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Problème de l’éducation malienne : L’éducation pour la vie sacrifiée au profit de celle pour le chômage

La société malienne était bien organisée avec des niveaux d’éducation bien distincts. Cette forme d’éducation est celle que nos aïeux et pères ont bénéficié bien avant l’avènement de la colonisation. Celle-ci est venue porter un coup sérieux à ces pratiques en nous imposant d’autres formes d’éducation remaniables d’année en année.

Les colons sont venus trouver que nous avions des manières de vivre traditionnelles permettant aux sociétés maliennes de se prospérer considérablement. Mais en poursuite d’intérêts égoïstes, le colonisateur a détruit nos mœurs en nous exposant à tous les dangers. Aujourd’hui, le Malien ne se reconnait plus en lui-même. Il a perdu tout le sens de la vie en préférant la honte à la mort. Les valeurs se sont inversées. Jadis, le Mali était fier et confiant parce qu’il y avait des hommes forts qui réfléchissaient mieux que le petit blanc, mais aujourd’hui et cela depuis les indépendances, nos intellectuels ont vendu ce pays. Ce désastre est une question d’éducation. Autrefois, l’éducation se passait à trois niveaux : la famille, la rue et l’école, mais de nos jours elle se passe à deux niveaux apparents : la rue et l’école.

L’enfant et sa famille

Le problème du Mali a été surtout que nos intellectuels ne se sont pas mis tôt à réfléchir sur les questions psychologiques, sinon chez nous, nous avons des conceptions remarquables sur les notions de la vie prénatale. Mais comme toujours l’Occident a toujours privé l’Afrique de toute civilisation et s’est donné pour mission de civiliser ses habitants.

En termes d’éducation, comme les Occidentaux, les Maliens trouvaient que l’éducation d’un être commence bien avant sa naissance. C’est raison pour laquelle dans les sociétés traditionnelles maliennes, il y avait certaines pratiques qui étaient interdites aux femmes enceintes comme sortir vers le crépuscule, rester tardivement au dehors la nuit, se coucher sous des arbres dans la forêt ou tout simplement dormir à n’importe quel endroit, traverser certains espaces. La femme enceinte avait même des façons de se coucher, de se lever et certaines décoctions et feuilles d’arbres lui était conseillé en vue qu’elle se maintienne en bonne santé, mais aussi maintenir l’enfant en bon état. Tous ceux-ci se faisaient parce que nos mamans étaient conscientes que les comportements de la femme enceinte peuvent avoir des incidences sur la vie de son enfant.

Pendant ces temps, nos mamans accouchaient sans avoir besoin d’aller où que ce soit ; il suffisait d’appeler une vielle dame pour que l’affaire se résolve rapidement. Par ailleurs, d’autres accouchaient bien avant l’arrivée de la vieille accoucheuse du village ou du quartier.

Cette éducation était très bien structurée et contenait différents niveaux correspondants à des tranches d’âge bien déterminées tout comme dans l’éducation moderne. C’est ce que nous dit Laura : « L’éducation traditionnelle africaine se fait graduellement, par différentes phases. Ces phases sont constituées de classes d’âge (les classes d’âge sont considérées comme un élément de très grande importance dans de nombreuses cultures africaines). »

L’éducation de l’enfant était assurée par sa maman jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de trois ou de quatre ans. Jusqu’à l’âge de six ou huit (6-8) ans l’enfant devrait rester à la maison, c’est-à-dire dans sa famille permanemment pour qu’il acquière d’abord les vertus de sa tradition ; des vertus facilitant son insertion sociale. La famille lui inculquait ses valeurs, qui sont d’ailleurs transmises de génération en génération aux enfants.

Cette éducation visait surtout la formation d’une personnalité idéale et surtout d’un citoyen idéal, conscient de ses droits et de ses devoirs au sein de la communauté où il est issu. Pour ce faire, des valeurs comme la politesse, le respect, la solidarité, la dignité, la cohésion sociale, l’amour du prochain et de la tribu étaient beaucoup privilégiées. En un mot, tout ce qui est indispensable pour l’agir en communauté.

Chaque famille formait ses enfants de telle sorte qu’ils ne deviennent pas des fardeaux pour les autres au sein de la société où il est appelé à vivre. Chaque famille avait en vue la préservation de son honneur, car on disait que l’enfant est l’image de sa famille. Pendant ces temps, une fois dans la rue, quand l’enfant se comporte mal, c’est la famille qui est accusée. Cela voudrait tout simplement dire qu’il n’a pas subi une bonne éducation.

Pire encore était le cas des jeunes filles qui après le mariage trouvent tous les moyens pour se retrouver chez elles. Dans ces sociétés traditionnelles, cela n’était pas possible dans la mesure où toutes les jeunes filles savaient qu’une fois mariée elles n’ont plus le droit, en cas de la moindre querelle, de retourner chez leurs parents.

Cette éducation est celle qui assurait la cohésion sociale et la sauvegarde des liens sociaux. C’est pourquoi les femmes se devaient de contrôler instantanément tous les comportements de leurs jeunes filles avant qu’elles ne grandissent. C’est la raison pour laquelle même les façons de se coucher d’une fille étaient corrigées, la façon de se courber pour faire la révérence lorsqu’elles saluent un supérieur était observée.

A ces temps, la maman pouvait rapidement se rendre compte du moindre changement de comportement de son enfant et s’elle ne réussissait pas à corriger une mauvaise attitude d’un enfant, alors elle faisait appel à son mari.

Mais de nos jours, cette phase a presque été abandonnée au profit de la rue. L’enfant, depuis à bas âge, prend plus de temps dans la rue qu’avec ses parents.

L’éducation avec les pairs

Après s’être bien enquis des valeurs de sa famille, les enfants possédaient le droit de rejoindre la rue en vue d’apprendre d’autres réalités qu’il ne saurait connaitre avec leurs parents. Les jeunes se comprennent mieux entre eux qu’avec les vieux et c’est pourquoi dans nos sociétés traditionnelles, ce second niveau était valorisé. Il permet aux enfants de se connaitre, de se tisser des liens.

Cette éducation est collectiviste puisqu’ une fois à ce stade l’enfant, sur la base des connaissances acquises dans la famille, ne fait pas de distinction entre les hommes. Il considère tout le monde comme ses parents biologiques et tous le considèrent aussi comme leur fils. De ce fait, tout le monde a le droit de le corriger lorsqu’il commet des fautes.

L’enfant sachant bien qu’il est suivi par d’autres personnes dans la rue et qui peuvent d’ailleurs le fouetter lorsqu’il se comporte mal, est obligé de contrôler son agir. C’est ce qui le permettait d’avoir une éducation différente de celle de la famille, mais qui vient en complément de celle-ci.

Ce stade d’éducation est soldé par des épreuves dures dont la première est la circoncision et l’excision. Les jeunes garçons étaient circoncis en groupes d’âge. Cet acte signifiait la maturité atteinte où le jeune garçon est devenu homme et possède désormais le droit de connaitre les traditions et d’entrer dans tous les lieux qui lui étaient étranges, interdits et qui sont réservés uniquement aux adultes. Alors, il apprend le « dô », le « kômô », le « ciwara », etc. Il entrait de plain-pied dans les sociétés dites secrètes ; des sociétés complètement interdites aux femmes. Par ailleurs, dès cet instant, le dortoir des garçons était séparé de celui de leurs mères puisqu’ils sont maintenant hommes.

Les nouveaux hommes de la société sont exposés à des épreuves rudes en vue de bien former leur corps, car l’homme doit être plus résistant que la femme, disait-on. C’est dans cette mesure que cette vertu leur était enseignée, mais aussi on travaillait à extirper au fond de leur cœur la peur. Cela se passait sous la forme de commissions nocturnes des jeunes gens dans des endroits réputés cyniques par exemple le cimetière où tous les enfants avaient peur de passer même le jour. L’homme ne doit pas avoir peur puisque c’est lui qui doit s’occuper de la famille ; il est le gardien de la famille. Outre ceux-ci, ils étaient mis en combat, en course de fond ; tous ceux-ci se faisaient en vue de bien former leur corps.

Quant aux jeunes filles, elles, elles sont confiées à leurs mères qui se chargent de leur apprendre depuis à bas âge les bonnes pratiques pour gérer le foyer familial. Leur excision s’organisait aussi en fonction des tranches d’âge. Ainsi, l’excision était une épreuve ayant pour but essentiel d’apprendre aux jeunes filles à supporter toutes les difficultés ou souffrances qui les attendent dans la vie de tous les jours. C’est cette discrimination éducative qui a amené Simone de Beauvoir à dire qu’ « on ne naît pas femme, mais qu’on le devient ».

Par ailleurs, une fois guéri de leur blessure, leur mariage était immédiatement organisé puisque la jeune fille n’est mieux que chez son mari. Le mariage était aussi un phénomène grandiose et remarquable au cours duquel chaque maman désire profondément que sa fille soit trouvée vierge le jour de son mariage. Cela faisait honneur non seulement à la maman, mais aussi à toute la famille puisqu’elle était la marque d’une bonne éducation reçue. C’est pourquoi chaque nouvelle mariée restait sous contrôle dans sa chambre de noce et l’annonce de la virginité donnait lieu à une ambiance festive dans la société.

Tous les mariages se faisaient en groupe c’est-à-dire selon le groupe d’âge. Dans nos sociétés traditionnelles, tout était l’occasion de fêter et le point le plus important aussi c’est qu’il y avait le collectivisme, l’entraide entre tous les membres de telle sorte que même l’éducation de l’enfant était laissée entre les mains de tout le monde.

Par ailleurs, à ces temps, l’homme avait plus de dignité dans la mesure où il ne voulait jamais consommer ce qu’il n’a pas gagné lui-même. Il ne voulait jamais manger de l’illicite ou être traité comme un homme défavorisé. L’homme de ces temps avait peur de la calomnie, de la fausse promesse, de l’adultère. Ainsi, toucher à la femme d’autrui était semblable à la consommation de l’illicite.

Par conséquent, le mensonge, le vol, la corruption étaient considérés comme des crimes, c’est-à-dire des actions indignes de la part d’un homme. L’homme était animé par une confiance inébranlable par rapport à l’avenir. Ce qui ne lui laissait pas le temps à l’égoïsme, mais plutôt au travail. Il cherchait à gagner son pain à la sueur de son front.

Aujourd’hui, la rue a plus de force. Elle est même devenue le premier niveau d’éducation. Mais le problème est que les enfants y arrivent sans avoir acquis les préalables. En conséquence, aucun respect pour les autres et nul ne peut corriger l’enfant d’autrui. C’est ce qui a largement contribué à la décadence actuelle dans nos sociétés.

L’éducation scolaire

La première école au Mali a été l’école coloniale appelée l’école des fils de chefs pour désigner toute sa restriction d’accès. Elle était réservée à quelques-uns qui devaient être formés pour servir les causes de l’administration coloniale. Ils sont formés pour être des intermédiaires entre l’administration coloniale et les populations de leur localité. Cette école était implantée dans certaines localités seulement du pays.

Après le départ du colon et l’accession à l’indépendance avec Modibo Keïta, d’autres écoles ont été construites avec un accès plus large. Dans ces écoles traditionnelles, le maître était roi et il était craint et respecté par tous ses élèves, mais il avait une arme d’autorité, le fouet et les punitions. Les élèves faisaient tout leur possible pendant ces temps pour ne pas rencontrer le professeur dans la rue que ce soit le jour ou la nuit parce que là, il fallait s’attendre à des punitions. Les maîtres étaient les pères, les mères, les frères et sœurs de tout le monde. Les enfants étaient dans l’obligation d’apprendre leurs leçons et d’être intelligents.

Par ailleurs, c’est pendant ces temps qu’il était possible de rencontrer les vrais intellectuels c’est-à-dire des hommes éduqués. Ils ont bien étudié et en plus ont bénéficié d’une bonne éducation familiale. Ces deux ajoutées ne pouvaient pas leur permettre de voler leur État, de voler le bien d’autrui, voire de commettre l’adultère. Ces hommes avaient ainsi peur de la honte ; ils préféraient la mort à la honte.

Un intellectuel qui commet ces crimes a manqué surement d’éducation et d’ailleurs on n’est intellectuel que lorsqu’on prend acte contre certaines mauvaises pratiques au sein de la société. De ce fait, si l’intellectuel, c’est-à-dire celui qui a été à l’école, vole, alors il perd son intellectualité au sens figuré du terme. Nous disons qu’il a manqué à l’éducation. Car il se doit de dénoncer le mauvais comportement des autres. Le fait qu’il se comporte lui-même mal, le fait perdre son statut. Les hommes issus de l’éducation traditionnelle n’étaient jamais victimes de cette digression de statut.

L’éducation traditionnelle était en conformité avec la vocation du Mali à savoir la pratique de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Jadis, à l’école, l’agriculture, l’élevage des volailles, du cheptel, etc., était pratiqué. Outre ceux-ci, des métiers comme la couture, la teinture, la coiffure étaient appris. Cette école facilitait l’insertion sociale des enfants, car une fois terminée avec les études chaque élève pouvait exercer le métier de son choix et n’entendait pas d’être recruté dans la fonction publique.

De nos jours, l’école ne forme que pour le chômage. L’excellence est devenue le rêve de tout le monde. Le maître a dégradé du statut de roi à celui d’esclave de l’élève. L’école malienne souffre énormément et avec elle toute la société. Il est alors temps que les acteurs du secteur réfléchissent pour une sortie de crise. Ils doivent le faire en collaboration avec les légitimités traditionnelles pour le salut de tout le Mali.

F. TOGOLA

Source : LE PAYS

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