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Interview Guillaume Soro, candidat à la présidentielle de Côte d’Ivoire : « J’espérais que Macron soit plus courageux »

Empêché d’entrer dans son pays, Guillaume Soro, candidat à la présidentielle de Côte d’Ivoire, est frappé par un mandat d’arrêt international. Il dénonce une manipulation d’Alassane Ouattara et regrette l’attitude d’Emmanuel Macron.

La voix est claire, le ton vif. De retour à Paris, où il vit exilé depuis six mois, Guillaume Soro ne semble pas marqué par son come-back manqué de lundi en Côte d’Ivoire. “Je vais bien”, lâche d’emblée l’ancien président de l’Assemblée nationale, contre qui les autorités de son pays viennent pourtant d’émettre un mandat d’arrêt international. Au JDD, celui qui a aussi été Premier ministre sous Gbagbo puis Ouattara, confie son intention de faire campagne et sa déception du peu de soutien de la France.

Après votre retour manqué en Côte d’Ivoire, allez-vous rester en France ?

Oui, puisque le président Ouattara m’interdit de rentrer dans mon pays.

Le mandat me visant n’est pas fondé sur le droit

Vous vous placez donc sous la protection des autorités françaises ?

Je dispose d’un visa normal et n’ai demandé aucune assistance particulière à Paris.

Un mandat d’arrêt international a été émis contre vous. Vous ne craignez pas d’être interpellé ?

Ce mandat n’est pas fondé sur le droit, mais simplement fait pour empêcher un candidat d’accéder à la tête de son pays. Il ne peut donc opérer puisqu’il est politique. La plupart des pays européens qui défendent les droits de l’homme refusent d’ailleurs d’appliquer ce genre de mandat.

Que s’est-il passé lors de votre retour avorté en Côte d’Ivoire ?

Après m’être déclaré candidat en octobre, j’avais décidé de me rendre le 23 décembre à Abidjan pour lancer ma campagne. Nous étions dans l’avion lorsque le pilote est arrivé dans la cabine : une tour de contrôle au Niger venait de l’avertir qu’il était périlleux d’atterrir à l’aéroport d’Abidjan, où il y avait un déploiement anormal de forces de l’ordre. J’ai insisté mais le pilote m’a répondu “pas question !”, d’autant qu’un assaut contre l’appareil était possible.

Pourtant vous saviez que ce voyage allait être périlleux. La veille, vous aviez déjà renoncé à atterrir à Abidjan. Avez-vous négocié ce déplacement avec les autorités ivoiriennes, notamment le président Ouattara ?

Je n’ai jamais eu de conversation avec M. Ouattara. Le 22 décembre, je devais effectivement me rendre à Abidjan. Mais j’ai été contacté par une personne qui souhaitait que le voyage n’interfère pas avec la visite d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire. Ce monsieur s’appelle Pierre Fakhoury [architecte et entrepreneur proche du pouvoir ivoirien].

Je suis choqué que l’opinion française ne réagisse pas. Cette visite de Macron en Côte d’Ivoire, c’est Bouygues qui l’a organisée.

Pourquoi prendre cet appel de Pierre Fakhoury au sérieux ? Parlait-il au nom des autorités françaises ?

Il prétend y avoir ses entrées. Et c’est un grand ami d’Alassane Ouattara. Donc, après qu’il m’a dit que mon arrivée pouvait nuire à la visite de Macron, j’ai accepté de différer ce déplacement de vingt-quatre heures. À ce propos, je suis quand même surpris que le président français se soit rendu en Côte d’Ivoire, qu’il y ait fêté son anniversaire et qu’il n’ait pas eu la capacité de dire à ses hôtes qu’il était important de respecter la démocratie en Afrique. Nous espérions qu’un président comme lui aurait le courage et la maturité de le faire.

Avez-vous eu des contacts directs avec l’Élysée avant votre départ ?

Je n’ai aucun contact avec l’Élysée. Lors du séjour de Macron en Côte d’Ivoire, des fonctionnaires du Quai d’Orsay ont reçu les partis politiques de l’opposition, mais c’était juste pour sauver la face. J’ai entendu le président Macron parler d’un sentiment antifrançais dans les ex-colonies. C’est faux ! Mais quand un dirigeant comme lui s’affiche avec des septuagénaires honnis par leur peuple, que peut-il attendre des jeunes générations africaines ? Avez-vous vu ces images ridicules où le vice-président de la Côte d’Ivoire, un homme de 76 ans, lui chante “joyeux anniversaire” ? C’est une honte.

Êtes-vous déçu de l’attitude d’Emmanuel Macron ?

Je suis surtout choqué et horrifié par celle de M. Ouattara, que l’on présente encore comme un homme policé venant du FMI. Mais le FMI a fabriqué un autocrate qui a interdit toute manifestation politique pendant la visite de Macron, qui dispose de milices parallèles encagoulées faisant des descentes dans les sièges des partis politiques, arrêtant cinq députés sans que leur immunité parlementaire n’ait été levée. Cela étant, je suis choqué aussi que l’opinion française ne réagisse pas. Cette visite de Macron en Côte d’Ivoire, c’est Bouygues qui l’a organisée. Et on sait l’influence de Bouygues dans la sphère politique française. Au nom de contrats juteux, on est donc prêt à fermer les yeux sur le piétinement de la démocratie en Afrique.

En Tunisie, un candidat en prison a bien accédé au second tour de la présidentielle !

Qu’allez-vous faire maintenant que vous ne pouvez plus retourner dans votre pays ?

Je suis et reste candidat à la présidence de la République. Je vais organiser la résistance comme le général de Gaulle l’a fait depuis Londres. Avec tous les partis politiques et le président Bédié [Henri Konan Bédié, chef de l’État ivoirien de 1993 à 1999], nous devons sauvegarder la démocratie en Côte d’Ivoire.

Vous vous comparez à de Gaulle. Cette résistance peut-elle donc devenir armée ?

Non, autre temps, autre méthode. Il ne s’agit que de résistance politique. Après avoir créé une crise post-électorale en 2010, M. Ouattara vient d’inventer la crise pré-électorale. Il faut donc que la classe politique s’organise pour combattre cela.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Je continuerai à me battre dans un rôle savamment orchestré. Il faut se souvenir qu’en 1999 M. Ouattara avait lui aussi été frappé par un mandat d’arrêt. Il a fait sa campagne en exil et est aujourd’hui président de la Côte d’Ivoire. Il ne pourrait en être autrement me concernant. Je vais gagner l’élection.

Si vous ne pouvez pas revenir, vous désisterez-vous pour un autre candidat, Bédié par exemple ?

Nous n’en sommes pas encore là. Nous avons un accord avec Bédié. Nous allons tous deux au premier tour, et le mieux placé soutiendra l’autre pour le second. L’Afrique est le continent des miracles. En Tunisie, un candidat en prison a bien accédé au second tour de la présidentielle !

Voir M. Ouattara, parrain de la rébellion de 2002, m’accuser aujourd’hui de déstabilisation est une belle ironie de l’Histoire

Reste que les autorités vous accusent de déstabilisation de l’État. Ce n’est pas rien…

C’est ridicule. Je suis en France depuis six mois et jusqu’alors aucun mandat n’avait été émis contre moi. Et subitement, alors que je suis dans le ciel pour arriver à Abidjan, il tombe ! N’est-ce pas suspect ? Et puis voir M. Ouattara, parrain de la rébellion de 2002, m’accuser aujourd’hui de déstabilisation est une belle ironie de l’Histoire.

Mais les autorités ont diffusé un enregistrement vous incriminant…

Laissez-moi expliquer… En 2017, M. Ouattara a tenté de m’espionner par le truchement d’un homme d’affaires sulfureux. À l’époque, je rencontre à Paris cet homme qui affirme que M. Ouattara veut me tuer. Il propose de m’aider à me protéger et à riposter. Je trouve cela suspect. Après enquête, il s’est avéré qu’il avait été envoyé par Ouattara lui-même ! L’enregistrement que ce dernier dit détenir date de cette époque. C’est une manipulation, un cas de “lawfare”, comme Lula l’a subi au Brésil. Il instrumentalise simplement la justice pour écarter un candidat sérieux à l’élection présidentielle.

Le Journal Du Dimanche (JDD)

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