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G5 Sahel : « Sans la France, la situation dans la région serait bien pire »

INTERVIEW. Le général Sid Ahmed Ely, responsable de la sécurité du groupe des États du Sahel (G5), souligne le manque de moyens de la lutte antidjihadiste.

Le général mauritanien Mohamed Znagui Sid Ahmed Ely, 65 ans, dirige le département de défense et sécurité du G5 Sahel, l’organisation qui réunit le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie pour lutter contre le terrorisme djihadiste et favoriser le développement économique. Il a donné une interview au Point lors du colloque Atlantic Dialogues qui vient de se tenir au Maroc, à l’invitation du cercle de réflexion marocain Policy Center for the New South.

Le Point : Malgré l’aide apportée par les forces françaises de l’opération Barkhane, par l’Union européenne, par les Casques bleus des Nations unies, par la force conjointe mise en place par le G5 Sahel, les attaques djihadistes redoublent d’efficacité au Sahel. Que recommandez-vous ?

Mohamed Znagui Sid Ahmed Ely : La menace se développe de façon plus importante que les moyens. Les membres du G5, il faut le souligner, sont les États les plus pauvres du monde. Ils sont en première ligne contre le terrorisme, mais aussi contre le réchauffement climatique. Les pays du G5 font beaucoup d’efforts, mutualisent leurs moyens, essayent de les utiliser rationnellement. Mais compte tenu de la menace, ces moyens ne sont pas suffisants. Nous avons des besoins urgents, et pressants.

Que manque-t-il ?

Il manque des équipements, de la formation, des hommes, des armements, des moyens roulants, du carburant… Il faudrait plutôt demander ce qu’il ne manque pas ! Il nous faut tout mettre en place. L’Union européenne nous aide de façon très généreuse. Des États comme la France ou les États-Unis aident de façon bilatérale, à quoi il faut ajouter des aides de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la Turquie, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), de l’Union africaine. Nous avons pas mal d’acteurs qui nous aident, mais tout ceci a besoin d’être développé et rationalisé.

Les populations locales semblent accepter de plus en plus mal le déploiement militaire français dans la région…

Non, je ne le pense pas. Nous avons vu certaines manifestations marginales, ici ou là, contre la présence française, dirigée par des personnes ayant des objectifs particuliers, mais les médias leur ont donné une ampleur qu’elles n’ont pas. La présence française est là pour la défense des populations et des États du Sahel. S’il n’y avait pas eu Serval (le dispositif précédant Barkhane), où en serait-on aujourd’hui ? Et le travail fourni par Barkhane est fabuleux, en termes de renseignement, de reconnaissance aérienne, de frappes aériennes, d’occupation du terrain, de soutien aux forces nationales et internationales. Ce travail n’est pas suffisant, ça ne veut pas dire qu’il n’est pas important. Sans lui, la situation serait beaucoup plus grave.

Quand même, on a vu des manifestations contre la France, à Bamako par exemple.

Nous sommes dans des pays démocratiques où la libre expression est de rigueur. Parfois, les gens manifestent pour des choses raisonnables, mais très souvent pour des motifs déraisonnables.

Les djihadistes sont de plus en plus audacieux et n’hésitent pas à attaquer des garnisons, on l’a vu le 10 décembre avec l’attaque du camp d’Inates dans l’ouest du Niger, où 71 soldats ont été tués.

La menace grandit de jour en jour. Le cas que vous évoquez au Niger est emblématique du manque de moyens de renseignements. Si nous avions des drones, nous aurions pu repérer la colonne terroriste à 10 ou 20 kilomètres du camp et prévenir l’attaque. Des moyens modernes et électroniques existent ; nos armées en manquent. Il faut craindre des attentats toujours et partout.

Une solution militaire est-elle possible pour ce conflit ?

Nous avons toujours dit que l’action militaire n’était ni suffisante ni adéquate. Mais dans l’urgence, elle est indispensable. Quand un incendie se déclare, il faut commencer par éteindre le feu avec n’importe quel moyen qui vous tombe sous la main. Force est de constater aujourd’hui que les forces militaires ne sont ni adaptées, ni équipées, ni formées pour faire face à ce genre de situation. Il faut développer, armer et former des forces de sécurité intérieure.

Les groupes djihadistes du Sahel essayent-ils de faire leur jonction avec la grande criminalité dans le golfe de Guinée ?

Les terroristes ont des moyens, qui proviennent du crime organisé, des trafics de drogue, de personnes et d’armes, des enlèvements et des rançons… S’ils cherchent, comme nous le constatons aujourd’hui, à contourner le Burkina par l’Est et atteindre l’océan Atlantique, je suppose que c’est pour faire la jonction avec le crime organisé. Ainsi, ils ouvriraient une autoroute du crime organisé qui relierait le golfe de Guinée à la Libye actuellement en débandade, pour passer vers le Moyen-Orient et l’Europe.

À quoi sert la force conjointe G5 Sahel ?

La force conjointe G5 Sahel, qui est en opération dans nos zones transfrontalières, n’a pas encore gagné la guerre, mais elle gagne des batailles et nous sommes sûrs de prévaloir en fin de compte. Nous mettons aussi l’accent sur la formation. Nous avons créé notre Collège de défense, ainsi qu’un Collège sahélien de sécurité à Bamako et nous mettons en place une Académie de police qui sera installée à N’Djamena au Tchad. Nous avons un Centre d’analyse et d’alerte précoce qui se trouve actuellement à Ouagadougou. Et les groupes d’action rapide des gendarmeries que nous avons formés dans chacun de nos pays montent en puissance. En cinq ans, nous avons monté pas mal de choses.

Comment renforcer les États du Sahel qui souffrent de faiblesses structurelles ?

Il faut avoir une idée claire du Sahel. C’est immense. Le Mali, c’est 1,3 million de km2, dont les trois-quarts sont désertiques. Quelle armée peut le contrôler ? Il y a des efforts à faire pour rétablir la paix sociale. Le Mali connaît des crises internes récurrentes depuis son indépendance ; la menace terroriste qui s’est greffée dessus complique leur gestion. Elle tend à dresser les communautés les unes contre les autres, en épousant des clivages et des contradictions traditionnels qui existent dans la région, pour mieux s’ancrer dans le tissu social.

Craignez-vous que les Français retirent leur dispositif militaire de la région ?

Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je ne le pense pas. Ils peuvent adapter leurs forces aux besoins. Il faut bien comprendre que si le Sahel cède, tout l’environnement va s’embraser. Le Maghreb, toute l’Afrique de l’Ouest, et même l’Europe ne seront pas à l’abri. Le Sahel est un problème de la communauté internationale dans son ensemble.

Sentez-vous ce sens de l’urgence au niveau régional ?

La communauté internationale doit se mobiliser rapidement et massivement. La force conjointe du G5 Sahel, même hyper-équipée ne sera pas suffisante. Il faut renforcer les forces nationales et amener des forces internationales pour soutenir tout cela de façon complémentaire, intelligente et rationnelle, et surtout de façon urgente !

Le point

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