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Ogossagou : Quand est-ce que ces meurtres par procuration vont-ils cesser au Pays Dogon ?

L’une des premières mesures du gouvernement du Mali suite au pogrom d’Ogossagou-peul est la dissolution de la milice Dana-Amassagou. Elle tombe avant toute enquête et évidence palpable. Comme telle, la dissolution d’une milice sur une scène où opèrent une armée nationale qui « monte en puissance », des milliers de casques bleus et autant de militaires européens pourrait passer comme un non-événement.

Comment, malgré la présence sur le sol du Mali d’une coalition d’armées parmi les mieux équipées du monde, on assiste encore à la résistance des milices ? Cependant, lorsqu’on regarde de plus près, on voit que l’onde de choc de la dissolution représente une énorme victoire symbolique pour ceux qui tirent les ficelles pour transformer la crise du centre en un conflit inter-ethnique. La décision du gouvernement est basée naïvement sur une seule hypothèse. Les meurtriers seraient habillés en tenue de chasseurs. Les miliciens de Dana-Amassagou s’habillent en tenue de chasseurs. Les meurtriers sont, par conséquents, les miliciens de Dana-Amassougou. Que nous dit un tel raisonnement ? Premièrement que la crise dite du centre est un conflit ethnique entre Peul et Dogon. Deuxièmement, et c’est une révélation, que les Peuls sont les victimes des Dogon “génocidaires”. Et c’est effectivement, cette dernière thèse que ceux qui mènent ce conflit par procuration, cherchaient à faire confirmer par l’Etat malien. Enfin, ils y sont parvenus à travers le pogrom d’Ogossagou. Aussitôt que la décision du Conseil des ministres soit rendue publique, Dana-Ammassagou et ces supposés “victimes” sont placés sous les projecteurs des médias du monde entier. En réalité, ce n’est pas la dissolution de Dana-Amassagou que les médias célèbrent à plein gosier, mais le fait que l’Etat malien ait, finalement, reconnu officiellement qu’il y a bien un problème peul au Mali, qu’il y a bien une ethnie discriminée, victime de génocide qui arrive en filigrane. Dans cet aveu, ce n’est pas Dana-Amassougou qui est visé, mais l’ensemble de la collectivité territoriale. On cherche à situer une responsabilité collective et au-delà, une responsabilité nationale. IBK et son gouvernement seront bientôt amenés à assumer un crime contre l’humanité et d’en payer les frais. Car, Dana-Amassagou est présentée comme le bras droit de l’armée malienne. Inconsciemment, IBK se tire une balle dans le pied.

Je ne suis pas un partisan du complot. Le complot, ne le nions pas, existe bel et bien. Mais quelle que soit sa forme il ne marche pas sans collaborateurs locaux. Le Mali est entièrement responsable de ce qui lui arrive depuis janvier 2012. Deux décennies durant, ses citoyens sont dirigés par un Etat nu, dépouillé de tous les attributs qui en fait une autorité. Nous savons tous, comment il a été dépouillé avant l’intervention de Serval/Barkhane et Minusma ; et comment l’intervention maintient cette nudité sous sa tutelle. En matière de politique internationale la vertu est rare comme la morve du serpent. Les puissants visent toujours à être plus puissants. Les crises internes sont de bons levains. Depuis 1992, des régions entières du pays sont mises en coupes réglées des ONG et des Agences multinationales. Ce n’est donc pas étonnant que le gouvernement actuel soit incapable de s’opposer aux puissances de la division.

En 2012, on a inventé le concept géopolitique, “Nord du Mali” avec toutes les implications territoriales, identitaires et politiques que cela a drainé. En 2015, on nous invente un autre concept, le “Centre du Mali” dont l’enjeu se joue, pour le moment, sur la plaine du Pays Dogon, en attendant qu’on nous invente le “Sud du Mali” et “l’Ouest du Mali”. Ceux qui inventent ces concepts y mettent des contenus et des agendas que nous les Maliens ignorons. Même ceux d’entre nous qu’ils manipulent (les nouveaux faiseurs d’histoire) l’ignorent. Tout observateur objectif connaît le caractère pacifique et humaniste de ceux qui habitent (Dogon, Dafing, Peul, Samogo, Mossi, etc.) ce territoire qu’on appelle conventionnellement le Pays Dogon ? Seul Dieu et sa vérité ne changent pas. Tout le reste change. L’homme, la société, la nature. Un pacifiste peut devenir un meurtrier s’il est placé devant une combinaison de circonstances qui l’incitent à la guerre. Peut-on soutenir précipitamment que c’est ce qui arrive au Pays Dogon depuis deux ans ? Le pogrom d’Ogossagou est-il vraiment l’œuvre de ceux que la presse, à la suite de l’Etat malien, désigne ? La milice Dana-Amassagou est-elle une milice qui protège une région ou une milice créée pour tuer une ethnie ? En attentant qu’on ne mette la main sur les meurtriers, je me permets de douter que Dana-Amassougou, une milice née dans les mêmes circonstances que toutes les autres milices qui prolifèrent au Nord comme au Sud, soit capable de faire une telle atrocité. Ce pogrom a, et je le crois jusqu’à preuve du contraire, la marque de tueurs à gage qui n’ont aucun lien sentimental, territorial, historique avec le Pays Dogon. J’espère que cette fois-ci, la Minusma, la force Barkhane et l’Etat malien se donneront la main pour retrouver ces criminels. Ils ne doivent pas donner aux bailleurs de fonds de ce meurtre la chance de faire disparaître les meurtriers dans la nature, (comme ce fut le cas de Koulongo) dans le but inhumain et cruel, d’entretenir le fantasme d’un génocide perpétré par Dana-Amassagou. Le peuple malien a le droit moral d’exiger de la communauté internationale ce coup de main. Ce n’est pas seulement la responsabilité du Mali seul qui est engagée mais celle de tous ceux qui, depuis six ans, sont venus “l’aider” avec drones et avions dans ses cieux.

Une machine de recrutement en route

En attentant, toutes ces prises de positions médiatiques pour organiser la chasse aux sorcières, ne sont rien d’autres qu’une tentative bien orchestrée de nous faire prendre la vessie pour la lanterne, le symptôme pour la cause. Retournons en janvier 2013 pour voir clair comment la crise a été transférée du Nord au Centre (le Delta et la boucle du Niger). Lorsque l’opération Serval a intervenu pour rétablir l’autorité du MNLA sur Kidal, elle a trainé les pas à Konan comme pour dire aux combattants des groupes djihadistes (AQMI, Mujao, Ansar Dine et autres), détalez-vous comme des pintades. Tactique habile pour faire le tri entre ceux qui peuvent entrer dans son plan et les autres. Le message est entendu. Ils se sont dispersés entre le Mali, la Mauritanie, le Burkina-Faso et le Niger. Après la reprise de Gao et Tombouctou, beaucoup de jeunes peuls qui combattaient dans les rangs du Mujao étaient désorientés et se sont repliés dans les monts de Douentza où ils menaient à titre individuel des attaques sporadiques. Après la signature de l’Accord d’Alger en 2015, on leur a trouvé un nouvel employeur : le Front de Libération du Macina. Ça sonne bien à l’oreille de la Minusma. Et le ralliement s’est accéléré. Même lorsque Amadou Kouffa, son supposé leader, s’est rallié à Ansar Dine, certains milieux européens et des agences basées à Dakar ont continué à soutenir sur les tribunes internationales et dans certaines chancelleries occidentales basées à Bamako que le FLM mène une lutte politique sous le masque de l’Islam. Le but est de libérer la terre peule de l’occupation des cultivateurs. On a peint, pour les besoins de la cause, le FLM comme le MNLA peul. Le message est pris au sérieux. Après les Touareg, il faut aider les Peuls. Ainsi, sa machine de recrutement a été mise en route. Les têtes pensantes de cette machine se sont gardées de l’appeler “la crise du Macina” pour ne pas avoir à dévoiler la cartographie. Ils ont retenu, “la crise du Centre”, plus neutre, vague et politiquement correct. Selon une étude que j’ai dirigée en 2016 sur les perceptions des facteurs d’insécurité et d’extrémisme violent dans les régions frontalières du Sahel, les jeunes recrues du FLM affirmaient que leur objectif était de débarrasser le Macina des forces armées et de sécurité. Qu’ils dirigeaient leurs armes contre les tribunaux, nids de l’injustice dont, selon eux, les Peuls sont les premières victimes. Graduellement, cet objectif politique (chasser l’Etat du Macina) s’est mué pour devenir un règlement de compte entre éleveurs et paysans dans le Delta humide et dans la boucle du Niger. Leurs fusils se sont ainsi pointés sur de paisibles éleveurs, pêcheurs, commerçants et paysans. La montée de la violence dans les deux zones a donné naissance aux milices. C’est une belle occasion offerte aux tireurs de ficelles pour mettre en activité les pyromanes les plus dangereux. Ces pyromanes, on va les chercher à l’intérieur et dans d’autres pays africains. Ils ne devraient aucunement avoir de liens émotionnels avec les populations locales. Ils ne sont liés à aucune des milices en présence. Ils agissent au compte des tireurs de ficelles qui ont programmé les tueries de masses depuis deux ans. En 2017 le Mali a été placé parmi les tops 10 % de pays où le risque de génocide est le plus élevé. Une étude réalisée par le Centre Simon-Skjodt pour la Prévention du Génocide, basé dans le Musée de l’Holocauste à Washington, pointe du doigt les facteurs ethniques du génocide au Centre et à l’Est du Mali. Ces prévisions se confirment à travers Koulongo, Ogossagou et d’autres qui pourraient suivre. Ces pogroms étaient programmés depuis la signature de l’Accord d’Alger et la création consécutive du FLM. Il le faut. Sans quoi le plan de morcèlement et à long terme du Mali sera un échec. Il suffisait seulement de trouver à Bamako et ailleurs une organisation qui fera sortir des gens qui hurleront dans les rues et dans les stades : Génocide ! Génocide ! Et appellera ensuite à l’aide étrangère. La pauvre ! Qui ne sait pas que c’est une partie d’elle qu’on utilisera comme la chair à canon. C’est une grossière mise en scène de la théorie de false flag (fausse bannière) qu’on a servi aux Maliens le 24 mars à Ogossagou.

La déstabilisation comme moyens de pression politique

La guerre est un marché d’emploi très lucratif. Dans ce contexte complexe, où les acteurs cachés sont très puissants, on tient à l’opinion nationale et internationale un langage facile à comprendre : le conflit ethnique. On assimile la violence du FLM à un djihad, en revanche celle des milices à un nettoyage ethnique. Voilà sans doute, pourquoi les non-dits autour de la crise du centre restent particulièrement nombreux. Les experts de cette interprétation savent exactement pourquoi le conflit doit être présenté comme tel. En réalité, la lutte du FLM n’a aucune racine religieuse. La référence au djihad est une stratégie d’accès au soutien d’Iyad Ag Agaly. Dans le fond, sa branche armée et son bras politique tiennent hypocritement un discours identitaire ethniciste. Cela est clair à travers les interventions au compte-goutte du président de Tabital Pulaaku. Elles reposent sur l’idée d’une barbarie de cultivateurs contre les Peuls. Or la responsabilité du FLM et sa branche politique crève les yeux. Ces derniers temps, tout le monde écoute, muet de stupeur, le président de Tabital Pulaaku Abdoul Aziz Diallo qui déploie son énergie, son intellect, bref son explosif de l’esprit pour exhorter les Peuls à la haine, à l’exaltation de la violence, à la barbarie. Au nom de quel groupe peul parle-t-il ? Connait-il vraiment la sociologie du Pays Dogon ou du Delta intérieur ? Les Peuls de ces zones l’ont-ils mandaté pour tenir un discours, si épouvantablement meurtrier ? Le Gouvernement doit très vite ouvrir une enquête sur les réseaux internes et externes avec lesquels Abdoul Aziz Diallo complote pour envoyer ses compatriotes du Centre (Dogons Peuls et tout le reste) à la boucherie. Quand sera venue l’heure de la réconciliation et de la vérité, Dogons, Peuls et tous les Maliens se rendront compte de la capacité de manipulation et du jeu de double visage de ce personnage hautement complexé. Pour le moment tant que le gouvernement ne prendra pas sa responsabilité pour placer tous les leviers cachés et visibles du conflit sous son contrôle, il serait illusoire de parler de paix.

Quatre ans après la signature de l’Accord d’Alger, la capacité de nuisance des groupes djihadistes étonne. Sont-ils réellement tous des djihadistes ? D’un millier de djihadiste à la veille de l’intervention, ils seraient aujourd’hui des centaines de milliers à transformer le Mali en ruines. Comment se reproduisent-ils ? Après chacune de leurs horreurs, la réaction de la communauté internationale me paraît très étrange. Comme mesure politique, elle insiste sur la nécessité d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord. Cela donne l’impression que les groupes signataires de l’accord ne font plus la guerre, par eux-mêmes contre l’armée malienne, mais par procuration. Qui paye la note ? Sinon quel lien y a t-il entre les attaques terroristes et la mise en œuvre de l’Accord ? A moins que ceux qui attaquent ne portent que des masques de djihadistes. Mais en réalité ils font partie du dispositif de déstabilisation comme moyens de pression politique sur le Mali. Il semble qu’il y a un système de recyclage des combattants pour maintenir l’insécurité à son niveau le plus élevé que possible. D’une main on signe l’Accord et de l’autre main partent des balles, quitte à dire que c’est l’acte des djihadistes. Après Ogossagou, le gouvernement, sous le choc de l’émotion, prononce la dissolution de Dana-Amassagou. Est-ce la solution à la crise ? Cette milice n’est-elle pas la vessie qu’on veut nous faire prendre pour la lanterne ? C’est évident, la déclaration spontanée du Premier Ministre sur Ogossagou montre que le gouvernement n’a pas encore une idée claire sur les vraies sources du mal. Celui-ci ne vient pas de là où on attire son attention. Il doit se poser la question de pourquoi les attaques se sont multipliées après le déploiement des forces étrangères et l’Accord d’Alger. Après six ans de gestion de crise, c’est consternant de voir que le gouvernement malien n’a pas encore trouver la clé pour comprendre pourquoi sur les traces de l’intervention étrangère, progresse pas à pas la destruction. Rien ne sert d’avoir une armée qui monte en puissance lorsqu’on se trompe d’ennemi. Au regard de ce qui se passe au pays Dogon, le Mali, pour préserver son unité et reprendre le contrôle de son destin politique qu’il a perdu en 1968, doit prendre les mesures suivantes : 1) – ne pas redéployer les déserteurs et les anciens miliciens dans les unités des Famas avant que celles-ci ne recouvrent la totalité du territoire, 2)- commencer dès la fin de 2019 à réduire considérablement le nombre des forces étrangères, 3)- ne pas engager la décentralisation poussée avant le départ de toutes les forces étrangères, 4)- filtrer l’entrée de tous les soit disant experts indépendants sur le sol malien, quel que soit leur nationalité. C’est souvent des voisins qu’on utilise pour les « sales besognes » de proximité. Tant qu’il y aura des forces armées étrangères et d’experts obscurs dont les activités échappent à l’Etat malien, le chemin de la paix sera encore très long.

Isaie Dougnon

Nantes, 26 mars 2019

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