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Enjeu stratégique de la gestion des frontières : Le Mali et l’Algérie, condamnés à un destin commun

Meguetan Infos

Près de 1.400 kilomètres de frontière en partage. Voilà la réalité géostratégique des relations entre le Mali et son grand voisin du nord, l’Algérie, pour laquelle les deux pays, de gré ou de force, sont condamnés à cheminer ensemble. Au risque de subir, chacun selon ses affinités propres, les ambiguïtés d’antagonismes communautaires exacerbés. Morceaux historiques et géostratégiques choisis par un avisé de terrain.       

Alger a dans le passé abrité trois fois la résolution  des conflits maliens. Alger, pour une fois encore, a proposé une solution politique qui s’appuie sur un processus d’entente entre Maliens avec un nouveau pacte de paix qui tiendrait mieux compte des intérêts des populations, en préservant l’intégrité territoriale du pays et son unité.

Mais, dans les faits, comme c’est le cas bien souvent, la France était opposée à une telle démarche algérienne. Toutefois, l’Algérie n’était pas seule dans cette approche en ce sens que  les USA, eux-aussi, étaient farouchement opposés à une nouvelle aventure militaire proposée, à l’époque, par la France.

C’était l’époque de l’AfriCom, où l’ancien, tout comme le nouveau patron, ont donné un point de vue commun sur la question, en disant qu’une « intervention militaire ne pouvait survenir qu’à l’issue d’un processus politique ».

Le Mali et la CEDEAO pour l’option militaire

Un tel bémol américain renforçait évidemment l’Algérie dans la démarche d’un règlement pacifique de la crise malienne, même si les autorités maliennes et la CEDEAO, de leur côté,  étaient en faveur d’une intervention militaire, sous l’égide de la France.

Pourtant, nul n’ignore que la réussite d’une intervention militaire obéit à trois conditions : Un Etat fort, des institutions fortes et une armée nationale prête à aller à la guerre.

Or, à cette époque-là, le hic était que l’armée malienne était mal formée par ses formateurs américains. C’est une analyse des américains, en charge de la formation de l’armée malienne, qui le confirme clairement.

Un Etat faible ne peut disposer d’une technique approfondie de gestion de 1.400 kilomètres de frontière, de surcroît désertique et aride. Il faut donc probablement mener une réflexion fouillée, en proposant des questions à discuter dans un cadre de réflexion technique et politique sur la gestion des frontières.

Ce qui n’est pas forcément le cas, surtout que la situation actuelle au nord-Mali est nouvelle et tout aussi difficile à appréhender, faute d’informations viables et sûres. Face à une telle logique, il est donc nécessaire de commencer par conduire des consultations avec des fonctionnaires de l’administration centrale à Bamako, Gao et Tombouctou pour récréer une dynamique de dialogue avec les communautés.

Cela est d’autant nécessaire à réaliser car, pour un grand nombre d’acteurs locaux, l’Etat, l’armée et l’administration du Mali sont considérés comme facteurs d’insécurité et d’instabilité avec ce que cela implique comme désaffection économique du nord-Mali, corruption rampante, soutien à des milices communautaires pour contrer les rebellions …

En dépit d’une demande expresse de plus d’Etat, on ne sent pas un Etat davantage présent, dans de vastes contrées du nord-Mali. La porosité de cette longue frontière, de ce fait rendue particulièrement incontrôlable, a créé et renforcé des liens entre trafiquants et terroristes, à travers contrebande de produits licites et son corollaire de circulation des armes, dilluant les liens entre terrorisme et drogue, muant en narcoterrorisme.

La tribu, pièce maitresse de la cohésion sociale

Ici, l’appellation tribu n’est ni péjorative, ni stigmatisation civilisationnelle.  C’est là où on peut se convaincre de l’échec patent des politiques sécuritaires, dans la gestion des conflits y afférents. Il en résulte quelques constats qui doivent être corrigés.

C’est par exemple l’époque où l’armée américaine s’occupait de la formation de certains éléments des forces de défense et de sécurité du Mali. Elle a commis des erreurs de formation, préjudiciables à l’armée elle-même et à la population civile.

Dès lors que les efforts américains étaient circonscrits à des actions terroristes, on peut en comprendre qu’ils n’ont pas rempli leur objectif initial dans la formation des militaires maliens. La belle illustration en a été la sortie d’un général américain, Carter Hans, qui  a reconnu publiquement que les américains  avaient échoué dans la formation des Famas et que l’entraînement de ces derniers n’a pas intégré la dimension des valeurs de l’éthique, de conduite morale de l’action militaire.

Une fois établie l’importance de cette dimension éthique pour le comportement des Famas sur le théâtre des opérations, on comprend la nécessité d’une formation militaire appropriée,  en sus de l’aspect tactique et technique indispensable.

Voilà qui explique d’ailleurs l’accusation des Famas quant à  leurs rapports avec les populations civiles et les condamnations des ONG et autres associations.

Force de la dimension culturelle

Si cette dimension éthique est importante, une seconde explication est probablement le décalage entre moyens investis et, dans l’absolu, moyens nécessaires au contrôle des espaces aussi vastes entre les deux voisins. Une troisième explication de l’échec est que toute solution technico-répressive, appliquée aux frontières, repose sur une forte coopération entre gouvernements, représentants politique et services opérationnels. Il y a là un besoin à établir une confiance et une convergence des visions politiques nationales du rapport aux frontières pour recoudre les tissus sociaux et communautaires.

Cette évidence ne va pas de soi, en ce sens que la France et les USA, de même que certains voisins, sont souvent accusés d’avoir des intérêts à la crise malienne. Au centre des accusations, l’accès aux ressources naturelles du nord-Mali est souvent évoqué pour expliquer la manipulation supposée ou réelle des groupes armés par la France et ses alliés.

Tout ce schéma indique qu’au niveau opérationnel, la confiance pose problème du fait de la corruption rampante qui règne dans la zone. Pour y faire face, Il faut disposer d’une capacité accrue de collecte des renseignements, à partager entre acteurs de sécurité, pour le contrôle opérationnel des frontières. Et sur ce plan, le déficit de confiance est patent entre les acteurs concernés.

En témoigne le très maigre bilan du comité d’état-major opérationnel, qui coordonne le renseignement, au niveau régional entre l’Algérie, la Mauritanie et le Mali. Cela explique une autre raison de l’échec des politiques purement sécuritaires de gestion des frontières, également renforcé par les différences d’approche politique de la frontière entre pays voisins.

Pistes de trafiquants, pistes de djihadistes…

1.400 kilomètres de frontière algéro-malienne poreuse constituent un espace incontrôlable pour les deux voisins, pris isolément. Une multitude de pistes sous les contrôles parfois conjoints de trafiquants et de djihadistes, essaime ce vaste territoire  en voies clandestines et parallèles.

Vu sous cet angle, la fermeture de frontière algéro-malienne est presqu’impossible à mettre en œuvre à moins d’y mettre les gros moyens, de surcroît conjoints.

La complexité de la gestion des frontières, entre les deux pays, a fait que dans l’extrême nord du Mali, le désengagement de l’Etat a conduit à la résurgence des tribus et des solidarités antérieures. Leurs poids conjugués deviennent de plus en plus prégnants dans les échanges communautaires, au sein de cette zone désertique, d’une grande complexité politique et linguistique, dans une imbrication  de liens économiques, culturels et familiaux enjambant les frontières administratives.

Ici, pour ce qui nous concerne, le commerce frontalier était dominé par les commerçants algériens, dont le succès était lié aux alliances matrimoniales qu’ils avaient établies avec les arabophones du nord–mali. Ceci constitue le socle d’alliances fondées sur des références généalogiques, religieuses et identitaires, fortement partagées et ancrées au sein des communautés.

Connexions communautaires…

Le septentrion malien a été  secoué par une série de crises multiformes dans les années 70 qui ont obligé une grande partie de la population blanche à s’expatrier en Algérie. Il se trouve que nombre de ces réfugiés, de gré ou de force, sont de retour au Mali depuis quelque temps, après avoir établi des connexions communautaires très fortes dans leur pays de résidence.

Presque toutes les familles ont, dans les villes du nord algérien, qu’ils visitent régulièrement les enfants qui y ont grandi, restent attachées à leur vie algérienne. Si quelques-uns ont eu la chance d’être scolarisés en Algérie, ils n’ont en revanche aucune opportunité économique au Mali, surtout pour les arabophones, formés en Algérie.

La seule voie qui leur reste ouverte est celle du commerce avec l’Algérie. Or, dans le nord du Mali qui dit commerce, dit fraude .D’où la complexité de gestion des frontières entre les deux voisins qui va également avec les complications des liens communautaires.

La tribu et l’Etat, des modèles moraux opposés.

La tribu, vu comme un trait distinctif des blancs du nord-mali et la solidarité tribale, élément essentiel de l’arabité, telle qu’elle est décrite par les intéressés eux-mêmes, revêt aussi une double dimension, comme modèle d’organisation et cadre de référence morale, base d’une nouvelle différenciation sociale.

A l’hypothèse simpliste du tribalisme,  comme résultant d’une carence de l’Etat, il est clair que le nord-mali pose une réalité complexe. Cela se remarque plus facilement dans la rhétorique locale qui estime que la tribu et l’Etat apparaissent comme des modèles moraux opposés.

Sur le terrain, la situation est encore moins claire quand, dans la confusion des choses, agents de l’Etat et trafiquants se considèrent comme autonomes, mais qui se côtoient les uns dans des logiques tribales, les autres dans une sorte de mafia pseudo-étatique.

D’ailleurs, on le ressent, côté malien, comme celui algérien, que nombre d’agents sont aussi membres de tribus, voyant leur position comme un moyen de nourrir leur solidarité en dehors du cadre étatique, mais toujours se servant de l’argent de l’Etat.

Quel sort pour le dialogue démocratique local ?

Dans ce contexte d’implication communautaire, de part et d’autre, il apparait plus clairement que la tribu n’y est aperçue ni comme retard historique, ni comme un automatisme archaïque, mais plutôt comme une logique sociale et morale vivante. Ce qui appelle à une aspiration à l’héroïsme, à l’honorabilité et à l’autonomie dans une région où ces qualités semblent de plus en plus illusoires.

L’insécurité persistante sur le territoire, comme l’ont démontré les événements survenus à Sévaré, en août 2015, et à Bamako, en octobre 2015, et les multiples attaques et conflits moins médiatisés dans le nord-mali, donnent l’impression de recommencement, depuis le pacte national avec un nouvel accord d’Alger, aujourd’hui très fortement compromis.

Si l’on n’y prenne pas attention, ces éléments peuvent affaiblir la foi en la possibilité d’un dialogue démocratique productif qui ne soit pas perçu uniquement comme un partage de pouvoir et de fonction rémunératrice entre élite, où tout se décide à Bamako entre gouvernement central et élite du nord.

Pour l’heure, et en fonction de la complexité de la réalité du terrain, la question majeure est probablement celle-ci : les populations du nord-mali ont-elles suffisamment confiance dans la garantie d’émancipation qu’apporte l’Etat central, républicain, pour participer au processus démocratique local ?

La surveillance de l’usage des ressources que représente l’argent du développement est un point qui est souvent revenu parmi les acteurs non étatiques. Cela repose, on le voit plus nettement,  le problème de l’intervention des bailleurs dans le nord-mali.

Dans tous les cas de figure, ceci est essentiel pour surveiller le déroulement des actions entreprises sur le terrain, çà et là,  avec l’argent du développement pour éviter d’en faire un enjeu de captation.  A ce titre, les organisations internationales devraient préférer le risque d’une présence sur le terrain, bien que contestée par les décideurs nationaux, comme cela arrive dans nos pays, à celui de voir leurs financements devenir un motif de frustration et de déception pour les populations.

Ce qui est nettement plus déplorable au finish….

Mamadou Sinsy Coulibaly, Président du groupe Kledu

maliweb

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