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Dépistage du VIH en Afrique: innover pour combattre les préjugés

La sixième conférence de reconstitution du Fonds mondial contre le VIH, la tuberculose et le paludisme s’ouvre ce 9 octobre à Lyon. Une personne sur quatre infectée par le VIH ne connait pas son statut. Tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le Sida insistent sur un point : pour arrêter la propagation du virus, il faut encourager le dépistage… Se faire tester reste cependant un véritable tabou dans certains pays africains, obligeant les soignants et les ONG à mettre en place d’autres pratiques pour contourner le stigmate. Reportages au Tchad, au Sénégal et à Madagascar.

Par Aurélie Bazzara, Charlotte Idrac, Magali Lagrange et Sarah Tétaud

Faly, 32 ans, habite Antananarivo, la capitale malgache. Il vient d’une famille bourgeoise. Il a reçu une éducation catholique, préfère s’exprimer en français plutôt qu’en malgache, et prend un plaisir manifeste à écorner les stéréotypes qui collent au milieu d’où il vient. De lui-même, il parle de Tinder et Grinder (deux applications de rencontres). « Je vis avec mon temps, plaisante-t-il, mais jamais je ne raconte mes histoires intimes à mon entourage proche. »

A Madagascar, le dépistage du VIH, c’est un sujet dont on se garde bien de parler. Des tests, Faly en a fait. Le climat pesant qui les entoure, il le connait. « La culture conservatrice chrétienne condamne la sexualité hors mariage, explique-t-il Or si tu te fais dépister, dans la mentalité Merina [ethnie des Hauts Plateaux, NDLR], c’est soit que tu as été infidèle, soit que tu es une “trainée”. Dans tous les cas, c’est lié au sexe, et le sexe, on n’en parle pas. »

Cette stigmatisation est encore plus forte pour les femmes. Miora vient du sud de l’île. Si à chaque fois elle a informé son entourage féminin des tests qu’elle faisait, jamais elle n’a abordé le sujet avec ses frères, ses cousins, ses oncles. « On me jugerait. Ma propre famille colporterait des ragots. Notre société est fermée d’esprit : le qu’en dira-t-on peut faire plus de dégâts que le résultat du test de dépistage en lui-même », ironise-t-elle.

Tsiory, un homosexuel de 23 ans, regrette lui l’absence de discours franc sur la maladie : « La transmission du VIH fait partie des cours de SVT. Mais même les professeurs sont gênés d’aborder le sujet. Jamais on ne s’étale. C’est le genre de leçon qui est donnée la veille des vacances, pour ne pas avoir à revenir dessus. » Dans les années 2000, se souvient le jeune homme, les campagnes de sensibilisation pour le dépistage du VIH-Sida étaient régulières sur l’Île. Mais depuis une décennie, les événements se sont raréfiés. « Le 1er décembre [date de la journée mondiale de lutte contre le Sida, NDLR], on parle de la maladie, et les 364 jours restants, on redevient muets… et ignorants », déplore Tsiory.

Un tabou autour du VIH ? Le constat est encore plus vrai pour les localités de l’intérieur de Madagascar. Oswaldo Razafimandimby, médecin généraliste parcourt les zones enclavées de l’île avec une association humanitaire. « Jamais en brousse une seule personne ne m’a demandé de faire un dépistage. Les gens ne savent pas ce que c’est que le sida. » Une situation renforcée par le corps médical lui-même : « dans les hôpitaux, en ville, devant les patients, on utilise le jargon, on parle « d’IRV positif ». Personne n’emploie le terme « Sida » ; ça fait trop peur. C’est devenu un mot tabou. »

Discrétion et dédramatisation

Le cas malgache n’est pas isolé. Dans plusieurs pays du continent, le qu’en-dira-t-on continue à freiner les pratiques de dépistage du VIH. Obligeant les soignants et les ONG à trouver des formules aménagées.

L’une d’elles a été mise en place à Dakar. Amadou (prénom d’emprunt) est assis, anxieux, dans la salle d’attente du Centre de traitement ambulatoire de Fann. Cet étudiant de 27 ans n’aime pas les piqûres. Il serre ses livres contre lui en attendant la prise de sang. Il vient se faire dépister du VIH.

Dans ce bâtiment vert clair posé au sein du Centre hospitalier universitaire, le circuit est rôdé. Ici, on parle de « clients », même si le service est gratuit et ouvert à tous. On devient « patient » si le test est positif, et nécessite une prise en charge.

Amadou n’est pas rassuré. Il s’est déjà fait dépister en 2010, mais a eu depuis des relations sexuelles non protégées. Il est accueilli dans un espace à part, l’unité de dépistage volontaire, séparée de l’unité de prise en charge. Clients et patients ne se mélangent pas. « Tout est fait pour qu’il n’y ait pas de contact », explique la coordinatrice du centre. « Pour les clients qui viennent se faire dépister, croiser des malades peut faire peur, et les démotiver dans leur démarche. Cela garantit aussi la confidentialité. On veut éviter la stigmatisation, et leur offrir un accueil discret, mais aussi convivial. »

Première étape pour Amadou, un entretien avec l’assistante sociale. En tête-à-tête dans un bureau fermé, devant son grand registre, Astou Diagne prend des notes, et rappelle à l’étudiant les voies de transmission du VIH et les moyens de prévention. « Avez-vous des relations sexuelles hétéro ou homosexuelles ? », « À quelle fréquence avez-vous eu des rapports non protégés ? ». Amadou répond timidement, l’assistante sociale tente de le mettre à l’aise. Puis, le prélèvement : l’infirmier Mamadou Gueye a l’habitude des clients inquiets. Vite fait, bien fait : 30 minutes plus tard, Amadou reçoit son résultat. Il est négatif. Amadou est soulagé, il repartira avec des préservatifs.

En moyenne, le Centre de traitement ambulatoire de Fann réalise 120 dépistages par semaine. Le défi aujourd’hui : atteindre des personnes qui ne se déplacent pas pour se faire dépister, notamment des populations ciblées : travailleuses du sexe, consommateurs de drogue… Il développe désormais un programme de dépistage à domicile.

Des auto-tests pour contourner la stigmatisation

L’ONG Solthis, elle, a lancé « Atlas », un programme de distribution d’auto-tests dans différents pays d’Afrique de l’Ouest : des tests oraux, que l’on peut réaliser chez soi, en toute confidentialité, avec l’avantage de ne pas devoir se déplacer dans un centre de santé. Plus de 500 000 autotests seront, à terme, distribués dans trois pays de la sous-région : Sénégal, Mali et Côte d’Ivoire.

Les tests sont confiés à des personnes ciblées par les programmes habituels : personnes séropositives, travailleuses du sexe ou utilisateurs de drogues… qui sont alors chargées de les remettre à leur entourage : des proches, des clients ou des partenaires. « Cela nous permet d’atteindre des personnes que nous ne touchons pas habituellement, parce qu’elles ne sont pas identifiées dans les catégories dites à risques », explique Clémence Doumenc-Aïdara, directrice du projet.

Si ce test se révèle positif, son utilisateur doit effectuer un second test de confirmation… Il le conduira, le cas échéant, à entamer ensuite un processus de soins. Clémence Doumenc-Aïdara se montre optimiste. « On se rend compte que, quand les personnes ont franchi cette première étape, et fait la démarche de se dépister, un processus est amorcé », explique-t-elle.

Changements de mentalité

Les mentalités changent également. Et dans certaines villes, le poids des préjugés commence à être un peu moins pesant. À Ndjamena, par exemple. C’est pour être bien visible que cette équipe médicale a choisi d’installer son laboratoire ambulant de dépistage du VIH dans le quartier animé de Moursal. Seringues, gants en plastique et tubes de prélèvement sont simplement placés sur une table en bois de bar, exposés au regard curieux des passants. « Nous offrons des tests anonymes à des jeunes de 10 à 24 ans », renseigne Judith Lasangue, une infirmière de l’ONG Centre de solidarité des jeunes pour la formation et le développement (CSJEFOD).

Depuis 2014, cette association déploie des brigades mobiles de dépistage du VIH dans six arrondissements de la capitale. « Il était impensable de parler du Sida en pleine rue il y a dix ans », se rappelle Désiré Ngarti Ngarhingar, président du CSJEFOD. « Il y a eu un changement de mentalité grâce aux sensibilisations dans les écoles, aux affiches moins culpabilisantes et aux dialogues communautaires », ajoute l’homme, une bande de dépistage à la main.

Alors très vite à Moursal, c’est l’effervescence. Une cinquantaine d’adolescents s’agitent autour des trois professionnelles de santé. « Je passais par hasard avec mes copains et on a décidé de faire le test pour savoir qui est infecté par le virus », lance tout sourire Abakar, lycéen de 17 ans. En dépit de cette détente affichée, le résultat du prélèvement sanguin est tout de même dévoilé à l’abri des regards, au fond d’une cour. « Même si nous faisons une centaine de tests par jour, nous avons remarqué que se faire dépister est une chose, révéler une infection en est une autre car la maladie est encore taboue », explique Aché Mahamat, infirmière. Environ 5800 Tchadiens découvrent leur séropositivité chaque année selon les Nations unies.

Il reste cependant encore du chemin à parcourir pour s’affranchir des préjugés. Au Tchad, une personne sur deux vivant avec le Sida se dit victime de discriminations. C’est ce qu’a mis en évidence la dernière étude menée par le réseau tchadien des associations de personnes vivant avec le VIH en 2017. « Il y a des insultes, des licenciements, des isolements voire des abandons dans certaines communautés où le Sida est perçu comme une honte », rapporte son secrétaire exécutif Ngaradoum Naortangar. Une loi a pourtant été adoptée en 2007 protégeant les droits des personnes vivant avec l’infection. Si des peines allant jusqu’à un an d’emprisonnement sont prévues dans les textes, les associations dénoncent un manque d’application du droit et un laxisme de la justice. Résultat, la majorité des personnes infectées vivent cachée. « Elles se confient à un proche et décident ensemble de se taire pour ne pas s’afficher dans la famille où le quartier. Ce secret représente le principal obstacle aux traitements », conclut Ngaradoum Naortangar.

RFI

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