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Mamadou Gassama, le premier jour du reste de sa vie

Le héros, qui a sauvé il y a six mois un enfant suspendu dans le vide au quatrième étage d’un immeuble, intègre ce lundi la prestigieuse brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Nous avons passé quelques heures avec lui.

 

C’est le grand jour pour Mamadou Gassama. Six mois après son spectaculaire sauvetage d’un enfant de quatre ans en escaladant quatre étages de la façade d’un immeuble, le désormais Franco-Malien poussera ce lundi matin la porte d’une caserne de pompiers parisienne pour intégrer la prestigieuse brigade, dans le cadre d’un service civique de dix mois.

Une nouvelle vie pour ce jeune homme qui, à seulement 22 ans, en a déjà vécu mille autres. Discret malgré la vidéo de ses exploits qui a fait le tour du monde, sa parole reste rare. Après le tourbillon qui l’a accaparé tout l’été, son entourage a préféré le préserver. « La médiatisation, au début, a été très compliquée pour lui », raconte Djeneba Keita, adjointe (PCF) de Montreuil (Seine-Saint-Denis), qui est devenue pour lui une sorte d’attachée de presse.

Son premier réflexe a été d’appeler Lassana Bathily, le héros de l’Hyper Cacher. « Je les ai laissés tous les deux dans mon bureau, pour qu’ils puissent discuter librement de leur expérience », explique Djeneba Keita. « Lassana est devenu comme un frère », sourit Mamadou.

Reconnu dans la rue

Après deux mois de silence, « pour prendre le temps de se poser, de s’adapter et de se préparer » à rejoindre les pompiers, le héros a accepté de sortir de sa discrétion. Sollicité trois fois en 200 m par des passants souhaitant se prendre en photo avec lui, il s’attable timidement dans un café, entouré de son frère aîné et de Djeneba, qui le couve comme une mère poule. Ensemble, ils l’aident parfois à rendre la discussion plus fluide, les cours de français qu’il suit depuis quelques mois ne lui permettant pas encore de toujours trouver ses mots.

L’air un peu gêné de parler de lui, Mamadou raconte son histoire qui commence bien avant le sauvetage du 26 mai dernier. Dans son Mali natal, il n’est jamais allé à l’école. « Je cultivais le mil avec ma famille. » Il rêve de l’Europe, où vivent ses deux frères aînés. A 15 ans, il se lance, seul, dans un voyage d’un an. « Je suis passé par le Burkina, le Niger, la Lybie… » Mamadou passe sous silence l’esclavage, la torture et les geôles qu’il a connus là-bas. Sa première tentative d’atteindre l’Italie échoue. Il y parvient finalement, après avoir été récupéré en mer par un navire humanitaire. « C’est là-bas que j’ai commencé à faire de la musculation, avec des copains qui allaient à la salle », se souvient-il.

Naturalisé, logé et médaillé

Un loisir qui lui permettra de grimper à la force de ses bras, en une trentaine de secondes, la façade d’un immeuble de la rue Marx-Dormoy, le 26 mai dernier. Ce soir-là, son grand frère Diaby est contacté par la police et les pompiers. « J’ai abandonné la Ligue des champions pour le rejoindre à l’hôpital Lariboisière où il devait être ausculté après ses efforts », se souvient-il avec fierté.

Mamadou ne le sait pas encore, mais des vidéos filmées au smartphone se propagent sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Ces images vont changer le cours de sa vie. Le lendemain, tous les médias sont à la recherche de celui qui a été rebaptisé « Spider-Man » par les internautes. « Je n’ai pas pensé aux étages. Je n’ai pas pensé au risque », confiait-il au Parisien, qui l’avait rencontré sur place.

Puis tout s’accélère. Il quitte le foyer où il est hébergé depuis son arrivée en France fin 2017 pour un hôtel de Montreuil, qui lui permet d’échapper aux curieux. Dès le lundi 28 mai, celui qui est encore sans papiers est reçu à l’Elysée. Emmanuel Macron lui remet la médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement, saluant « un acte de courage et de force qui fait l’admiration de tous ». Le président annonce qu’il va être naturalisé et que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris est prête à l’accueillir. La semaine suivante, la commune lui permettait d’obtenir un appartement. Et la ville le Paris lui décerne sa plus haute distinction, la médaille du Grand Vermeil.

Rencontre avec Snoop Dogg

Après avoir rencontré l’ambassadeur du Mali en France, il est accueilli quinze jours plus tard en héros à l’aéroport de Bamako (Mali), répondant à l’invitation du président Ibrahim Boubacar Keïta. Son père le rejoint pour la réception. C’est la première fois qu’il le revoit depuis qu’il a quitté le continent en 2011. « C’est aussi la première fois que mon père allait à la capitale, à une journée et demie de voyage du village », souligne son frère, amusé.

Les retrouvailles sont de courte durée. Mamadou doit déjà s’envoler pour les Etats-Unis, où lui sera remis un BET Award, catégorie « humanitarian », décerné par la chaîne Black Entertainment Television. Si Mamadou rencontre le rappeur Snoop Dogg et d’autres stars lors de cette cérémonie à Los Angeles, aucune ne lui a offert maison, voiture et gros chèques, contrairement à ce qu’affirment les réseaux sociaux qui voient en Rihanna, Beyoncé et Jay Z ses bienfaiteurs. Son père n’a pas, non plus, emménagé dans une luxueuse villa.

« Il est aidé par des proches qui le soutenaient déjà avant et d’autres gens solidaires, notamment deux personnes âgées de Corse. Mais il ne fait jamais d’appels aux dons », précise Djeneba Keita, qui bataille contre les usurpateurs qui créent des comptes à son nom pour demander de quoi financer diverses causes fictives.

« Etre dans les règles et travailler »

Quant aux sollicitations publiques, c’est « Djeneba et mon ami Mams qui s’occupent de moi ». « On gère, on veille à ce qu’il se repose, confirme l’adjointe au maire. La priorité, ce n’est pas la lumière, les films et les livres mais de construire sa vie et son métier. Etre prêt pour les pompiers. » L’intéressé acquiesce. Son ambition, c’est « d’être dans les règles et de travailler pour gagner ma vie avec dignité ».

A la veille de ses premiers pas à la Brigade, il est « plus impatient qu’inquiet ». Il a passé le « test de la planche avec succès » (NDLR : test où il s’agit de monter à la force des bras sur une planche accrochée à 2m40 du sol, en tenue de pompier). « Confiant », il compte bien y faire carrière. Et prouver « aux jeunes des quartiers et/ou issus de l’immigration que c’est accessible ».

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