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Crise de la RN1 : Cafouillage et cacophonie au sommet de l’Etat

La dernière semaine du mois d’août aura été particulièrement éprouvante pour le gouvernement malien et son chef. Jugez – en plutôt : le 26 août 2019, le Dr Boubou Cissé décide de s’attaquer personnellement au casse – tête chinois posé par des centaines de jeunes qui, en guise de protestation contre l’état désastreux de la route, érigent des barricades sur la RN1, c’est-à-dire la principale voie d’approvisionnement qui va de Kati à Dakar, en passant par Didiéni et Dièma.

L’enjeu est crucial pour le gouvernement puisqu’il s’agit de rétablir la circulation et le trafic sur une route hautement stratégique pour l’économie malienne, le commerce et, surtout l’approvisionnement du pays en denrées de première nécessité et en hydrocarbures. Convoqués à la Primature, les délégués des associations occupant la RN1 exigent le démarrage des travaux de réhabilitation de l’axe routier.

La réunion ne donnera finalement rien car en face, les militants du Mouvement Sirako, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont eu la désagréable surprise de ne recevoir du Premier ministre aucune proposition concrète, ni aucun schéma sérieux de sortie de crise.

Les promesses oiseuses et l’évidente impréparation du Dr Boubou Cissé ont visiblement convaincu les délégués de l’absence de volonté du pouvoir de trouver une solution viable au problème. Ils refuseront donc logiquement de lever les barrages érigés sous les menaces à peine voilées de leur interlocuteur qui promet, en levant la séance, que le Gouvernement s’assumera et prendra ses responsabilités. Cette intervention inopportune, sinon maladroite, sera en quelque sorte la fin de l’acte I.

Acte 2: Ou quand le Directeur général de la Sécurité d’Etat entre dans la danse

Le lendemain de la rencontre entre le Premier ministre et les «barragistes» de la Rn1, le général Moussa Diawara s’invite dans le débat en rencontrant la délégation des protestataires, «accompagné» du Ministre, pour reprendre les termes de certains médias. Il affirmera, quelques heures plus tard, avoir obtenu la levée des barrages et annonce dans la foulée la date de démarrage des travaux de réhabilitation qu’il fixe au 20 septembre 2019.

Le DG de la SE, qui ne s’embarrasse pas de fioritures, ne se prive pas d’ajouter une perle: «Nous intervenons en dernière position, après le gouvernement, lorsque la sécurité de l’Etat est menacée». En français facile, le Général Moussa Diarra déclare avoir pris acte de l’incapacité du Premier ministre à résoudre la crise des routes et avoir pris en conséquence, en lieu et place de l’intéressé, les mesures qui s’imposaient.

Fin du deuxième acte.

Acte 3: Revoilà Boubou Cissé

Quelques jours après l’irruption fort médiatisée du DG de la SE sur la scène gouvernementale, le Premier ministre, après avoir observé un temps de silence, tente d’exister face à une situation qui lui échappe et de reprendre la main sur un dossier dont il avait été dessaisi selon toute vraisemblance. C’est du moins la version involontairement servie aux médias par le Général Moussa Diawara qui, pour justifier son intervention dans l’affaire, s’est publiquement prévalu d’un mandat spécial du Président de la République.

Le Premier ministre annonce une nouvelle date de démarrage des travaux plus rapprochée: une semaine. Ce qui fut fait puisque que les équipes de l’entreprise Satom seront vues sur la Rn 3 dès le 5 septembre, s’affairant autour de leurs engins.

Les enseignements d’une crise

La crise provoquée par l’érection de barrages par les jeunes des localités traversées par la RN 1 a certes créé beaucoup d’émoi au sein de l’opinion et dans les milieux d’affaires. Mais son impact sur les hautes sphères du pouvoir a été probablement sous-estimé. Sous cet angle, elle a été un véritable révélateur des insuffisances de l’attelage gouvernemental et des dysfonctionnements graves qui affectent celui – ci.

Primo, on peut, au regard des maladresses et des approximations faites par le Premier ministre lors de son intervention dans le traitement du dossier, si réellement il a l’étoffe nécessaire pour piloter, en ces temps agités, le gouvernement du Mali. Première maladresse, qui frise le manque d’expérience pure et simple, Dr Boubou Cissé, au lieu de confier le règlement du dossier aux ministres en charge du dossier, a choisi de monter en première ligne. Un chef de gouvernement avisé aurait sans doute adopté une attitude différente, en veillant à s’aménager une possibilité d’arbitrage en cas de survenance de difficultés dans le déroulement des discussions avec les «barragistes». Le Premier ministre a ensuite fait la preuve, au cours de son entretien avec les délégués par lui reçus, qu’il ne maîtrisait pas son sujet, en se montrant incapable de se prononcer sur des questions aussi simples que le calendrier d’exécution des travaux sollicités, leur date de démarrage ou leur coût financier.

Pis, il commettra deux bourdes monumentales en estimant, à tort, devant ses interlocuteurs les pertes provoquées quotidiennement par le blocage des routes à plus de deux milliards CFA, et en annonçant le démontage des équipes Satom sur la voie Léré – Tombouctou.

La réaction des jeunes de Tombouctou à cette déclaration ahurissante suffit à elle seule à prendre la mesure des effets désastreux de ces propos du Dr Boubou Cissé. Lequel, face au tollé suscité par une communication plus que désinvolte, s’emploiera à en atténuer les effets par des démentis peu convaincants.

Secundo, et cela interpelle au premier chef le Président de la République : le service public ne peut être efficacement mené que par des personnes bénéficiant de l’estime du public et d’un minimum de crédibilité. La crise de la RN 1 en a donné une parfaite illustration avec le refus des frondeurs de rencontrer la ministre en charge des Infrastructures. Celle-ci a été récusée à juste titre par les jeunes manifestants de la région de Kayes pour avoir faussement et ce, depuis un an, promis le démarrage des travaux de réhabilitation.

En somme, la séquence peu glorieuse que nous venons de vivre à travers la gestion de la crise de la RN1 aura permis de marquer les limites de la méthode IBK. Le président de la République procède en effet au choix des plus hauts responsables en tenant compte de critères de proximité personnelle. Le cafouillage et la cacophonie consécutifs à cette crise devraient lui permettre de rectifier le tir à l’avenir en privilégiant la compétence et l’expérience.

Birama FALL

Le Prétoire

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