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Sénégal : nous sommes tous coupables !

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Article de El Hadji Malick Ndiaye 

Après les violences meurtrières qui ont suivi la condamnation d’Ousmane Sonko, la situation reste tendue. Pour l’écrivain et universitaire El Hadji Malick Ndiaye, tous les protagonistes seront condamnés au tribunal de l’Histoire pour avoir échoué à préserver la paix sociale.

Heurts entre manifestants et policiers anti-émeutes dans un quartier de Dakar, le 2 juin 2023.© Leo Correa/AP/SIPA

Le Sénégal, jadis nation phare de la démocratie en Afrique et dans le monde, vit sans conteste les heures les plus sombres de son histoire. Depuis quelques années, de nombreux acteurs évoquent un recul dans la préservation des libertés et de la paix sociale.

Avec les événements sanglants dont nous sommes témoins, il est difficile aujourd’hui de continuer à saluer l’exception sénégalaise sans tomber dans le ridicule. La condescendance est désormais interdite aux Sénégalais, eux qui n’hésitent pas à en faire montre lorsqu’il s’agit de se comparer aux autres nations africaines.

Égoïsme forcené

Ces dernières années, la rhétorique idéologique et le nombre de victimes directes de la violence politique nous placent dans la catégorie des sociétés qui construisent irrémédiablement les fondements d’une guerre civile. Nos leaders politiques viennent de prouver au monde entier qu’ils ont les moyens de brûler notre pays pour rester au pouvoir ou le conquérir, pendant que le peuple lui-même révèle combien il est perméable à la propagande.

Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos les acteurs de cette violence inqualifiable, qui n’a d’autre soubassement que le pouvoir, il s’agit de tous les condamner au tribunal de l’Histoire, parce qu’il y a une obligation morale qui contraint tout acteur à la préservation de la paix sociale, surtout lorsque la vie de ses compatriotes est en jeu. Comme le dit l’adage, si tout le monde a raison, tout le monde a tort.

Les raisons des événements actuels sont à chercher dans les profondeurs de notre éducation et de nos valeurs sociétales que nous présentons avec beaucoup d’arrogance comme des modèles achevés de civilisation. Le Sénégal a toujours vécu le paradoxe d’un communautarisme forcé allié à un égoïsme forcené. Nous sommes un agrégat d’individus incapables de sacrifier nos propres désirs sur l’autel de l’intérêt collectif. Entre un président dont le silence coupable sur le troisième mandat a mis le feu aux poudres et son principal opposant dont la soif d’y arriver annonce une conception troublante de l’État de droit, nous naviguons de Charybde en Scylla.

Le temps de l’introspection

Il est temps que les Sénégalais fassent leur introspection. La jeunesse des rues, impatiente de rompre avec la misère, ignore totalement la ligne de démarcation entre indignation et violence, entre gouvernement et nation, entre bien public et intérêt collectif. Cette jeunesse qui confond le cocktail Molotov et le bulletin de vote est la preuve de notre faillite. Les gouvernements ont échoué à construire le développement social à cause de la corruption systémique, du clientélisme politique et du népotisme systématique. Les intellectuels se perdent en ratiocinations stériles sur l’Afrique plutôt que de plonger dans les entrailles de leur peuple et de rationaliser leur discours sur le quotidien. Les guides religieux s’occupent davantage de la perpétuation de leurs privilèges. Les structures familiales ont complètement volé en éclat pendant qu’une école moribonde et les réseaux sociaux s’occupent de l’abrutissement des masses.

Telle est la réalité du paysage socio-politique dans lequel nous vivons. Les plus belles paroles d’apaisement n’auront jamais d’effet tant qu’elles masquent la seule vérité que le Sénégal mérite d’entendre aujourd’hui : nous sommes tous coupables !

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