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Mali : Le peuple en quête de dignité

Au Mali, le peuple reste nostalgique de la dignité. Les valeurs humaines sont remplacées par celles bestiales. Le vivre ensemble est de ce fait compromis. Le peuple a tout intérêt à réinstaurer sa dignité.

Lorsqu’on parle de société, c’est avec les humains. Mais pourquoi considérons-nous que c’est uniquement les humains qui font une société ? Parce qu’il y a une certaine valeur qui les unit, à savoir : la dignité, l’amour, la solidarité, le langage, qui rendent possible le vivre ensemble. Parmi toutes ces valeurs, c’est la dignité qui paraît la plus importante. Car de là découlent toutes les autres. La dignité, parce que celle-ci est une valeur intrinsèque à tous les humains ; une valeur qui leur permet de se respecter les uns les autres indépendamment de toute considération politique, raciale, religieuse, ethnique, morale, etc.

Ce qui différencie la communauté humaine de celle animale

Partant de là, considérons, en quelques instants, la communauté animale. Ce qui régit celle-ci, c’est la loi du plus fort, c’est ce qu’on peut appeler de l’animalité. Une communauté dans laquelle une mère accouple avec son petit, un père avec sa petite, une sœur avec son frère, etc. Cet état d’animalité est celui que des penseurs ont nommé « état de nature ». « Ce qui nous distingue de tous les animaux, écrivait Aristote dans Le Protreptique, brille particulièrement dans une vie vécue conformément à la raison ».

La raison, cette mine d’or, qui est la « chose la mieux partagée », est-ce qui distingue les hommes des animaux. C’est pourquoi ce penseur de l’Antiquité grecque, Aristote, fait comprendre qu’en usant de cette raison, l’homme peut s’élever au-dessus de l’irrationalité et se rapprocher de « dieu ».

Des sociétés mi- humaines

Toutefois, de nos jours, c’est le transformisme prôné par Jean d’Ormesson aussi bien que Dénis Diderot qui serait en œuvre dans le monde des vivants. « Tous les êtres circulent les uns dans les autres. Tout est en flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal », écrivait Jean d’Ormesson dans La création du monde.

Aujourd’hui, il est de certaines pratiques qui se vont au Mali qui ne sont semblables qu’au comportement des bêtes. On aurait dit que les humains se transforment en bêtes. L’irrationalité a pris le dessus. Comme soutenaient Adorno et Horkheimer, il existe une crise de la rationalité. La raison qui permet de réfléchir sur le monde pour le rendre plus agréable à vivre est elle-même en situation de crise. Il convient que cette raison réfléchisse sur elle-même.

Sans cela, le monde animal sera plus digne que celui des humains. Puisqu’il est même rare de voir, sauf par accident, des animaux d’une même catégorie s’entre-tuer. Mais, même si cela arrivait, on pouvait le comprendre parce qu’on dirait qu’ils sont incapables de raison. Par contre, avec des humains, cela paraîtrait indigeste. Pourquoi ? Parce que nous avons une dignité qui nous interdit de causer du tort à autrui ; de nous servir de lui comme un moyen, qui nous indique de le traiter comme une part de nous-mêmes. C’est dans ce sens que Tariq Ramadan, islamologue suisse, soutenait que même si une personne commet un crime odieux, cela ne donne pas le droit de le priver de sa vie, car notre dignité nous l’interdit. On doit le traiter dignement en le traduisant devant les juridictions compétentes.

La justice du peuple

Mais hélas, la société malienne baigne de nos jours dans la Loi du Talion « Œil pour œil, dent pour dent ». Pour cause, l’impunité a pris l’ascendance pendant que les malfaiteurs bombent leur poitrine parce que sachant bien leur rapport de connivence avec les instances suprêmes. Ce qui fait penser à Assan Traoré et Geoffroy de Lagasnérie dans leur ouvrage Le combat d’Adama. « Les institutions ont deux faces : une face officielle et une face officieuse ».

Au Mali, les institutions existent pour rendre justice de façon officielle, mais officieusement, c’est le favoritisme, l’affairisme qui règne. C’est ce qui explique la plupart des problèmes de cette société.

Que le peuple reconnaisse sa souveraineté

Face à ce que ce pays traverse comme crise, il faut se dire la vérité, montrons-nous responsables et dignes. N’accusons personne d’autre, tout est de notre faute puisque nous sommes libres, nous sommes des citoyens, donc souverains. La « théorie du complot », le réductionnisme, sont des attitudes trop simplistes qui privent au contraire de la liberté d’agir en nous condamnant au fatalisme. Ce n’est-il pas contre ces genres d’attitudes que Robert Misrahi, écrivain français, notait : « Les sociétés et les individus se construisent dans les combats et les souffrances d’un présent relevant les défis d’un avenir meilleur et possible, et non pas dans la froideur d’une fatalité logique qui déploierait imperturbablement le sens de l’histoire.»

Pas d’effet sans cause et sans conséquences

Nous devons agir dans le sens de la recherche des causes de ces indignités dans nos sociétés au lieu de procéder à des massacres en répondant à la violence par la violence. À cet effet, nous devons adopter une attitude spinoziste expliquée par Frédéric Lenoir : « « Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre. » »

Ce n’est pas pour rien qu’on dit que l’homme est un être raisonnable. La raison nous est donnée pour résoudre nos problèmes humainement, dignement et non pas bêtement. C’est d’ailleurs ce que nous apprend Karl Raimund POPPER : « […] Quand je parle de rationalisme, je me réfère à l’attitude qui consiste à résoudre le plus grand nombre possible de problèmes par un recours à la raison, c’est-à-dire à la pensée lucide et à l’expérience, plutôt qu’aux émotions et aux passions. »

Si l’on doit continuer de se comporter de façon irrationnelle, notre société, la plus belle et la plus organisée, risque de sombrer dans la « société close »,dans le « tribalisme ». Nous mettrons à l’eau tout ce qu’ont fait nos ancêtres à savoir l’avènement de la « société ouverte. » Il faut que chacun se montre responsable pour que cela n’arrive point où plutôt prenne fin puisque la chute a d’ailleurs été consommée. C’est cet irrationalisme qui domine présentement notre société.

Les institutions, c’est le peuple

Par ailleurs, le fait que les institutions soient indignes ne signifie pas que nous soyons nous aussi pires, mais le contraire. C’est comme nous l’enseigne le sage Antique Grec, Socrate, « Mieux vaut subir l’injustice que de la commettre ». Alors, cette mauvaise qualité des institutions ne justifie en aucune manière les agissements indélicats qui compromettent de nos jours le vivre ensemble dans ce pays.

D’ailleurs, priver son semblable de sa vie est en lui-même une injustice vis-à-vis de la justice et vis-à-vis de la religion. Car nous ne pensons pas que la religion ou encore la justice ait autorisé le fait que chacun se rende justice. Ou encore pense-t-on que les religions tout comme les institutions ne jouent plus leur rôle ? Si c’est le cas, des mesures plus nobles existent pour « déposer ces institutions » que de se livrer à des attitudes indignes.

Ce que veut la dignité

Notre dignité nous recommande de traiter l’autre en nous-mêmes comme dans les autres toujours comme une fin et jamais comme un moyen comme nous l’enseigne Emmanuel Kant, intellectuel allemand. C’est aussi tout le sens de la « bissoïté » de Wenceslas Betu Mulumba, écrivain congolais : « La bissoïté entend, prospectivement faire valoir, par-delà différenciation, conflits, fractures et paradoxes, l’unité ou la reliance /solidarité multidimensionnelle, cosmico-humaine comme principe ultime auquel peut s’adosser l’idéal de régulation (notamment politique) de l’agir humain à l’âge de l’hypertechnique et de l’ultralibéralisme.»

Nous retrouvons également une idée pareille chez Edgar Morin, sociologue et philosophe français, lorsqu’il explique que « L’unité humaine engendre la diversité humaine et la diversité humaine entretient l’unité humaine. »

Face à tout ce que le pays traverse aujourd’hui, il importe au peuple malien de recouvrer toute sa dignité pour sauver cette nation du chaos. Pour ce faire, il faudrait se montrer plus raisonnable afin que le vivre ensemble puisse être possible.

Fousseni TOGOLA

Source : Le Pays

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