directement au revendeur. Aujourd’hui, l’effort est collectivement reparti entre tous ces acteurs. Mais si les taxes devaient augmenter, le consommateur paiera malheureusement les frais ». Certes, l’appétence des consommateurs avertis pour les vins français est grande. Mais jusqu’où pourront-ils aller si les taxes montent à 100% ?

La bataille des taxes continue dans l’ombre

Cette fois-ci, il est question de la taxe sur le numérique, dite taxe Gafa. Certes, l’administration américaine a décidé temporairement d’abandonner le projet de surtaxer jusqu’à 100% l’équivalent de 2,1 milliards d’euros de produits français. Une décision prise après celle du gouvernement français qui a remis à décembre 2020 l’encaissement de sa taxe Gafa, le temps de mettre en place une taxation internationale au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le 7 janvier 2020, les représentants au commerce du gouvernement américain avaient auditionné les entreprises américaines concernées par les produits français. Une seule question leur a été posée : quel effet aura pour elles l’éventuelle augmentation des tarifs douaniers au-delà des 25% existants ? La réponse a été unanime : ce serait un désastre.

Aux États-Unis, un scénario digne d’un film catastrophe

Robert Tobiassen, président de la Fédération américaine des importateurs de boissons (National Association of Beverage Importers, NABI) à Washington a participé à cette audition. Dans une interview exclusive à RFI, il estime : « Ces taxes ont un effet dévastateur sur toute l’industrie des vins et spiritueux aux États-Unis. Elles détruisent les relations de confiance instaurées depuis longtemps avec nos partenaires européens. L’obligation de payer cette taxe Airbus, à laquelle personne ne s’attendait d’ailleurs, pose un sérieux problème à certains importateurs, qui doivent trouver un arrangement avec leurs banques. » La situation est particulièrement difficile pour les petites entreprises, estime le président de la fédération américaine. Les chaînes d’approvisionnement ont été bouleversées, tout comme le positionnement des produits sur le marché. « Certains de ces produits sont très sensibles aux variations de prix. Quand le prix monte, la demande baisse. Et une fois le consommateur perdu, il est ensuite très difficile de regagner ses parts de marché ».

Ben Aneff, codirecteur d’un magasin de vins et spiritueux Tribeca Wine Merchants au nord de Manhattan, joint par téléphone est catégorique : « Si les tarifs douaniers passent de 25% à 50% et au-delà, on ne pourra plus vendre les vins européens, y compris les vins français. À commencer par les entreprises importatrices qui ne pourront plus, tout simplement, les payer à leur arrivée sur le sol américain. Pareil pour les autres : les distributeurs, les restaurateurs, les cavistes et le client final qui n’acceptera pas de payer un prix double. On risque de perdre ces vins que nous aimons tant. »

Amoureux de l’Europe, Ben Aneff souligne que 60% de son offre vient de France. « Ce serait un énorme gâchis si nous perdions l’accès à ces produits », soupire-t-il. Ce que craint le caviste de Tribeca, c’est l’effet domino sur les entreprises américaines. « La chaine commerciale des vins aux États-Unis, c’est 400 000 emplois. Si les tarifs doublent, des dizaines de milliers de postes risquent tout simplement de disparaître. » Son seul espoir : que les Européens reviennent à la table de négociations.

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