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Boua Ni Sogoma

Bonjour Kôrô Président et acceptez que j’aie beaucoup de compassion pour vous en tant que chef d’un Etat en lambeaux, ou d’une nation qui se disloque et d’un peuple qui de plus en plus perd et se perd dans la notion et le sens de la nation.

Par décence, j’ai parlé de compassion au lieu de pitié et je crois que le terme qui sied bien à mon sentiment réel et profond est bien celui-ci.

Vous êtes un président qui ne doit pas pouvoir dormir les poings fermés, ni manger à sa faim, ni garder toute la tranquillité d’une conscience déjà suffisamment meurtrie par tant de déceptions et de désillusions de ce que vous croyiez du pouvoir et des hommes.

Peut-être que tous les présidents du monde vivent les mêmes calvaires, le même mal-être et le même mal-vivre. Il n’est donc point intéressant d’être président de la République, Kôrô et je comprends que vous êtes dans une camisole de force dont il ne vous sera pas possible de vous débarrasser à cause de la légitimité que vous confère votre élection, et de tout l’espoir que vous avez suscité en ceux qui vous ont élu.

Un Mandinka ne démissionne jamais. “Plutôt la mort que la honte” : telle est la leçon que vous enseigne en famille.

Notre pays, celui à la destinée duquel vous présidez ne nous appartient plus. Nous devrons nous en convaincre et bien que chef d’Etat vous n’en êtes pour rien et vous êtes malheureusement gardien d’un fétiche dont vous ignorez les secrets. Le Mali est l’otage de la communauté internationale, par ONU interposée. Ceux qui veulent dépecer ce pays sont sans état d’âme, ni morale, ni conscience. Le scenario simple au départ s’est complexifié après. Ils ont créé, cultivé en l’esprit des jeunes Touarègues depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale la notion de minorité blanche face à une majorité noire, les amenant ainsi à vouloir s’affranchir de la pseudo-domination de ces Noirs. Ainsi éclatera la première rébellion de 1963 sauvagement matée, dit-on, par l’Armée nationale qui venait elle-aussi de naître.

Les acteurs et tous leurs descendants de cette première rébellion garderont pour toujours les stigmates de ces matraquages et en feront régulièrement une raison de se venger de ces hommes à la peau noire, une vengeance tenace, irréductible, et qui se perpétue, alliant la haine aux actions de banditisme des vendeurs d’armes et de drogues venant de Libye et d’ailleurs et faisant du Septentrion un no man’s land, une région de non-droit, d’impunité, de violence de crimes de tous genres.

Puis éclatera la rébellion de 1990 qui culminera en 2012 où les 2/3 du territoire national ont été envahis, occupés par tous les rebelles et jihadistes du monde venus de Libye, d’Afghanistan, d’Algérie et d’autres pays d’Europe. Le pays était au bord du chaos et personne ne pourrait prédire l’issue de cette occupation de notre territoire par des gens plus aguerris à la guerre et beaucoup mieux formés, mieux armés que les nôtres.

Et n’eut été l’intervention de la France sur la demande du président par intérim Dioncounda Traoré, le Mali aurait cessé d’exister peut-être ! Et c’est depuis cette intervention que le Mali n’a plus connu de paix, ni de répit dans les attaques de tous genres. Cette intervention française a été saluée en son temps par le Mali et le monde.

Le peuple du Mali reconnaissant a reçu en triomphe, en libérateur le président français d’alors François Hollande. Et les jours qui ont suivi, ce sont des colonnes de dizaines de camions et d’engins militaires de l’armée française qui ont déferlé comme des essaims d’abeilles sur notre territoire et avec à leur bord des militaires français qui ont été rejoints bien plus tard par des soldats onusiens. Et c’est depuis que le Mali a “échappé” aux Maliens.

Kôrô Président certains vous en veulent pour votre laxisme à agir, à prendre certaines décisions, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger, entre autres. Vous êtes, Kôrô dans la situation d’un beignet aux deux faces brûlées.

Votre peuple et la communauté internationale vous accusent de trainer les pieds dans l’application d’un accord que les spécialistes qui l’ont élaboré et discuté trouvent bien et même très bien, pendant qu’à l’intérieur du pays on oppose vos populations les unes contre les autres, on instrumentalise un conflit inter et intra communautaire dont les raisons ne sont connues d’aucune des parties belligérantes.

Il y a à ce niveau une initiative que j’apprécie, celle de l’association Ir Ganda (Notre Patrie) qui a eu le courage de démarcher et de provoquer des rencontres entre ces communautés qui s’entre-déchirent, qui s’entre-tuent et pour leur demander pourquoi autant de haine entre elles, elles qui ont cohabité des siècles ensemble. Elles étaient toutes incapables de répondre, d’en expliquer les raisons.

Quant à la communauté internationale qui aurait promis à notre pays la faramineuse somme de près de deux milliards et demi d’euros, elle n’a, jusqu’ici payé que les 40 % dont un seul centime n’a servi à notre pays. Ce sont la Minusma, les forces Barkhane et toutes les institutions de l’ONU présentes au Mali qui en ont bénéficié. L’on pousse le ridicule à faire faire par la Minusma des petits projets de développement au profit de nos populations : construction de salles de classes, forages, etc. en lieu et place de notre gouvernement comme si la Minusma est une ONG de développement.

Les 60 % des plus de deux milles milliards d’euros que cette même communauté internationale devrait mobiliser et qui ne le sont toujours pas, devraient permettre à notre pays de respecter ses engagements pour la mise en œuvre de l’accord pour la paix, et la réconciliation issu du Processus d’Alger, qui reste tributaire de moyens colossaux qu’un pays qu’elle a contribué à mettre à terre, ne peut posséder.

Kôrô Président, au-delà de ce tableau que je dépeins peut-être avec beaucoup de cynisme, il y a aussi cet acharnement contre votre PM qui a commis le “pêché d’Adam”, en octroyant à une frange de notre communauté des chefs religieux, la modeste somme de cinquante millions de nos francs pour l’organisation, semble-t-il, d’une cérémonie de prières pour la paix et pour notre pays et de fermer le robinet des trois cent millions de nos francs destinés à la recherche de la paix et dont certains de nos chefs religieux étaient les gestionnaires.

Au lieu d’une cérémonie de prière nous avons assisté à un meeting politique pour fustiger votre gouvernance et demander la démission de votre Premier ministre.

Un accord, c’est entre plusieurs parties. On accuse le Mali de ne pas manifester beaucoup d’enthousiasme à mettre en œuvre ledit accord et que dire des autres signataires notamment la CMA qui n’a autorisé jusqu’ici la présence à Kidal que du seul gouverneur, un des leurs, et je suis sûr que la même CMA a été consultée pour le choix de ce gouverneur. Comprenez donc quelle autorité il peut avoir !

La CMA décrète que désormais la vente d’alcool est interdite à Kidal et que les étrangers doivent avoir un tuteur. Le cadi est le juge qui, sans appel, tranchera tous les litiges. République islamique avec la charia, Kidal n’est plus désormais du Mali et sa volonté d’aller vers l’autonomie ou l’indépendance se précise petit à petit et tout cela au vu et au su de cette même communauté internationale muette comme une carpe, aveugle et sourde aux efforts incommensurables que notre pays déploie pour aller à la paix et à la réconciliation.

Les masques tombent peu à peu et bientôt et très bientôt, les Maliens comprendront que ce n’est pas une question d’IBK et que ceux qui s’agitent et se précipitent à fustiger sa gouvernance au cours de cérémonies grandiloquentes de prêche ont rencontré à Kidal même les responsables de cette CMA pour parler de quoi donc ?

Si aujourd’hui encore notre peuple court après une unité factice, utopique et difficilement réalisable, qu’ils nous disent ce qu’ils se sont dits surtout que tout le monde connaît la position d’ Iyad Ag Ghali et la secte qu’il défend et son accointance avec les médiateurs qui se sont rendus à Kidal à un moment où l’Etat malien ne pourrait rêver de s’y rendre.

Et tous les prétextes sont bons pour détourner le peuple des vrais problèmes. On se cache derrière l’islam cette religion de paix, de tolérance, d’acceptation de l’autre, de vérité, pour que nous ne voyions pas la vérité. On instrumentalise nos jeunes, nos enfants au nom de l’islam ou de la politique politicienne pour que leur regard porte ailleurs. Et tout cela est possible dans un pays où l’analphabétisme, l’ignorance, l’illettrisme et l’intolérance sont rois, alors la vérité est ailleurs.

Les religieux, selon la presse, ont fait la démonstration de leur force de mobilisation comme si l’autre aile de ces religieux ne pourrait pas faire mieux et plus.

Et si l’on ne prend garde, il n’est pas exclu que ceux “qui prennent la main” et ceux “qui ne la prennent pas” s’affrontent. Et c’est ce qui serait grave pour notre pays plus d’un millénaire après les jihad faits par les précurseurs de notre Islam.

De guerre d’opinions, on passe vite à des guerres de religions, de sectes devrais-je dire, car à mon sens, il n’y a qu’une seule religion que toutes les deux sectes ont en partage : l’Islam.

Il y a eu aussi, ces derniers temps des grèves de corporations qui ont conscience que ce qu’elles exigent des pouvoirs publics est au-dessus de leur capacité. Vache laitière, l’Etat l’est certes pour tous, mais à vouloir lui exiger ce qu’il ne peut, on pourrait aussi le tuer. Chaque Malien veut tout et tout de suite. Et c’est ce qui rend votre tâche difficile.

Il y a, à mon avis, une crise de patriotisme, de civisme que de problème de gouvernance. Il est à se demander si les Maliens aiment le Mali. Personne ne pense au pays et chacun se bat pour ses seuls intérêts propres. Tout le monde, surtout au niveau des services, veut s’enrichir et tout de suite. On falsifie factures, bons d’achat. On surfacture tout avec la complicité des sociétés- écrans créées par les responsables des services eux-mêmes.

On recrute n’importe qui pour n’importe quel poste. Et on ne s’offusque plus du niveau de nos cadres. Certains s’expriment dans des langues que Vaugelas ignore. Et pourtant ils sont là dans nos administrations à la faveur de “coups de piston” ou de récompenses à la suite d’élections. Plus on mouille le maillot plus on a de chance de trouver un “job”. Et tous nos recrutements même dans la fonction publique obéissent aux mêmes principes. Les éleveurs eux-aussi sont allés en grève de trois jours privant les familles de pauvres de viande. Leur action doit les desservir, car ceux-là qu’ils ont visés à travers leur grève n’en sentiront aucun effet. Leurs congélateurs et réfrigérateurs sont bourrés de viande et de poisson pour plusieurs jours. C’est surtout ceux-là qui achètent de la viande pour trois ou cinq cents francs et mille francs ou plus qui ressentiront l’effet passé. Et si les vendeurs de poisson et de poulets ne se joignent pas, leur grève fera l’effet d’un coup d’épée dans l’eau.

Je ne sais pas si les travailleurs de la Régie des chemins de fer du Mali, qui étaient en grève de la faim, ont fini par manger. En tous les cas, les moustiquaires sous lesquelles ils dormaient entre les rails sont désormais vides. Mais leurs banderoles restent encore visibles sur les deux côtés de la route de Koulouba juste derrière la direction des rails.

L’école surprendrait plutôt si elle ne fait pas partie de ce décor des entités qui sont des berceaux de contestation.

Certaines régions se sont mêlées à la danse. Il y a tellement de mouvements sociaux que de plus en plus certains passent inaperçus.

Oh ! Mali – pauvre de toi.

Aussi Kôrô Président je m’étais vite réjoui des mesures que vous avez prises pour réduire le train de vie de l’Etat comme si vous m’avez suivi dans mon tout premier article de Boua ni Sogoma. C’est ce que je vous y avais suggéré et j’ai tout de suite pensé que vous m’avez lu et que vous avez agi.

J’ai cependant entendu un autre son de cloche, de ceux-là qui ne seront jamais tendres avec vous dans leurs critiques. Ils disent que la mesure est vraie et réelle, mais qu’elle ne concerne ni la présidence, ni la Primature et qu’au contraire le budget de ces deux institutions a connu une hausse substantielle. Vérité ou délation ? La réponse est entre vos mains. En tous les cas, et pour plus d’équité et pour que la mesure porte vous devez l’appliquer indifféremment à toutes les strates de l’Etat. La justice et l’équité dans l’application de la loi font aussi partie de la bonne gouvernance.

Kôrô Président, il y a eu surtout une mauvaise communication autour de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger. C’est parce qu’il n’est pas compris du maximum de nos populations et même de nos cadres qu’il reste encore et malheureusement un “simple papier” qui n’a aucune valeur pour nos concitoyens.

Prenons ensemble le temps et donnons-nous les moyens d’expliquer, d’expliciter et avec pédagogie tous les dits et tous les non-dits de l’accord dans nos langues et dans tous nos villages.

Cela nous devrons le faire et quel que soit le prix que ça nous coûte. La paix, la vraie paix, celle qui ne sera plus le terreau d’une autre rébellion, quelle que soit son origine dépendra de son appropriation par le plus grand nombre de nos compatriotes de l’intérieur et de la diaspora.

Nous devrons, à présent multiplier les initiatives comme celle d’Ir Ganda pour actionner les leviers de nos méthodes traditionnelles de règlement de conflit. Le forgeron parle au Peul, le Bozo au Dogon, etc. Il ne peut avoir de conflits dont la solution ne peut provenir de l’essence de nos valeurs sociétales.

C’est par là que l’on comprendra mieux qu’il n’y a pas de conflit inter communautaire ou intra communautaire. Le Bozo ne peut jamais rien refuser au Dogon et le Peul, lui, ne peut rien refuser au forgeron. Et il en est de même pour bon nombre de nos ethnies.

Nos ennemis vont instrumentaliser un banal conflit de passage d’animaux dans les champs des Dogons pour armer les deux parties de vraies armes de guerre et qui se mettent à se tirer dessus sans savoir ce qui les oppose, et pourquoi cette escalade de la violence. Et comme de part et d’autre l’on commençait à s’interroger sur les raisons du conflit, il fallait trouver le prétexte religieux qui facilement peut enflammer des “illuminés” qui n’hésitent pas à tuer et à se tuer pour la religion.

Il faut ajouter à tout cela le chômage des jeunes de toute cette zone du Nord au centre du pays et qui, avec la sècheresse due au dérèglement climatique, ne peuvent même plus nourrir leur famille avec des pluviométries exécrables. La majeure partie de ces jeunes a fui le village pour grossir le rang des chômeurs de nos villes. Ils sont revendeurs de cartes à gratter Orange, Malitel ou Telecel, vendeuses de bananes ou simplement aide-ménagères.

Les autres qui sont restés au village ont été enrôlés dans des milices d’autodéfense avec une moto Sanili, une arme de guerre et un peu d’argent.

Pour ces jeunes, la patrie n’a aucune valeur. La nation c’est là où l’on peut trouver à manger et à boire. Et elle appartient aux fils du pays qui ont une place au soleil. Et, eux ils cherchent aussi leur place dans cet enfer où violence, drogue, viol, crimes de tous genres sont rois. C’est cela la radicalisation.

Il ne faut pas non plus oublier ces centaines de milliers de nos étudiants qui sortent tous les ans de nos universités et qui sont déversées dans la rue. Ces groupes constituent aussi des bombes à retardement qu’il faut canaliser et désamorcer.

Enfin Kôrô Président avec tous ces problèmes dont les solutions ne peuvent être immédiates, vous ne pouvez dormir que d’un œil et même tous les somnifères du monde n’y peuvent rien.

Lorsque vous éteignez le feu au nord, on en rallume au centre, et on pousse les syndicats à en rajouter. Et pendant que vous acceptez des compromis et même des compromissions, pour apaiser le climat social, les religieux politiciens eux-aussi se mêlent à la danse.

Et je vous avais prévenu Kôrô Président qu’il fallait dissocier politique et religion, car je reste convaincu qu’un jour cette alliance contre-nature allait nous réserver des surprises. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Lorsque les intérêts s’entrechoquent, la raison s’évapore.

Enfin, Kôrô Président la solution pour un Mali apaisé passe par une prise de conscience collective de l’amour que nous devrons avoir pour le Mali, le pays en lequel nous nous reconnaissons tous. Et c’est en cela que notre hymne a toute sa valeur.

A ton appel Mali

Fidèle à ton destin…

Nous sommes résolus de mourir.

Pour l’Afrique et pour Toi Mali…

Plaise à Dieu que nos enfants aient souci de leur pays et que le sursaut national tant attendu puisse permettre à notre peuple de se retrouver, de se pardonner, de s’aimer.

Ne nous laissons pas embarquer dans les machinations de ceux qui n’ont jamais renoncé à faire de nous leur “chose” !

Kôrô, Allah SWT vous aidera à redresser la barque. Mali qui a tangué longtemps et qui tangue toujours, mais qui ne chavira jamais parce que le Mali c’est aussi cette Terre de grands érudits dont les bénédictions ne tomberont jamais.

Dieu est donc aux commandes Kôrô Président et votre peuple, malgré tout et en dépit de tout est avec vous.

Qu’Allah SWT bénisse notre pays.

             Par Mamoutou Kéïta

Producteur de spectacles

Source: Aujourd’hui-Mali

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