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Modibo Mao Makalou, Economiste : « Les pays qui utilisent le FCFA sont parmi les pays qui ont connu la plus faible inflation en Afrique. »

Dans cette interview, Modibo Mao Makalou nous explique le processus de création du FCFA, les critiques proférées contre lui par ses détracteurs. Enfin l’annonce de la nouvelle monnaie, l’Eco qui est en gestation regroupant les 15 pays de la Cédéao.
Mali Tribune : quels sont les processus de création de cette monnaie qui est le Franc CFA ?

Modibo Mao Makalou : avant de parler du FCFA, j’aimerai dire qu’est-ce qu’une monnaie ? Nous avons deux sortes de monnaies qui constituent la masse monétaire : la monnaie fiduciaire est la monnaie comprenant les pièces modernes et les billets de banque et la monnaie scripturale est constituée des écritures sur les comptes bancaires. Si votre monnaie n’est pas viable et ne conserve pas sa valeur  on appelle cela la monnaie de singe, un terme très péjoratif.

Maintenant, le FCFA a beaucoup évolué. Originellement en 1939 la France quand elle était sur le point d’être envahi par l’Allemagne a créé le franc des colonies françaises, une monnaie pour ses colonies parce qu’elle avait besoin d’un moyen de paiement et de contrôle des économies de son empire colonial. Le franc CFA a été cependant officiellement créé le 26 décembre 1945 quand la France ratifiait les accords de Bretton Woods en vue  d’adhèrer au Fonds monétaire international (FMI).  Ainsi, compte tenu de l’historique du franc CFA, il me paraît indispensable de changer la dénomination du franc CFA car elle portera toujours les relents de la colonisation alors qu’elle fonctionne très différemment aujourd’hui que lors de la colonisation. Le franc CFA est une monnaie qui a beaucoup évolué. En 1959, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a été créée et son siège était à Paris avant les indépendances. En 1960 la France même a connu une réforme monétaire importante, elle est passée de l’ancien franc au nouveau franc et c’est durant cette même période que la plupart des pays africains ont obtenu leurs indépendances y compris le Mali.

L’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), a été instituée par le Traité du 12 mai 1962 auquel s’est substitué celui du 14 novembre 2007. L’UMOA regroupe les huit Etats membres suivants : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo formant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui a été créée le 10 janvier 1994.

Il y a une clause de sortie du FCFA. Tout État qui le souhaite peut en sortir. La Mauritanie avait quitté en 1973, par contre le Mali a rejoint l’UMOA en 1984 et la Guinée Bissau en 1997.

Mali Tribune : en tant qu’économiste que pensez-vous des critiques que profèrent les détracteurs de cette monnaie qualifiant le CFA de servitudes et un mécanisme désuets?

M.M.M : le FCFA comporte des avantages comme des inconvénients. Si vous voyez la crise mondiale que nous venons de vivre, les pays du FCFA sont les pays qui ont connu la plus faible inflation et ont moins connu la crise économique que tous les autres Etats en Afrique. Tous les pays qui n’ont pas assez de dollars US dans leurs réserves officielles ou dont la monnaie n’est pas indexée sur le dollar se sont dépréciées en perdant une partie de leurs valeurs. Il y a des pays comme le Venezuela, le Zimbabwe dont la monnaie a perdu 99% de sa valeur entre 2020 et 2022 contre le dollar US. C’est-à-dire quand vous avez l’équivalent de 100f en dollars US en 2020 aujourd’hui ça ne vaut que 1f en termes de dollars US. Avec le FCFA si vous aviez 100f en  janvier 2022 aujourd’hui cela  peut vous procurer 85f de biens et de services en dollars US et n’a donc qui perdu que 15% de sa valeur par rapport au dollar US. Ça, c’est l’un des avantages des taux fixes de change lorsqu’on subit des chocs exogènes. Mais malheureusement nos économies sont trop soumises aux chocs exogènes et c’est un  problème récurrent pour nos pays et cela nous empêche de stabiliser nos économies. Ainsi, il devient difficile d’avoir une croissance économique forte, durable et inclusive parce que nous sommes producteurs des matières premières et nous ne transformons pas ces matières premières. Mais cela n’est pas imputable à la monnaie mais plutôt en l’absence de politique industrielle et commerciale dans la plupart de nos pays. Si vous produisiez et que vous transformiez et vendiez à l’extérieur cela ne peut que renforcer vos réserves officielles de change et votre économie. Malheureusement, 60 ans après les indépendances on n’arrive pas à diversifier nos produits, à les transformer et à les exporter ? Donc, ce sont les choix politiques et économiques qui définissent la qualité de la monnaie.. Parmi les quatre fonctions régaliennes des États, une de ces fonctions est de battre monnaie :  imprimer de billets de banques, fabriquer des pièces et les mettre à la disposition des entreprises, des ménages, et de l’ensemble des citoyens et des banques.

Le FCFA a un taux de change fixe avec l’euro puisque 1 euro équivaut à 655,957 FCFA suite à l’accord de coopération monétaire entre L’UMOA et la France. Faut-il adopter un taux de change flexible ou flottant entre le FCFA et l’euro ? Ceci pourrait permettre d’ajuster régulièrement le FCFA. Toutefois, la pandémie sanitaire de la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont engendré une inflation très importante au niveau de l’économie mondiale. Cependant il paraît important de souligner  que l’Euro et le FCFA se sont depreciés par rapport au dollar US à hauteur seulement de 15%  depuis janvier 2022 sinon toutes les autres monnaies non indexées sur le dollar US ont perdu une bonne partie de leur valeur bien supérieure à 15%. Cependant l’on peut constater que la cible de l’inflation est trop basse dans l’UMOA, c’est à dire 1-3% et  l’on devrait augmenter le seuil de l’inflation. La BCEAO estime que l’inflation ne doit pas dépasser 3% selon les critères de convergences macroéconomiques. Alors que la Banque Centrale de l’Europe qui regroupe les 28 pays de la Banque centrale européenne a une cible de 2%. Aussi, la Fédéral Réserve Bank (banque centrale) des USA a une cible pour l’inflation de 2%. L’UMOA doit-elle avoir une cible pour l’inflation de 3%? À mon avis la réponse est négative, nous devrions cibler pour l’inflation 5% voire 10% parce que cela  permettra d’augmenter les crédits à l’économie et permettre de financer les investissements et l’économie nationale sur les moyen et long termes.

Mali Tribune : en 2019 Macron avait annoncé un nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA. Quels sont les closes de ce nouvel accord ?

M.M.M : nous avons d’abord le changement de nom, le FCFA devait devenir l’Eco, la fermeture du compte d’opérations de la BCEAO auprès du trésor français est déjà acté depuis 2020, de même que le retrait des représentants français au niveau des organes de gouvernance de la BCEAO. De même, la France à travers le compte d’opérations ne garantit plus la libre convertibilité de ce compte d’opération de la BCEAO qui permettait le 50% des devises du FCFA de la BCEAO auprès du trésor français qui permettait que chaque fois que la BCEAO a besoin de l’euro. Dans le nouvel accord annoncé le 21 décembre 2019 par le Président français Emmanuel Macron et par le Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l,’UMOA, Alassane Ouattara la France devient garante du dernier ressort ; ce qui est encore plus fort que la garantie de convertibilité illimitée du FCFA en euro à travers le dépôt de 50% des devises de la BCEAO sur un compte d’opérations auprès du Trésor français.

Mali Tribune : Avec l’Eco qu’est-ce qui va réellement changer ?

M.M.M : d’abord le lancement de l’Eco a été reporté en 2027 à cause de la pandémie de la Covid-19. Il va regrouper les 15 pays de l’Afrique de l’Ouest membre de la CEDEAO. Il y aura une Banque centrale  fédérale à l’instar de la Banque Centrale Européenne (BCE) L’Eco sera une monnaie flexible pour la CÉDÉAO et elle sera arrimée à un panier des monnaies internationales. En revanche, il y aura quelques risques car nous avons des petites, moyennes et grandes économies au sein des 15 pays membres de la CÉDÉAO. Deux pays (Nigeria et Ghana) constituent 75% du PIB de la Cédéao,. Le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal représentent 90% de l’économie de la Cédéao. Il va donc falloir des mécanismes souples, flexibles et de solidarité au sein de la CEDEAO. Le principal défi pour le lancement l’Eco de la CEDEAO concernera principalement la gouvernance économique et financière du Nigeria et du Ghana parce que ces pays font actuellement face à de grandes difficultés  économiques et financières mais qui ne sont pas insurmontables.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

Source: Mali Tribune

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