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Coup d’état constitutionnel au Sénégal : Le sale tour de Macky à une démocratie référentielle en Afrique

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Quand il a déclaré qu’il n’avait pas envisagé de briguer un 3e mandat et avait promis d’organiser la présidentielle à la date prévue, il avait été applaudi par le monde entier. On était loin d’imaginer que c’était juste pour avoir le temps de planifier la meilleure stratégie lui permettant de mieux dribbler son peuple et jouer un sale tour à la démocratie sénégalaise. En effet, le 3 février 2024, Macky Sall a décidé de proroger son mandat jusqu’en janvier 2025 en reportant la présidentielle au 24 décembre prochain. Ce qui lui donne le temps de se choisir un autre dauphin aux dépens de Amadou Bâ qui a du mal à décoller dans les sondages.

«Ce n’est pas gaieté de cœur que de tourner le dos à une organisation, mais c’est à l’issue d’une analyse profonde. Il y a beaucoup de putschistes parmi les dirigeants de cette organisation. Ce n’est donc pas une question de putschiste, c’est juste un masque. Les civils, il y en a qui tuent et bâillonnent leur peuple. La Cédéao ferme les yeux et les oreilles. Il y a plus de putschistes au sein de la CEDEAO. Vous dites les textes disent ; eux-mêmes n’ont jamais respecté leurs textes. Ça se fait à la tête du client et c’est que nous avions remarqué». C’est ce que déplorait le président de la Transition au Burkina Faso, Capitaine Ibrahim Traoré, le 30 janvier dernier dans un entretien accordé à la presse. Et quatre jours après, le 3 février 2024, le président Macky Sall du Sénégal lui donne raison en prenant en otage le processus électoral dans son pays. Ce jour, il a annoncé le report de l’élection présidentielle afin d’engager «un dialogue national ouvert afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive».

Le président a évoqué plusieurs raisons pour justifier sa décision, ou du moins pour berner les Sénégalais. «Il m’a dit que l’équilibre démocratique du pays était en danger parce que le processus de désignation de 20 candidats n’était pas démocratique, car deux juges du Conseil constitutionnel avaient été corrompus», a révélé l’un de ses confidents dans la presse (Yves Thréard dans l’émission Brunet, Broussouloux & Cie du 5 janvier sur la chaîne LCI). Mais, sa décision cache mal sa volonté de corriger une erreur dans le casting censé lui permettre d’assurer ses arrières après la présidence. Macky Sall aurait-il ainsi signé un pacte avec Karim Wade (recalé par la Cour constitutionnelle), pour que ce dernier lui succède, et lâché du coup Amadou Ba, le candidat qu’il avait imposé à sa chapelle politique ?

C’est possible d’autant plus que c’est le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Me Abdoulaye Wade qui a introduit à l’Assemblée nationale la Proposition de loi constitutionnelle N°04/2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution de la République du Sénégal.  Karim ayant été recalé par le Conseil constitutionnel à cause de sa double nationalité, ceci peut donc expliquer cela. Sans compter que l’Alliance pour la République (APR-Yaakaar) est un bébé issu d’une césarienne du PDS. En effet, il a été fondé en 2008 par Macky Sall à la suite de son départ du PDS.

Amadou Bâ, un pion faible sur l’échiquier politique

«Macky a  choisi Amadou Ba parce qu’il ne lui faisait pas de l’ombre. Il n’a aucun charisme, aucune expérience d’élu. Il n’est pas adoubé par les puissantes confréries qui structurent la vie sociale là-bas, il ne fait l’unanimité ni dans la famille présidentielle, ni dans le parti présidentiel», souligne un observateur. Cela a été démontré à l’ouverture de la campagne électorale. En effet, Amadou Ba a eu du mal à décoller dans les sondages avec souvent au mieux 30 % au premier tour. Pour des observateurs, il a alors toutes les chances de prendre une raclée au second tour. D’où la panique au palais présidentiel de l’Avenue Léopold Sédar Senghor (ex Avenue Roume). Comme le dit bien un analyste politique, la réaction a donc été de siffler un «faux départ» afin d’avoir «le temps de changer de monture» pour se donner les meilleures chances de remporter la course.

Il fallait alors trouver un ou des prétextes. Et le président Sall n’a pas trouvé mieux que d’annuler la présidentielle et faire prolonger son mandat jusqu’en décembre 2024 grâce une loi votée par l’Assemblée nationale. Et pourtant, la Constitution sénégalaise, qui est bien au-dessus d’une loi (votée notamment dans la confusion au Parlement national), exclut toute possibilité de prolonger le mandat du président de la République. L’article 25-3 de la loi fondamentale sénégalaise dispose que «tout citoyen est tenu de respecter scrupuleusement la Constitution…». Le Président de la République en premier. Et cela d’autant plus que l’article 42  stipule, «le président de la République est le gardien de la Constitution».

Quand la mégalomanie de Macky Sall expose le Sénégal à une périlleuse impasse politique

En abrogeant le décret portant convocation du corps électoral, analysent des juristes, le président Sall sait pertinemment que cette abrogation ne peut avoir d’effet rétroactif. Elle ne peut donc pas mettre en cause les décisions du Conseil constitutionnel. Pis, il prend le risque d’entraîner le Sénégal dans une périlleuse impasse. «C’est son plan depuis le début pour se maintenir au pouvoir», disent beaucoup de ses opposants pour qui, à partir du 2 avril 2024 (date de la fin de son mandat), Macky Sall va perdre toute légitimité à se prévaloir de la qualité de président de la République du Sénégal. Ce qui est clair, sa légalité et sa légitimité sont désormais sérieusement entamées.

Même si la Cédéao ne semble pas mesurer la gravité de son acte,  le président Sall risque de se retrouver rapidement dans de sales draps abandonnés par une grande partie de l’opinion nationale, notamment les leaders religieux (catholiques et musulmans). Sans compter des réserves des partenaires comme les Etats-Unis, qui se disent «profondément préoccupés par les mesures prises pour retarder l’élection présidentielle du 25 février au Sénégal».

Une décision qui va à l’encontre de la «forte tradition démocratique du Sénégal». Les Américains se disent particulièrement «alarmés» par les informations selon lesquelles les forces de sécurité ont expulsé de force des parlementaires qui s’opposaient à un projet de loi visant à retarder les élections. Ainsi, ont-ils prévenu, le vote à l’Assemblée nationale ne peut être «considéré comme légitime compte tenu des conditions dans lesquelles il s’est déroulé». Le président Macky Sall aura-t-il la sagesse de faire marche arrière pour  éviter à la démocratie sénégalaise, une référence en Afrique, cette périlleuse impasse aux conséquences sociopolitiques et économiques imprévisibles ? En tout cas, la pression ne cesse de monter pour l’y forcer !

Hamady Tamba

Le Matin

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