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POURQUOI Y A-T-IL AUTANT DE RONDS-POINTS EN FRANCE?

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Pauline Ducamp
La France possède plusieurs dizaines de milliers de carrefours giratoires aux tailles et formes variées. Mais pourquoi cet aménagement vieux de plusieurs siècles s’est-il imposé comme un attribut incontournable des routes françaises?

Il existe sur les routes de France un nouveau type de rond-point en forme de… cacahuète. Entré en service le 7 janvier à Nozay (Loire-Atlantique), ce nouvel aménagement y remplace un croisement dangereux. 113 ans après son invention officielle en France, le rond-point se veut donc toujours un élément de sécurité routière.

Un objet routier qui date d’avant l’automobile

Officiellement, le rond-point, ou plus exactement le carrefour giratoire dans la forme que nous rencontrons le plus souvent sur nos routes, est en effet apparu en 1907. Le but de ses créateurs: limiter les accidents hippomobiles. L’architecte Eugène Hénard adapte alors à la hausse du trafic en voitures à cheval des infrastructures et axes de circulation bien plus anciens.

Dans les jardins à la française du XVIIe ou XVIIIe siècle comme dans les forêts dédiées à la chasse, des espaces circulaires servent en effet déjà à matérialiser les convergences de voies. D’où le terme « rond-point ». Eugène Hénard optimise ce système en faisant tourner les hippomobiles en cercle sur ces espaces afin d’éviter les croisements hasardeux.

L’objet ne se généralisera cependant qu’à partir des années 1970. Le carrefour giratoire version Eugène Hénard est en effet soumis à la priorité à droite, comme aujourd’hui encore l’est encore le célèbre rond-point de l’Etoile à Paris. Les embouteillages y sont donc fréquents.

« Le renouveau vient de Grande-Bretagne, où la priorité à droite n’existe pas. La priorité y est donc laissée à la voie principale, nous explique l’architecte Eric Alonzo, auteur de Du rond-point au giratoire (2005). Dans les villes nouvelles anglaises des années 50 et 60 sont apparus ces ‘round-abound’, que nous appelons les ronds-points à l’anglaise. Dans les années 70, certains territoires, notamment dans l’Ouest de la France, obtiennent l’autorisation de les expérimenter pour supprimer des priorités à droite, et surtout donner priorité à l’axe principal, et non plus aux entrants ».

La première version française du « rond-point à l’anglaise » est inaugurée en 1976 à Quimper (Finistère). Son entrée officielle dans le Code de la route est effective en 1983.

La France, championne du monde des ronds-points?

Leur généralisation date des années 80 et 90 dans des communes pionnières comme Quimper, Nantes (Loire-Atlantique) ou encore plusieurs villes en Essonne. « En 1983, avec la première décentralisation, la compétence d’urbanisme passe aux mairies, rappelle Eric Alonzo. Les régions se sont fortement urbanisées, avec de nouveaux quartiers, des zones pavillonnaires, commerciales. Quand le réseau routier est nouveau, on construit plus de giratoires qu’auparavant ».

Quitte à parfois poursuivre une véritable « course à l’armement », comme la qualifie Eric Alonzo, avec des demi-giratoires ou des doubles demi-giratoires, comme à Nantes par exemple. Fin 1994, il y avait en France 12.000 giratoires.

Difficile d’obtenir des chiffres plus récents sur le nombre de ronds-points et giratoires présents sur le territoire français. On les estime à au moins 30.000 et peut-être même 40.000. La France serait le pays champion du monde des ronds-points, même si aucune donnée ne nous permet de corroborer cette affirmation. Selon Le Figaro, l’Allemagne en compterait six fois moins.

« La France dispose aussi d’un million de kilomètres de routes sur les cinq millions que compte l’Europe, tempère Julien Vick, délégué général du Syndicat des équipements de la route. Nous avons un réseau routier très dense et pour répondre à des routes embouteillées, adresser la question des carrefours, le rond-point s’avère une solution plus efficace et moins coûteuse que les feux tricolores ».

Du culturel au politique

« Moins coûteuse », tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Comme le rappelle Challenges, le banquier Matthieu Pigasse soulignait dans un ouvrage que 6 milliards d’euros étaient consacrés chaque année en France dans la construction de ronds-points, « dont près de deux sont consacrés à la seule décoration de ces magnifiques ouvrages publics: corbeilles en rotin remplies de coquillages, vaches en plastique paissant sagement sur de faux prés, sculptures abstraites, fusées, cerfs royaux en majesté, oiseaux géants prenant leur envol… ».

Tout dépend de sa taille, mais le coût d’établissement d’un carrefour giratoire peut varier de 100.000 à plusieurs millions d’euros. Ce qui a participé à la dimension politique à ce type d’ouvrage. « Pour les maires, le rond-point peut avoir un petit côté Louis XIV, poursuit Eric Alonzo. Les Français aiment les belles routes. A une époque, chaque maire voulait son rond-point. Le giratoire a un côté technique, mais c’est aussi un aménagement à prétexte ornemental ».

En novembre 2018, le rond-point a pris une autre dimension avec la crise des gilets jaunes. D’un espace souvent jugé vide, il a été réinvesti par les manifestants. « Il a un potentiel spatial latent et visible, c’est un podium », analyse Eric Alonzo. Au plus fort du mouvement, de véritables campements avaient été installés sur ces espaces de plusieurs dizaines de mètres carré.

Un gain incontestable en matière de sécurité routière

Devenus des lieux de vie, les giratoires ont avant tout pour vocation de la préserver. C’est par exemple le cas entre Yvetôt et La Mailleraye (Seine-Maritime). Sur cette route fortement accidentogène, une étude a été menée par le Cerema pour sécuriser cet itinéraire de 23 kilomètres, où onze personnes avaient perdu la vie entre 2004 et 2008. L’installation de différents équipements routiers, dont des carrefours giratoires.

Selon le baromètre 2018 de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), « aucun accident n’a été déploré sur les zones de l’itinéraire » depuis les aménagements de 2010. La même année, un rapport de la Commission européenne soulignait que la transformation des carrefours classiques en carrefours giratoires avait pour conséquence une baisse de 41% des accidents corporels. A condition de savoir le prendre. En mai 2016, une étude à la demande de la Prévention routière révélait que 93% des sondés reconnaissaient ne pas savoir exactement où se placer dans un rond-point.

Pauline Ducamp

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