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Conquêtes coloniales : Controverse autour du sabre d’El Hadj Omar Tall

Nous avons assisté, il y a quelques semaines, à une large diffusion sur les réseaux sociaux et sur certaines chaînes de télévision, des images d’une grandiose cérémonie à Dakar dite de restitution du sabre d’El Hadj Omar Tall, empereur toucouleur ; sous la présidence de Maky Sall, président du Sénégal, en présence du Premier ministre français, Edouard Phillipe. Outre les personnalités politiques et diplomatiques, on comptait parmi les nombreux invités, les représentants de la descendance de l’illustre disparu.

L’instant solennel fut marqué par la remise d’un sabre, précédée d’échanges de discours. Le président Maky Sall a rappelé que ce geste du gouvernement français fait suite à la demande récurrente des Africains formulée depuis fort longtemps, en vue de la restitution de leurs biens culturels détenus par la France.
Quant à Edouard Phillipe, il a tenu à préciser que, pour lui, le sabre est un objet précieux, singulièrement celui d’un conquérant, celui d’un guide spirituel (SIC). Se faisant écho de l’évènement, la revue Jeune Afrique, dans sa livraison du 18 novembre 2019 écrit ceci à propos d’El Hadj Omar Tall : ‘’Il combattit les troupes françaises de 1857 à 1859 avant de signer un traité de paix avec eux en 1860. Son fils Ahmadou (1836-1897) lui succéda mais fut vaincu par les Français en 1893 à Bandiagara. C’est là que les Français s’emparèrent du sabre’’.
Quelle infamie ! Dans quelles archives l’auteur de cet article a-t-il décelé ce fameux traité de paix ? Quelle autorité française ou personnalité quelconque est cosignataire de ce document avec El Hadj Omar Tall ?
D’ores et déjà, des voix commencent à s’élever dans la communauté scientifique et culturelle au sujet de trois éléments particulièrement significatifs :
1- L’objet de la cérémonie : Le sabre ;
2- Les messages et informations véhiculés à travers un intense tapage médiatique ;
3- Le pays choisi pour la restitution.
Le Sabre- Parmi les sujets qui alimentent la polémique figure en première place, le précieux objet lui-même. Des objections surgissent ça et là sous forme de questionnements. L’appartenance de l’arme à El Hadj Omar Tall a-t-elle été authentifiée ? Au cours de quel évènement historique le sabre lui a-t-il été subtilisé ? à quelle date eut lieu cette dépossession ; dans quelle localité ou sur quel champ de bataille et par quel guerrier ou chef de guerre ? Les généreux donateurs (prêteurs) ne pipent mot de cela.
C’est plutôt le Professeur Abdoulaye Sokhna Diop du Sénégal, qui a tenu à préciser : ‘’… si on a prétendu que tel sabre appartenait au guide, c’est faux, ce n’est pas vrai… El Hadj Omar n’a jamais possédé de sabre. Il a dû s’agir d’un certain amalgame… Peut-être c’est un sabre de quelqu’un d’autre de la lignée d’El Hadj Omar Tall… » Plus loin, il ajoute que ce sabre est un des nombreux sabres offerts en cadeaux à Ahmadou Sékou et non pas à Cheick Oumar.

La triste réalité est que le patrimoine spolié regorge une importante quantité de biens en tous genres y compris, des dizaines de kg d’or, mais surtout un immense fonds littéraire composé des œuvres du Cheick. L’emblématique ouvrage intitulé ‘’Perles rares’’ en ferait partie, selon l’imam et chercheur El Hadj Sékou Kaba Diakité, non moins descendant de l’illustre Alfa Oumar Njum Kaba de Nioro du Sahel. Le tout regroupé sous la dénomination de « Trésor de Ségou ». Ainsi, on ne nous parle que du sabre et pour cause !
Edouard Phillipe dit, à desseins, que c’est le sabre d’un ‘’conquérant’’ donc, il s’agit là d’une emblématique prise de guerre. Nous y voila ! Mais la question récurrente reste ceci : où ont-ils pu se le procurer ? Car, l’histoire nous enseigne que la seule bataille frontale que le Cheick a pilotée personnellement contre les Français, est celle de Médine, à 12 km de Kayes, d’avril à juillet 1857. Une guerre et un siège qu’il a effectivement perdus.
Cependant, à cette étape, des précisions s’imposent :
1- Il a piloté les opérations à partir de son état-major installé tantôt à Sabouciré, tantôt à Kunda sans jamais avoir été sur le front situé à quelques kilomètres de là.
2- Sur le théâtre des opérations et devant les troupes, les têtes de proue étaient le gouverneur toucouleur de Koniakary Thierno Djiby Bane et l’intrépide général, Hamat Kouro Wane (mort au cours de la bataille).
3- Aucun d’eux n’était cependant muni d’un sabre quelconque de Cheick Omar Foutiyou.
4- Après cette douloureuse étape qui consacre sa première grande défaite, le Cheick retourna sur ses pas à partir du Khasso Dembaya, jusqu’au Fouta Toro pour reconstituer ses forces.
5- Il ressort ainsi que le sabre en question ne pouvait pas avoir été subtilisé lors du siège.
Nous étions donc en 1857 à Médine. Suivons à présent, le Cheick dans son long et tortueux itinéraire qui le conduira dans le Bambouck, à Kundjan. Une place forte, qu’il dota de fortifications impressionnantes et où il séjourna pendant plusieurs mois jusqu’à la saison sèche de 1858.
Il regagna le Bundu, région voisine du Fouta, qu’il quitta la même année pour entrer dans son Fouta natal à partir de Bakel. Son 2è séjour au Fouta après son pèlerinage à la Mecque, lui valut près d’un an de pourparlers, de prêches et d’organisation d’une grande vague d’émigration appelée Fergo par les toucouleurs et Fairaigo par les Khassonkés.

En 1859, il était de retour à Nioro. En route pour Ségou, il est à Merkoïa, dans le Bélédougou en 1860. Ensuite à Nyamina, au bord du Niger puis, à Sinzani après avoir engagé une bataille particulièrement meurtrière à Woïtala contre les troupes Bambaras de Ségou, en septembre 1860. C’est ensuite qu’il entra à Ségou en mars 1861. Il mit fin au règne de l’empereur Peulh du Macina Amadou Amadou en 1862, lors de l’épique bataille de Caayawal, avant de disparaître le 14 février 1864 à Déguembéré, près de Bandiagara.
Auparavant, il avait réussi à s’exfiltrer de 8 mois de siège de la Cité d’Hamdallaye, organisé par les partisans du cousin de Amadou Barri Amadou, le général Balobo et de Ahmad Al Bekaye Kounta de Tombouctou.
Il ressort de tout cela, qu’après le siège de Médine, les forces françaises et les troupes du Cheick ne se sont affrontées sur aucun autre champ de bataille, sous sa propre direction.
Dès lors, l’hypothèse de récupération ou de dépossession du sabre du vivant de Cheick Omar, ne serait qu’une simple vue de l’esprit. C’est pourquoi, le Professeur Diop répète avec insistance : « …le sabre ne pouvait avoir aucune relation avec Cheick Omar Foutiyou,… parce que déjà, en 1890, il était décédé depuis 26 ans ».
Par contre, en février 1858, lors d’une grande offensive organisée par les Français et leurs alliés contre les partisans du Cheick, dans la célèbre cité de Njum Ferlo (actuel Sénégal), ces derniers ont réussi à se défaire de l’étau et même à s’emparer de deux obusiers amenés par le commandant de Bakel, M. Cornu. Ce fait est particulièrement historique pour ne pas être évoqué. Car, ces vaillants guerriers ont apporté au Cheick un matériel de guerre extrêmement précieux, depuis le Bundu (actuel Sénégal) jusque dans la région de Kita (Mali).

Et le commandant Cornu ne pouvait que ruminer son abyssale amertume : « …il est trop tard, la déroute est complète et je reste seul au milieu du camp avec mes gens », écrit-il dans sa dépêche du 20 mars 1857 au gouverneur de Saint-Louis.
David Robinson, un Européen, professeur d’histoire aux états-Unis, rapporte les faits à sa manière : ‘’Pratiquement tous les habitants, 10.000 environ… partirent pour l’Est, fin avril, et se fixèrent autour de Nioro. Ils traînaient derrière eux deux canons qui avaient été abandonnés par le commandant de Bakel lors d’une campagne avortée contre Njum- Tata’’.
On imagine aisément le bénéfice d’une telle opération pour le Cheick en raison de la valeur militaire du butin. Aussi, comment peut-on tirer vanité d’avoir extorqué un sabre local, fût-il celui d’un conquérant, quand on a perdu deux obusiers, c’est-à-dire de redoutables cracheurs de feu venus tout droit des usines de guerre européennes, donc chèrement acquis. Nos généreux donateurs (prêteurs) se gardent bien d’évoquer un tel épisode de notre ‘’histoire commune ‘’.
Les messages et les informations- Le mode opératoire des colons, de leurs héritiers ainsi que de leurs thuriféraires, a toujours été de noircir les fronts de nos augustes souverains, en profanant leur intimité, en distillant des slogans mensongers, des propos impertinents et des formules assassines. Certains propos tenus lors de la cérémonie et les commentaires qui ont suivi n’ont pas dérogé à la règle. ‘’… C’est le sabre d’un conquérant ‘’, dixit Edouard Phillipe.
Entre Faidherbe, J.A. Brière de Lisle, Archinard, Borgny Des Bordes, Galiéni,… et Cheick Omar Foutiyou, qui est conquérant en terre africaine ? Jeune Afrique enchaîne en déclarant de manière péremptoire que Cheick Omar Foutiyou a fini par signer un traité de paix avec les colons, sous-entendu un pacte de capitulation car, l’auteur s’empresse d’ajouter que son fils Ahmadou fut vaincu par les Français.
En réalité, toute cette opération participe d’une campagne de réécriture de l’histoire, de recolonisation de nos pays et d’acculturation de notre jeunesse. C’est pourquoi, Marcel Houénoudé, universitaire béninois disait à juste titre : ‘’Pour (notre) jeunesse en perte de repères, l’histoire de l’Afrique n’est faite que de défaites. Elle a du mal à croire qu’il ait existé des royaumes et des empires dont la puissance et la culture auraient traversé les âges’’. Ce n’est pourtant pas par manque de sources fiables ou de témoignages vérifiables que Jeune Afrique, comme bien d’autres médias, s’est permis de distiller ces Fake-news.
Fort heureusement, après des recherches bien documentées, certains historiens de renom nous ont laissé des témoignages et des éclairages édifiants à ce sujet. David Robinson rapporte ceci : ‘’Faidherbe, de son côté, avait envisagé la possibilité de négocier dès 1858 dans son rapport au ministère… Il se rendit à Bakel en août et rédigea une ébauche de traité qu’il fit officieusement approuver par Koniakary’’. Pour rappel, Koniakary, est le siège de Thierno Moussa Bane, frère et successeur de Thierno Djiby Bane, gouverneur toucouleur du Diombokhou et dépendances. Celui-là aurait donc été approché ‘’officieusement’’ par Faidherbe, gouverneur de Saint-Louis, pour se prononcer sur un projet de traité à soumettre à l’approbation et à la signature du Cheick.
Mme Ly Madina Tall, après avoir fait le tour complet des évènements, des documents d’archives et de témoignages vivants, conclut sans ambages : ‘’Cheick Omar Foutiyou venait de disparaître sans qu’aucun accord ne fut jamais conclu entre lui et l’administration de la colonie française du Sénégal’’.
Sèkène Mody Cissoko, qui est loin d’être un adepte du Cheick, dit à son tour : ‘’Le gouverneur écrivit à El Hadj Omar par l’intermédiaire de Thierno Moussa, une lettre dans laquelle il exposait les clauses du traité. Ni le délégué français, ni la lettre du gouverneur ne furent envoyés à El Hadj Omar. Il n’est donc pas sûr que celui-ci ait connu les clauses du traité élaboré entre Faidherbe et Thierno Moussa’’.
Voilà qui est, on ne peut, plus clair ! Ainsi, au moment où Faidherbe cherchait désespérément à faire approuver son projet de traité par Thierno Moussa, Cheick Omar Foutiyou lui, était, au bas mot, à des centaines de kilomètres de Koniakary, résidence de Thierno Moussa, et à plus de 1000 kilomètres de Saint-Louis, résidence du gouverneur Faidherbe.
Le sage Fily Dabo Sissoko, lors d’une opération médiatique similaire, nous rassurait ainsi : ‘’la caricature qu’on nous a présentée… ne condamne que leurs auteurs’’.
Le Pays choisi- Tout au long de cette mémorable cérémonie, l’atmosphère était si pesante que la charge émotionnelle a dû entrainer avec elle quelques flots de larmes. C’est peut-être pourquoi Macky Sall, réputé pour sa concision et sa précision dans ses allocutions aux accents souvent envoûtants, semblait plutôt, avoir opté pour des propos qui prêtent à équivoque. En effet, il n’a cessé de faire allusion au geste de la France comme étant une opération de restitution du sabre ; pendant que la partie française, elle, avait bien pris soin de préciser, auparavant, qu’il ne s’agissait, pour le moment, que d’un prêt pour quelques années.
Mais, au-delà de ce regrettable quiproquo qui en rajoute à la confusion autour de ce sujet, le cercle d’initiés n’a eu de cesse de relever des non-dits : Quelle est la nature du patrimoine attribué à El Hadj Omar, quels en sont les éléments constitutifs, leur quantité ? La date et l’origine exacte de leur provenance ? Sont-ils conservés en intégralité ou manque-t-il quelques éléments ? Dans ce dernier cas, quel sort ont-ils subi ? Ont-ils été subtilisés, avariés ou vendus ? Par quel mécanisme le retour des biens sera-t-il assuré ? Sous forme de prêt ou de restitution et à quelles conditions ? à la cérémonie de Dakar, la Guinée et le Mali ont été cités à côté du Sénégal, par le Premier ministre français comme ayant fait partie de l’empire toucouleur ; étaient-ils représentés à la cérémonie ? Et à quel niveau ? Sont-ils récipiendaires ? Sinon, pourquoi ? Ces 2 dernières séries de questions appellent quelques précisions : selon le Professeur Abdoulaye Sokhna Diop, de l’Université de Dakar, le patrimoine en question serait conservé actuellement et à Paris, au Quai Branly et aussi à Dakar sous la dénomination de “Trésor de Ségou“. En termes clairs, le patrimoine tout entier a été saisi sinon volé à Ségou et acheminé vers d’autres destinations.
Pour mémoire, Dr Raphaël T Keïta, dans son ouvrage intitulé : « Le Soudan, colonie française» précise que certaines pièces du Trésor de Ségou, ont été vendues aux enchères publiques à Kayes. Il s’agirait notamment de la Caisse N°5 contenant des pièces en or de près de 10 kg. Les autres Caisses numérotées de 1 à 12 renfermeraient également des kg d’or et d’argent, sans compter les 100 000 Francs français liquides empochés sur les lieux.
Aussi, faut-il le préciser, ce n’est pas seulement la valeur marchande de ces pièces qui importe le plus, c’est aussi les innombrables ouvrages et documents d’ordre littéraire, spirituel et la symbolique qui va avec. Ils étaient la propriété du Roi de Ségou, Ahmadou Sékou, Lambdo Djoulbé, battu par les troupes d’Archinard en 1891, après près de 30 ans de règne.
Dès lors, la question légitime qui se pose, est de savoir pourquoi des biens pillés ou saisis à Ségou et estampillé «Trésor de Ségou», doivent-ils être restitués au Sénégal, si tant est que Ségou n’est point une province de ce pays, fut-il un pays ami et frère ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en sera-t-il ainsi pour les autres biens ?
Autrement dit, serions-nous dorénavant, tenus d’adresser nos requêtes à la France par état interposé pour avoir droit à la restitution de nos biens ? Quand bien même, il s’agirait d’un patrimoine dont la provenance et l’appartenance ne souffrent d’aucune contestation ?
En tout cas, à ce compte-là, le Quai Branly a de beaux jours devant lui, avec ses vitrines de luxe aux rayons bien achalandés grâce à nos biens culturels ; tandis que nos propres musées désespérément, vides, continuent à courir après un maigre public de visiteurs également désabusés.
Mais, n’oublions pas de remercier nos généreux donateurs (prêteurs) pour avoir, encore une fois, concocté, pour nous, le menu de la polémique et de la discorde suivant la bonne vieille recette du «diviser pour régner».
Samba Lamine Sow
Inspecteur principal de sécurité sociale à la retraite

Sébénicoro, Bamako
Ouvrages cités :
Sèkènè Mody Cissoko : Le Khasso face à l’Empire Toucouleur et à la France dans le Haut-Sénégal.
Ly Madina TALL : Un islam militant en Afrique de l’Ouest au XIXème siècle.
David Robinson : La guerre sainte d’El Hajj Umar.
Raphaël T. Kéita : Le Soudan, Colonie française.

Source: Journal l’Essor-Mali

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