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Mali : IBK, deux erreurs et une hésitation

Il a réussi à vendre le rêve d’un Mali heureux, dont l’honneur est restauré et sauf. Élu en 2013 dans un pays en proie à ce que ses concitoyens appellent pudiquement la crise du Nord, Ibrahim Boubacar Keïta est perçu comme l’homme de poigne dont Bamako avait besoin dans un contexte politique et sécuritaire particulièrement difficile. Après cinq années de présidence, faut-il penser que le Mali s’est réjoui trop vite ? La réponse en deux erreurs… et une hésitation.
                                                                                               
Le 4 septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keïta prêtait serment au Centre international de conférences de Bamako devant une vingtaine de chefs d’État venus le féliciter. Celui qui a recueilli 77,62% des suffrages incarnait alors l’espoir de tout un peuple. Lui qui avait déclaré quelques jours plus tôt, le 22 août, après l’annonce des résultats de ce scrutin très suivi : «Je serai le président de la refondation nationale».Espoir, bonheur, refondation, honneur, telles sont précisément les promesses qu’il a répétées tout au long de cette campagne électorale. Des promesses qui, à l’heure du bilan, sonnent comme des rêves inaccessibles qu’on peut tout au plus lui concéder d’avoir poursuivis de bonne foi.

Le processus d’Alger : le piège sans fin

Le contexte malien de 2012 n’a pas seulement dicté le cours de l’élection présidentielle qui a mené IBK au Palais de Koulouba. Il a aussi redéfini les attentes d’un peuple qui peine à faire confiance à ses dirigeants. En effet, le coup d’État du (désormais) général Amadou Sanogo avait facilité la progression des mouvements armés indépendantistes du nord du pays, engagés dans une nouvelle lutte pour la libération de l’Azawad.

Une nouvelle lutte, car la «question touarègue» comme on l’appelle dans les milieux politiques maliens, a toujours donné des insomnies aux dirigeants de ce pays depuis les années 1990… alors qu’un certain Ibrahim Boubacar Keïta était Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré. Et on peut le dire, la «question touarègue», IBK se l’était posée lui aussi depuis bien longtemps.

Si on peut mettre à son actif les négociations qui ont abouti à la signature de l’accord de paix d’Alger en mai et juin 2015, les difficultés dans son application trois ans après, révèlent une politique sécuritaire hésitante -ou trop prudente- dans un contexte qui, à plusieurs égards, a empiré.

D’abord les populations civiles, premières victimes des exactions des groupes armés du nord sont restées la cible d’attaques répétées. Elles qui devaient bénéficier d’un retour de l’armée malienne dans le nord et de l’instauration de patrouilles mixtes entre soldats maliens et combattants des groupes armés signataires de l’accord d’Alger (qui n’ont débuté qu’en mai 2018), sont livrées à elles-mêmes, exposées aux feux croisés d’organisations terroristes présentes dans la région et de soldats maliens de plus en plus accusés de violences et d’exécutions sommaires.

Ensuite, l’administration peine à se redéployer malgré les visites en grande pompe d’officiels dans les régions anciennement occupées. Sur les plus de 700 écoles qui ont dû fermer entre 2011 et 2013, à peine une cinquantaine ont rouvert leurs portes laissant quelque 200 000 écoliers sans scolarisation, selon les estimations d’Amnesty International.

On n’en conclura pas pour autant que les négociations d’Alger étaient une erreur. Bien au contraire. En créant un cadre juridique et un processus consensuel pour orienter la reconstruction de la paix dans le nord du Mali, cet accord donne une direction claire à la «refondation nationale» dont IBK s’est déclaré l’apôtre. L’erreur a été de penser qu’il suffisait de l’armée, de la bénédiction des religieux et du soutien de la communauté internationale pour rendre la paix et la liberté au nord du Mali.

Ainsi, les autorités maliennes on perçu assez tard la mutation de la menace sécuritaire d’origine indépendantiste qu’elles connaissaient bien en péril sécuritaire dû au regain de l’activité terroriste pendant la période d’occupation du nord. Ceci a par ailleurs considérablement ralenti l’activité économique en zones rurales où les foires de villages occupaient une place importante, aggravant ainsi la situation économique d’un pays déjà miné par la corruption.

La lutte contre la corruption prend du temps. Trop de temps

Beaucoup se souviennent de la déclaration du chef d’État malien en janvier 2014, où il plaçait l’année qui commençait sous le signe de la lutte contre la corruption. Cette annonce s’inscrivait déjà dans un contexte où la lutte semblait avoir commencé avec les auditions de nombreux cadres et personnalités dans une centaine de dossiers auxquels la justice s’intéressait depuis décembre de l’année précédente. Elle a été bien reçue et largement saluée par l’ensemble de la société civile ainsi que de nombreuses formations politiques.

Pourtant, un an après, en 2015, le vérificateur général du Mali estimait à près de 70 milliards de francs CFA (plus de 100 millions d’euros) les pertes causées par la corruption en une année.

Il est évident que l’assainissement des finances publiques maliennes prendra du temps, et qu’il ne serait pas raisonnable d’attendre des résultats éclatants après une année de lutte contre la corruption. Mais au bout de cinq années et presque pas de condamnation majeure, peut-être est-il temps de se demander si la lutte ne s’est pas arrêtée en 2014.

À la décharge du gouvernement d’IBK, on peut admettre que les procédures judiciaires peuvent parfois mettre plusieurs années à aboutir à des décisions. De plus, la décision rendue en février 2018 dans l’affaire de la vente d’équipements militaires par l’entreprise Guo-Star au gouvernement d’une part, et l’instruction en cours dans le dossier de l’achat de l’avion présidentiel en 2014 d’autre part, semblent témoigner de la bonne foi des autorités maliennes. Mais la bonne foi ne suffit pas.

Les Maliens attendaient du président qu’il reste l’homme de poigne qu’ils avaient élu et qu’il s’engage avec plus de fermeté dans cette lutte. Ils pourront être déçus des tergiversations observées dans l’application de l’obligation de déclaration de patrimoine faite à tous les agents de la fonction publique à partir de juin 2017, ou encore pour fixer la formule de revalorisation automatique des prix des carburants permettant de réduire des subventions trop lourdes pour le budget de l’État, pour ne citer que ces deux exemples. À croire que l’environnement social et politique aura transformé IBK en un dirigeant hésitant.

La réforme constitutionnelle, entre prudence et hésitation

Le Comité des experts pour la révision de la Constitution avait été mis en place par le président Ibrahim Boubacar Keïta le 26 avril 2016. Point de départ de la procédure visant à réviser la Constitution en vigueur depuis février 1992, ce comité avait la lourde tâche de traduire en textes, les principales clauses de l’accord de paix d’Alger qui nécessitaient une révision de la loi fondamentale pour devenir applicables, notamment la création d’assemblées dotées de pouvoirs importants dans les cinq régions administratives du Nord, et la création d’un Sénat, comme seconde chambre du Parlement.

L’Assemblée nationale avait de son côté fait sa part du travail pour ainsi dire, en adoptant deux lois portant, pour la première, sur la modification du Code des collectivités territoriales et ayant permis l’installation des autorités intérimaires dans les régions du Nord et, pour la seconde, sur le code électoral.

Les contestations soulevées par les partis d’opposition et un grand nombre d’organisations de la société civile à l’encontre du projet soumis par le gouvernement, ont semblé entamer la détermination d’IBK à faire aboutir cette réforme. Ainsi, après un premier report, le chef de l’État a décidé de «surseoir» à l’organisation du référendum constitutionnel qui devait se tenir le 9 juillet 2017.

Une décision prudente à plusieurs égards, qui n’a pas manqué d’inquiéter certains commentateurs qui la qualifient d’hésitation dans un contexte où la révision de la loi fondamentale serait perçue par les groupes armés signataires de l’accord d’Alger comme une avancée capitale et un signe de la bonne foi du gouvernement malien. Il reste cependant que la réponse à la «question touarègue» ne se limite pas à cette révision constitutionnelle.

Le 4 septembre 2013, des milliers de Maliens étaient venus applaudir le candidat de la «refondation nationale» au Centre international de conférences de Bamako. Ibrahim Boubacar Keïta, qui a officialisé sa candidature à l’élection de 2018 pour un second mandat, aura-t-il la même aura d’homme de poigne capable d’apporter des solutions aux problèmes maliens ? Rien n’est moins sûr.

 Par afrique.latribune.fr

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