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Inondations à Madagascar: polémique après l’interdiction des levées de fonds

Lundi 27 janvier, Nicolas Dupuis, le sélectionneur des Barea, l’équipe nationale de Football, a fait un don personnel d’1,2 tonne de riz pour les sinistrés des inondations. Il est venu déposer les vivres dans les locaux du BNGRC. RFI/Sarah Tétaud
Texte par :
Sarah Tétaud
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35 morts, 10 disparus et 126 500 sinistrés , c’est le dernier bilan des inondations qui ont durement frappé l’île de Madagascar la semaine dernière. Au lendemain de la déclaration de « sinistre national » par le gouvernement, le ministre de l’Intérieur a fait paraitre une note officielle interdisant « l’organisation de téléthons ou toute autre forme de levées de fonds initiées par des particuliers ou associations ». Motifs : prévenir les arnaques. Une interdiction qui a provoqué polémiques et colère chez certains.

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De notre correspondante à Antananarivo,

Tentes, vêtements neufs, groupes électrogènes, station d’eau potable, médicaments, lait infantile, nourriture : un cargo 747 rempli de 100 tonnes de dons octroyés par un cheikh émirati est prêt à rallier Madagascar, mais reste cloué au sol à Dubaï, « faute de certitudes de pouvoir débarquer les vivres et le matériel hors du Boeing ». C’est en tout cas ce qu’a annoncé, furieux, Ny Rado Rafalimanana, homme d’affaires et président de l’ONG Ny Fanahy no Maha Olona ce lundi 27 janvier devant la presse malgache.

« On a vu le communiqué sur Facebook du ministère de l’Intérieur qui a fait interdire tout ce qui est formé de donations par des citoyens lambda. Y a-t-il vraiment des gouvernants qui pensent à ce peuple ? On est là pour faire le secours d’urgence, on veut aider seulement ! Les questions de logistique, on est là pour supporter tout ça. On ne demande pas un dollar à ce gouvernement. On veut tout simplement aider le peuple. Mais le problème, c’est qu’on est obligé d’attendre [l’autorisation du gouvernement, NDLA] pour faire atterrir notre avion », s’insurge l’ex-candidat à la présidentielle de 2018, connu pour ses salves envers l’actuel dirigeant du pays. « On ne veut plus revivre le même scénario qu’en 2017 », poursuit-il. « On avait envoyé des dons à l’État malgache et au BNGRC (le Bureau national de gestion des risques et catastrophes) pour les sinistrés du cyclone Enawo, et ça avait disparu dans la nature. Et ça, c’est inacceptable. »

Éviter la dispersion et les erreurs de distribution

Cette colère, Michel Saint-Lot, le représentant de l’Unicef à Madagascar, la comprend bien. Toutefois, le numéro 1 de l’agence des Nations unies pour l’enfance rappelle le rôle capital d’une structure de coordination de l’aide d’urgence comme le Bureau national de gestion des risques et catastrophes, chargée, dans des situations de sinistres comme celle-ci, de réceptionner les dons. « Tout le monde veut apporter une aide, tout le monde veut contribuer. Le geste est louable. Mais toute aide doit être coordonnée pour s’assurer qu’il n’y ait pas duplication. Pour s’assurer qu’il n’y ait pas certaines familles qui reçoivent tout, et que d’autres soient délaissées. »

Pour le diplomate, l’interdiction du ministère de l’Intérieur est un vrai garde-fou contre les arnaques et ce qu’il qualifie « d’attrape-nigaud facile » : « On a vu souvent dans les urgences que des fonds ont été récoltés, et on ne sait pas où ils vont. » L’ambassadeur de l’Unicef rappelle également que le secours à une population sinistrée ne s’improvise pas. L’aide alimentaire doit être bien étudiée. Que ce soit en termes de denrées distribuées, « il faut qu’elles répondent aux habitudes alimentaires de la population sans quoi c’est une aide qui sera perdue ou revendue », prévient-il. Enfin, il faut prendre garde à ne pas déstabiliser l’économie locale en important des denrées qui seraient trouvables sur le territoire national. « Le riz à Madagascar a un coût. S’il y a un surplus de marchandise sur le marché malgache, la production locale peut être impactée. Il faut donc s’assurer que l’on puisse pallier la production qui a été perdue sans apporter un surplus qui pourrait créer un déséquilibre sur le marché. »

Questionné sur les soupçons de corruption et de détournements de dons dont l’ancienne équipe du BNGRC a été accusée, Michel Saint-Lot martèle : « S’il y avait, à l’avenir, des mauvaises pratiques à dénoncer, elles le seraient, par les médias ou par nous. En l’état, je réitère toute ma confiance en cette structure. »

« Je sais où ce riz va aller »

Des particuliers ont décidé eux aussi de croire en l’intégrité de cette autorité nationale. En fin d’après-midi, Nicolas Dupuis l’entraîneur de l’équipe nationale de football (et consultant depuis mi-janvier pour le ministère de la Jeunesse et des sports) passait le porche du BNGRC chargé d’une vingtaine de gros sacs de riz. Un don de 1,2 tonne du précieux grain blanc de la part de son épouse et lui. « On m’a dit que je pouvais donner ici, que c’était une solution pour le faire. Je fais une totale confiance aux gens qui réceptionnent et organisent ces donations. En passant par ce canal, je sais où ce riz va aller », conclut le coach des Barea.

Transparence promise

De son côté, le général Elack, secrétaire exécutif du BNGRC depuis moins d’un an, a promis la transparence. « Pour chaque don qui sera fait et apporté ici au BNGRC, on sera en mesure de dire où et à qui il sera distribué », affirme le chef de l’organisation.

Ce mardi, dans plusieurs zones enclavées à cause de la destruction des infrastructures routières, l’approvisionnement en denrées est rendu très compliqué ; la faim affecte les habitants. Ce lundi, une réunion entre les principaux bailleurs de l’aide d’urgence a eu lieu au siège du BNGRC pour évaluer les zones d’intervention prioritaire, les impacts réels des dégâts et des pertes causés par ces inondations.

Parmi les acteurs présents, la Banque mondiale. À partir des données partagées, l’institution financière internationale devrait annoncer ces prochains jours le montant de l’enveloppe mise à disposition de l’Etat malgache. Un appui budgétaire sous forme de dons, prévu pour les situations d’urgence et décaissable immédiatement.

■ Un acheminement difficile

Certains habitants victimes des pluies abondantes de la semaine dernière peinent à trouver de quoi manger. Des routes coupées ou inaccessibles à cause des crues des rivières compliquent l’acheminement de vivres et isolent de nombreux villages.

Dans la cour du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes, des centaines de sacs de riz, de légumineuses ou encore de sucre s’entassent. Mais l’aide centralisée dans les locaux de l’institution à Antananarivo a parfois du mal à parvenir jusqu’aux sinistrés.

Le général Elack Olivier Andriakaja se veut pourtant rassurant : « Pas mal de routes sont coupées mais c’est bien clair, l’ordre donné par le président de la République et par le Premier ministre, c’est de trouver tous les moyens possibles pour que ces vivres arrivent aux bénéficiaires, c’est-à-dire aux sinistrés. Donc a essayé de travailler avec les partenaires techniques pour acheminer ces vivres. De toute façon, on ne peut plus parler de réponse d’urgence si on attend encore. »

Mahajanga II, dans le nord-ouest du pays, fait partie de ces zones où les sinistrés manquent de nourriture. « C’est difficile pour les victimes de trouver de quoi manger. Toutes les réserves et denrées ont été ravagées lors des pluies, surtout dans les communes de Mahajamba et Ambalabe Befanjava. Les opérateurs qui assurent l’approvisionnement en produits de première nécessité ont des difficultés pour apporter leurs marchandises. L’État essaie de trouver des solutions. Un bateau a pu parvenir à Mahajamba », indique le chef de ce district, Tolotriniaina Rakotonindrina. Dans ces deux villes, « les cultures sont endommagées à 80-90% », précise-t-il.

Une rareté des denrées et un acheminement compliqué de l’aide qui fait flamber les prix. Dans ce district, le sac de riz de 50 kilos qui était à 100 000 ariary (25 euros) avant les pluies se paie désormais 140 000 ariary (35 euros).

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