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En Turquie, on peut recharger sa carte de transport avec des déchets

En Turquie, le recyclage des déchets est encore loin d’être optimal. Toutefois, les responsables politiques tentent de faire évoluer les mentalités en instaurant des mesures éco-responsables. Et ils ne manquent pas d’imagination.

Les habitants d’Istanbul peuvent recharger leur carte de transport grâce à des bouteilles en plastique.

RECYCLAGE. Debout devant un distributeur dans la station de métro Sishane à Istanbul, Tülay Gerçek s’apprête à recharger sa carte de transport. Scène banale, à un détail près : au lieu de billets de banque, elle insère des bouteilles en plastique dans la machine. Chaque bouteille en plastique ou canette placée dans cette machine (un projet de la municipalité d’Istanbul pour favoriser le recyclage) rapporte à Mme Gerçek quelques centimes de crédit sur sa carte de transport. « Tous les jours, j’en emporte avec moi. Avant, je les jetais à la poubelle, glisse Mme Gerçek en plongeant la main dans son cabas rempli de bouteilles vides. C’est vraiment une très bonne initiative. Ce serait bien qu’il y en ait plus ! » Ces machines ont pour l’instant été déployées dans trois stations de métro de la capitale économique de Turquie, mais la mairie espère en installer d’autres bientôt.

Un sac plastique est utilisé seulement 12 minutes en moyenne

Dans un pays où la gestion des déchets laisse à désirer et où les défenseurs de l’environnement tirent la sonnette d’alarme depuis des années, les autorités prennent de plus en plus conscience de l’urgence à changer les mauvaises habitudes et s’efforcent désormais de sensibiliser la population au recyclage. Mais la tâche est immense : avec un score de 52,96 pour l’année 2018, la Turquie pointe à la 108e place sur 180 dans l’Index de performance environnementale (EPI), créé par les universités américaines de Yale et Columbia.

Des employés d'une usine de tri de déchets, le 14 novembre 2018 à Istanbul (AFP - BULENT KILIC)

Des employés d’une usine de tri de déchets, le 14 novembre 2018 à Istanbul © AFP – BULENT KILIC

Selon Oya Güzel, de la fondation turque « Occupe-toi de tes déchets (Copüne Sahip Cik) », seulement 11% des 31 millions de tonnes de déchets que la Turquie produit chaque année sont recyclés. « Nous polluons les sols et l’environnement avec du plastique, des métaux et du verre qui restent dans la nature pendant des années. Nous utilisons un sac en plastique pendant 12 minutes en moyenne. Après 12 minutes, il devient un déchet, déplore-t-elle auprès de l’AFP. Notre objectif est d’atteindre un taux de recyclage de 35% d’ici cinq ans. Ce n’est pas beaucoup, mais nous sommes convaincus que nous pouvons faire des progrès dans ce laps de temps » ajoute-t-elle.

Le recyclage n’est pas un réflexe

En Turquie, les questions environnementales ne sont pas centrales dans le débat public et occupent une place négligeable lors des élections. Malgré tout, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan, souvent associé aux méga-projets d’infrastructures peu soucieux de l’environnement, semble s’emparer de la question. Le ministre turc de l’Environnement, Murat Kurum, a ainsi annoncé en novembre 2018 que les sacs plastiques deviendraient payants à partir de janvier 2019, une mesure déjà en vigueur dans plusieurs pays européens. Ce sera une révolution dans un pays où ils sont omniprésents. Chaque Turc utilise en moyenne 440 sacs plastiques par an, a indiqué M. Kurum, ajoutant que l’objectif était de diviser ce nombre par 10 d’ici 2025.

Des monceaux d'ordures, le 14 novembre 2018 dans une usine de recyclage d'Istanbul (AFP - BULENT KILIC)

Des monceaux d’ordures, le 14 novembre 2018 dans une usine de recyclage d’Istanbul © AFP – BULENT KILIC

L’épouse du président turc, Emine Erdogan, a elle aussi apporté son soutien à la cause du recyclage en Turquie : le personnel du palais présidentiel a été formé pour trier les déchets, a-t-elle annoncé lors d’un sommet consacré à cette question en novembre 2018. « Nous n’avons pas vu de camion à ordures depuis bien longtemps au palais présidentiel », a-t-elle souligné. Mais il faudra du temps pour que le tri devienne un réflexe dans un pays où les habitants déposent souvent pêle-mêle leurs déchets sur un coin de trottoir.

Des déchets qui produisent de l’électricité

Dans un centre de tri près d’Istanbul, des employés récupèrent ce qui peut encore servir : les déchets organiques sont mis de côté pour être transformés en un fertilisant qui sera utilisé dans les jardins publics. Le verre, le plastique et les métaux seront recyclés. « Ce travail de tri serait toutefois plus efficace si les particuliers triaient les déchets avant de les jeter, souligne Ibrahim Halil Türkeri, responsable du recyclage à la mairie d’Istanbul. Des déchets plus propres seraient traités par nos centres et ils feraient des matériaux recyclés de meilleure qualité. Les particuliers ont une grande responsabilité. »

Tülay Gerçek insère des bouteilles en plastique dans une machine de recyclage qui crédite sa carte de transport, le 9 novembre 2018 dans le métro d'Istanbul (AFP - BULENT KILIC)

Tülay Gerçek insère des bouteilles en plastique dans une machine de recyclage qui crédite sa carte de transport, le 9 novembre 2018 dans le métro d’Istanbul © AFP – BULENT KILIC

Et le jeu en vaut la chandelle, tant le potentiel de ces déchets est énorme, relève Ahmet Hamdi Zembil, ingénieur à l’ISTAC, une entreprise de gestion des déchets à Istanbul qui produit de l’électricité à partir du gaz produit par les déchets organiques brûlés. « Nous avons traité sept millions de tonnes de déchets en 2017 et produit 400 millions de kWh d’électricité », dit-il. Mais là encore, cela n’est possible que si les déchets organiques sont séparés des déchets synthétiques, une tâche qui serait simplifiée par le tri.

De retour dans la station de métro Sishane, Mme Gerçek pousse un soupir en voyant qu’une bouteille en plastique ne lui a rapporté que trois centimes de livre turque de crédit sur sa carte de transport. Pour atteindre les 2,6 livres turques que lui coûte un trajet, il lui faudrait donc insérer encore 86 bouteilles. « Bon… c’est quand même un début, relativise-t-elle. Je pense que le système va s’améliorer. »

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