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Cinéma: «Le Fils», immersion dans l’intimité des Spetsnaz russes

Du service militaire jusqu’au souvenir d’opérations meurtrières dans le Caucase, les jeunes Spetsnaz russes partagent dans un documentaire un peu de leur intimité. Un témoignage rare sur ce que sont ces unités d’élite.

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« Le 23 mai 2013, mon cousin Dima est mort d’une balle dans la tête. » Ce drame familial est le point de départ du dernier film du documentariste russe Alexander Abaturov, Le Filsqui sort ce mercredi 29 mai au cinéma. Dima avait intégré les Spetsnaz, les forces spéciales russes, avant de tomber lors d’une embuscade pendant une mission au Daghestan, l’une des Républiques de la Fédération de Russie, dans le Caucase du Nord.

Frappé par la nouvelle, Alexander Abaturov décide de suivre le conseil de sa tante : en hommage à Dima, armé de sa caméra, il tente de comprendre le parcours de son cousin. La volonté des parents du défunt sera entendue par la hiérarchie militaire qui accepte l’intrusion du documentariste, entre 2014 et 2016.

Images rares d’unités mystérieuses

Les Spetsnaz sont des unités très discrètes. Ces forces spéciales regroupent environ 45 000 hommes chargés des opérations les plus sensibles, depuis le sabotage aux opérations extérieures en passant par le contre-terrorisme. Dans ce cadre, ils sont largement engagés dans les affrontements entre l’État russe et les rebelles de Tchétchénie, du Daghestan et d’Ingouchie. Il est très difficile de les approcher et lorsque l’armée ouvre ses portes, les images sont très contrôlées.

► À lire également : Caucase/Russie: en Ingouchie, un échange de territoires qui ne passe pas

Au fin fond de la Sibérie, les autorisations de tournage ont pu être obtenues en dehors du cadre officiel. Les parents de Dima ont directement demandé l’aide de ses anciens chefs, d’accord avec le principe de cet hommage. « J’ai réussi à passer inaperçu, se souvient Alexander Abaturov. J’avais envie de faire un film à la mémoire de Dima. Je n’ai jamais donné de détails et heureusement, car je ne sais pas mentir. »

Tout au long du documentaire, le spectateur découvre en alternance le deuil des parents de Dima et le quotidien des jeunes soldats, conscrits ou candidats au béret rouge des Spetsnaz de l’armée de terre. Difficile malgré tout de les amener à se confier face à la caméra. En coulisses, ils partagent un peu plus ce qui les motive à porter l’uniforme. Selon Alexander Abaturov, rares sont ceux qui le font par sens du devoir : « L’un des Spetsnaz me l’a affirmé, à peine 2 % sont des patriotes. Le reste, ce sont des gens des kolkhozes qui essaient de s’en sortirIl y a un sacré contraste entre les discours officiels et le ressenti des hommes de terrain. »

Drôles de guerres

De ce que font ces hommes dans les territoires agités du Caucase du Nord, le public ne sait pas grand-chose. Pas de guerres sur le territoire national. Il faut parler de « contre-terrorisme ». Faute d’une presse travaillant librement dans cette région, les informations qui parviennent jusqu’en Russie sont rares. Les hommes, eux, se taisent sur ce qu’ils ont vécu sur place : « Ils parlent des montagnes, des forêts… Mais pas de la mission, explique le documentariste. Ils essaient de l’enterrer au plus profond. Un peu comme les vétérans de la Seconde Guerre mondiale : ils sont glorifiés, mais ne veulent pas en parler. »

► À lire également : Le Caucase depuis la fin de l’ère soviétique (Dossier RFI Savoirs)

Une séquence est particulièrement forte. Les frères d’armes de Dima racontent son dernier combat. Au son des premières rafales, ils se jettent au sol. Trop tard pour leur camarade, tué sur le coup. Ils rattrapent l’auteur des coups de feu. « On raconte qu’il a pris les armes parce qu’il a perdu un fils. Drôle de système », lâche l’un des soldats, amer, devant la caméra.

Un engagement pudique

Pour Alexander Abaturov, ce voyage en terre kaki n’avait rien d’évident. Lui-même a évité le service militaire et vit depuis 2009 en France où il s’est formé au documentaire. Après une première expérience dans les médias en Russie, il conclut qu’il ne pourra guère exercer les métiers de l’image librement.

Pourtant, lorsqu’il part à la rencontre des jeunes Spetsnaz, il refuse de laisser ses opinions et ses émotions prendre l’ascendant : « Après la mort de Dima, je ressentais beaucoup de colère. Mais éthiquement, on n’a pas le droit de faire de mal à ses personnages, à ceux qui nous ont fait confiance. » La famille de Dima et ses frères d’armes ont pu visionner l’œuvre : « Ils l’ont trouvé honnête et juste. Le film ne parle pas que de Dima, il parle aussi d’eux. Ça les a touchés. »

Les images très brutes du film, sans commentaire du réalisateur, plongent le public dans la vie de ces hommes, sans émettre de jugement. Alexander Abaturov a fait le choix de laisser à son spectateur la liberté de se forger un avis. Le regard de l’auteur sur l’armée a-t-il pour autant évolué ? « Ça a confirmé la vision que j’en avais, répond-il. C’est une machine dégueulasse, inhumaine et ultra-violente. J’ai vu comme ça brise le destin des gens. »

«Le Fils», d’Alexander Abaturov. Sortie le 29 juin 2019 au cinéma.Nour films
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