ACTUALITÉSNationsociété

Loi d’Entente Nationale : La seconde mort du Capitaine «Bad» et ses hommes

Pour soutenir notre thèse, selon laquelle la loi d’entente nationale est une loi qui encourage l’impunité et fait plus de dégâts et de frustrations qu’elle n’en résout, nous vous proposons ici un article d’un excellent confrère paru dans le non moins excellent hebdomadaire, Jeune Afrique. Le «papier» explique dans les détails comment ce massacre a été perpétré et sa (re) lecture nous conforte dans notre idée, selon laquelle, la loi en question consacre une seconde mort pour le Capitaine Sekou Traoré, alias «Bad» et ses hommes ; sans oublier toutes les autres victimes civiles et militaires tombées depuis 2012. Lisez.

 

Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins aux États-Unis. Il revient cette semaine sur l’attaque d’Aguelhok par le MNLA et Ansar Eddine, pendant la guerre au Mali.

En périphérie du gros village, ils séquestrent les enseignants et étudiants de l’Institut de formation des maîtres (IFM). Ils peuvent dès lors en occuper les installations pour les transformer en base de feu d’où ils arrosent la garnison à la mitrailleuse lourde, au RPG-7 et au mortier. Certains insurgés se positionnent également sur les toits. De là, ils peuvent “allumer” au fusil de précision, à la mitrailleuse légère PKM et à la Kalashnikov les défenseurs. L’infirmerie est le premier édifice touché par les salves. Contrairement à ce qui s’est produit à Ménaka, l’opération semble beaucoup mieux préparée. Les insurgés ont un plan, ils tirent parti de la géographie du terrain, disposent de renseignement sur l’agencement du camp… Très vite, dans le sud du pays, la rumeur court que, sans aide, Aguelhok tombera bientôt. Le MNLA revendique d’ailleurs sa capture.

 

Aguelhok tient bon, l’opération de secours échoue

En dépit d’une situation difficile, la garnison résiste. Galvanisés par “Bad” les soldats maintiennent les irrédentistes à distance. Mais ils ne se contentent pas de répondre de loin : ils contre-attaquent ! Localisant les agresseurs, ils engagent les blindés légers BRDM-2 face aux 4×4 armés de mitrailleuses lourdes. Contre toute attente, les gouvernementaux réussissent à repousser les combattants du MNLA et islamistes. Ceux-ci, pour se prémunir d’éventuels raids aériens de représailles, contraignent les civils de l’IFM à servir de boucliers humains. Ils pillent le lieu, emportant les téléphones et les ordinateurs, mitraillant les réfrigérateurs. La fusillade perd en intensité entre 17h et 18h. Au cours de ces longues heures, les insurgés auraient perdu de 20 à 35 hommes, tandis que du côté malien, les pertes seraient d’un mort et de 7 blessés.

Ce même 18 janvier, d’autres gouvernementaux quittent Tessalit. Ils ont pour objectifs de rompre le siège d’Aguelhok, éliminer les insurgés et renforcer la petite garnison. Objectifs trop ambitieux : l’opération, précipitée, avec des moyens limités, tourne court. L’unité est attaquée par un groupe du MNLA que commande Assalat Ag Habi. La veille, celui-ci dirigeait ses hommes contre Ménaka… Si l’on en croit Bamako, l’intervention est un succès : le chef touareg ainsi que 9 de ses hommes auraient été tués, 4 véhicules auraient été détruits… Pourtant, les gouvernementaux font demi-tour, sans être parvenus à chasser les rebelles et encore moins à faire la jonction avec les forces implantées à Aguelhok. C’est donc bel et bien un échec.


La bataille de l’oued Imenzad,

 

Les insurgés ne laissent aucun répit à la garnison

Bamoussa n’ignore pas que les heures sont comptées avant que les militaires ne réitèrent. Cependant, lui non plus ne lâche pas l’affaire. Il réorganise son dispositif : un groupe mènera un nouvel assaut contre le camp militaire après l’avoir “usé”.  Un autre groupe est chargé de bloquer l’arrivée d’éventuels secours gouvernementaux. Le jour meurt à peine que des éléments irrédentistes se placent en embuscade. Ils choisissent judicieusement les endroits, sur des points de passage obligés, le long des itinéraires qui conduisent à Aguelhok. Dans la localité, les habitants évacuent en catastrophe.

Les rebelles vérifient les identités de chacun, s’assurant qu’aucun militaire ne se cache parmi eux. Le siège du camp militaire se poursuit, ponctué d’échanges de tirs. Les insurgés ne laissent aucun répit à la garnison. Ils exercent une pression psychologique sur les défenseurs dont les nerfs sont mis à vif par les fusillades que déclenche l’adversaire. À chaque instant, l’assaut peut survenir. Et surtout à l’aube. De fait, les soldats dorment peu. La tension et les détonations les maintiennent éveillés. L’atmosphère est électrique. Les stocks de munitions diminuent.

Le commandement décide donc d’une seconde tentative pour briser l’étau qui enserre Aguelhoc. Elle est lancée de Gao le 19 janvier. La colonne est formée autour de l’Échelon tactique interarmes (Etia) local. Il se compose de la milice arabe du colonel Mohamed Ould Meydou (qui commande d’ailleurs la colonne) et de militaires, notamment avec des véhicules blindés BRDM-2.

Fort d’un réseau d’informateurs bien établi, le MNLA apprend rapidement ce qui se trame. L’élément “embuscade” du MNLA (probablement renforcé par des combattants d’Ansar Eddine) à l’affût depuis la veille, n’a plus qu’à “cueillir” les Maliens qui foncent vers le Nord. Les faits démontrent que les gouvernementaux sont relativement confiants. Ils paraissent convaincus que leur adversaire ne sera pas de taille et qu’il se dispersera dans la nature sitôt confronté à la puissance de feu de l’Etia…

Le 20 janvier, la colonne atteint l’oued Imenzad, à une quinzaine de kilomètres au sud d’Aguelhok. Jusque-là, le périple s’est déroulé sans anicroche notable. Militaires et miliciens  s’engouffrent donc sans méfiance. L’itinéraire n’est même pas “éclairé” par des reconnaissances terrestres voire aériennes… Le piège se referme alors, brutalement. Les insurgés se dévoilent. Ils font pleuvoir un déluge de balles de DShK et de ZPU. Les hommes de l’Etia, empêtrés avec les camions de ravitaillement lourdement chargés ne peuvent manœuvrer aussi agilement que l’ennemi. C’est un carnage.

Plusieurs dizaines de miliciens et soldats sont tués (entre 50 et 101 morts selon les sources, le premier chiffre, bien qu’élevé, paraissant le plus proche de la réalité), de 1 à 5 BRDM-2, une quarantaine de camions et 4×4 détruits. À quoi s’ajoutent entre 25 et 65 prisonniers, 26 véhicules capturés. Ce bilan fourni par le MNLA doit évidemment être considéré avec prudence, Bamako n’admettant qu’une dizaine de morts. Mais, au-delà des batailles de chiffres, deux choses sont sûres : l’armée malienne a subi des pertes et la colonne de secours n’est pas passée.

À Aguelhok, la situation est désormais désespérée. Depuis plus de 48 heures, la garnison est coupée du reste du Mali, harcelée. Faute de munitions, les militaires ripostent de moins en moins, permettant ainsi à l’adversaire de s’enhardir, d’être plus précis dans ses tirs. Les soldats comprennent qu’ils ne doivent attendre aucun secours de l’extérieur. L’armée malienne est clairement incapable de franchir le terrain qui la sépare du poste avancé. La faiblesse des moyens aériens handicape un aléatoire ravitaillement aérien (dont personne ne semble d’ailleurs avoir l’idée à ce moment-là). Quant à une troisième tentative, elle exige des moyens plus conséquents pour avoir une chance de réussir. Or, ce temps, les défenseurs d’Aguelhok ne l’ont plus.

 

24 janvier 2012 : crépuscule sanglant sur Aguelhok

Le 21, les rebelles annoncent qu’Aguelhok est entre leurs mains. Là encore, l’allégation est fausse. La garnison agonise, mais tient toujours. Finalement, l’assaut est donné le 24 janvier vers 05h00. Les militaires n’ont plus de cartouches ; ils déposent les armes. D’une certaine manière, ils n’ont pas été vaincus. Ceux qui se rendent sont alors ligotés. La plupart d’entre eux sont exécutés peu après, à commencer par le capitaine Sékou Traoré : balle dans la nuque ou égorgés. Ils paient ainsi leur pugnacité ainsi que les pertes subies par leurs meurtriers. Un premier bilan évoque 41 morts. Chiffre qui grimpe ensuite à 82 tués.

Le 1erfévrier 2012, le président Amadou Toumani Touré évoquera 95 morts. Enfin, l’Association malienne des droits de l’homme parle de 153 morts… La Cour pénale internationale (CPI) dans un rapport sur la situation au Mali (en date de janvier 2013) mentionne quant à elle de 70 à 153 victimes (reprenant des sources diverses).

Dans le courant du 24 janvier, une troisième opération de secours est initiée par le colonel Ag Gamou, cette fois-ci depuis Kidal. L’Etia qui en constitue la composante principale bénéficie – enfin – d’un appui aérien, avec les hélicoptères de combat Mi-24D Hind basés à Gao (ce qui implique des points de ravitaillement en carburant au sol, les Hind n’ayant pas le rayon d’action suffisant). Les insurgés ont appris à les redouter en 2008. Tout comme ils redoutent Ag Gamou. La menace est sérieuse, contraignant donc les rebelles à se retirer d’Aguelhok.

En arrivant le 25 janvier, les gouvernementaux découvrent les corps de leurs camarades militaires, gardes nationaux et gendarmes, atrocement assassinés. En tout, durant la bataille d’Aguelhok (opérations des colonnes de secours comprises), 116 hommes des forces armées auraient été tués.

 

Qui est responsable du massacre ?

Le MNLA ne tarde pas à affirmer qu’aucun massacre n’est survenu à Aguelhok. Pour les cadres du mouvement, les prisonniers maliens auraient perdu la vie lors de raids aériens lancés par le gouvernement. Des officiers de la DGSE malienne auraient alors orchestré toute une mise en scène, entravant les corps avant de tirer une balle dans la tête des dépouilles. Cette explication prêterait à sourire si elle n’était pas aussi tragique. L’examen des photos et vidéos des cadavres suffisent à établir que soldats et paramilitaires n’ont pas été mutilés par des balles de mitrailleuses de type “Gatling” de 12,7 mm des Mi-24, qu’ils n’ont pas été mis en charpie par des éclats de roquettes air-sol de 57 mm. Alors, qui est coupable ? Ansar Eddine ? Aqmi ? Ou encore des éléments incontrôlés du MNLA ?

Dans un premier temps, le rapport d’une commission d’enquête malienne, remis le 22 février 2012, accuse le MNLA et Aqmi. Dès le 26 janvier, Bamako affirme qu’Aqmi est présent aux côtés du MNLA. La diplomatie française est, elle, sceptique sur ce point. En revanche, la présence d’Ansar Eddine à Aguelhok ne fait aucun doute : elle est d’ailleurs mentionnée par des porte-paroles de l’organisation islamiste. Le 14 mars 2012, le groupe radical islamiste le confirme, précisant que les prisonniers qu’il détient sont bien traités. Sauf preuve du contraire, les jihadistes d’Aqmi ne semblent pas se battre à Aguelhok entre le 18 et le 24 janvier 2012…

Ne restent donc que le MNLA et Ansar Eddine. En dépit des déclarations des représentants de l’organisation installés à l’étranger, le comportement des irrédentistes est loin d’être toujours irréprochable : pillages, viols, voire meurtres. Exactions qui semblent commises par une frange opportuniste du MNLA : trafiquants, bandits du désert… Ceux-là mêmes qui intégreront les rangs d’Ansar Eddine contre monnaie sonnante et trébuchante, quelques semaines plus tard… Les soupçonner d’être les criminels d’Aguelhok, en compagnie d’islamistes zélés d’Iyad Ag Ghaly, n’a donc rien d’absurde.

Les deux vérités

“Criminels” car c’est bien de cela dont il est question : le massacre perpétré est un crime de guerre. Indéniablement. Presque un an après les faits, le 16 janvier 2013, la Cour pénale internationale (CPI) ouvre d’ailleurs une enquête sur sollicitation des autorités maliennes (en date du 13 juillet 2012). Le long processus de collecte d’indices, de recueil de témoignages a commencé. Espérons qu’il permettra de connaître enfin la vérité.

Quant au capitaine Sékou Traoré et à ses hommes, ils sont considérés comme des héros par les Maliens. Sentiment encouragé par la nécessité pour Bamako de créer des figures exemplaires, des hommes qui font l’Histoire du pays afin de lui donner toute les chances pour qu’existe un avenir. Derrière ce vernis épique qui rend les tragédies plus supportables, il y a néanmoins une autre vérité : la bravoure du capitaine Sékou Traoré et de ses hommes n’est pas un mythe.

 

Mohamed Ag Aliou avec Jeune Afrique

Source: Nouvelle Libération

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Open

X