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Rokia Koné, mariage électro des dimanches à Bamako

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Sur la scène malienne où elle est devenue incontournable, la cote de Rokia Koné n’a cessé de grimper depuis près d’une décennie, alimentée par d’innombrables enregistrements in situ. Bamanan, son premier album international, est un projet audacieux qui témoigne de sa propension à sortir de sa zone de confort : tout en gardant la forme traditionnelle de son chant, l’artiste malienne a confié le substrat musical au producteur irlandais Jacknife Lee pour entrer dans un monde aux sonorités électro. Histoire d’un disque sans contact.

Les effets n’ont pas été immédiats, mais le tremplin s’est avéré efficace pour Rokia Koné, à la faveur d’un improbable enchainement d’événements. Quand la chanteuse originaire de Dioro, près de Ségou, prend part en 2016 à l’aventure des Amazones d’Afrique, elle pose une première pierre sur le circuit international. Au sein de ce collectif féminin aux allures de « all stars » emmené par ses aînées Mamani Keita et Mariam Doumbia, elle fait figure de révélation, même si dans son pays elle jouit déjà depuis quelques années d’une notoriété acquise à l’occasion de ses nombreuses prestations. “Rose”, comme on la surnomme alors sur place, a littéralement conquis la scène locale. Dans les maquis comme dans les cérémonies et soirées festives, celle qui a débuté en 2008 en tant que choriste pour le chanteur tradi-moderne Aliya Coulibaly fait sensation avec son style basé sur l’improvisation, instinctif et imprégné de sa culture bambara.

Sur les plateformes de streaming, sa discographie aussi riche qu’artisanale témoigne de cette activité incessante et de cette créativité sans limites : en cinq ans, pas moins d’une trentaine d’albums, dont la durée dépasse en général les deux heures (le plus long durant sept heures et dix-huit minutes) ! Souvent de simples captations avec des moyens limités, effectuées lors de “sumu”, ces concerts qui accompagnent à l’origine les mariages.

En parallèle, Rokia poursuit sa collaboration avec les Amazones d’Afrique, dont le deuxième album paraît en 2020, un mois avant d’être brutalement freiné par la pandémie. Pour faire vivre le projet, la chanson Love interprétée par Mamani Keita fait l’objet d’un concours de remix. Membre du jury pour départager les 500 versions, le producteur Jacknife Lee, remarqué entre autres avec U2, REM et Robbie Williams, cherche à savoir qui est le guitariste qu’il entend sur le morceau original. On lui répond qu’il s’agit de Salif Koné, considéré comme l’un des jeunes prodiges de la musique malienne. “Je me suis demandé s’il voulait qu’on fasse quelque chose ensemble et il se trouve qu’il jouait avec Rokia. C’est comme ça que je l’ai entendue chanter”, raconte l’Irlandais basé en Californie.

Sans frontière

Après avoir reçu des enregistrements de la Malienne et son guitariste qu’il qualifie de “work in progress” sur lesquels il découvre une voix “extraordinaire”, il propose de faire un essai avec un des titres. “J’étais curieux de savoir si je pouvais l’emmener ailleurs. Ça m’a pris du temps de savoir techniquement comment approcher cette musique, parce que les morceaux étaient très longs et comme je ne parle pas sa langue, je ne savais pas si je pouvais faire des coupes ici et là sans modifier le sens !”, explique le quinquagénaire. Depuis qu’il a écouté dans les années 80 l’album Night Song du Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan et du Canadien Michael Brook, il sait à quel point la musique peut s’affranchir de toutes les frontières. Travailler avec Rokia Koné s’inscrivait pour lui dans le prolongement de ce que d’autres ont fait. “Il existe une longue tradition de musique électronique africaine”, rappelle-t-il en évoquant le rôle pionnier du Nigérian William Onyeabor et affirmant que, sur le fond, sa collaboration avec la Malienne n’est “ni gratuite ni symbolique”.

Pour concevoir leur album en commun Bamanan, il a fallu trouver une méthodologie. Physiquement, l’un et l’autre ne se sont jamais croisés. Ni même parlé. Tout s’est donc fait à distance. Jacknife Lee ne voit pas que des inconvénients à cette absence de contact pendant la phase de création : sa partenaire l’aurait-elle laissé prendre un chemin qui ne lui convenait pas, préjugeant du résultat final ? En sa présence, aurait-il eu les mêmes idées ? “Je savais où je ne voulais pas aller : je ne voulais pas que ce soit de la belle musique malienne qui se transforme en house ou musique festive avec des beats. Je ne voulais pas forcer quoi que ce soit, mais que cela sonne aussi naturel que possible, que ça puisse avoir été enregistré il y a 20 ans ou dans le futur”, précise-t-il.

Sublimer la voix de la Rose de Bamako 

Sa matière première : le chant de Rokia, qu’il a isolé sur les éléments qu’on lui a envoyés, enregistrés pour l’essentiel en 2018 à Paris par le bassiste béninois Patrick Ruffino, impliqué dans les Amazones d’Afrique. Des passages de vingt ou trente secondes dans lesquels il s’immerge pendant des heures, pour essayer d’entrer dans l’esprit de la chanteuse, avant de placer ses programmations, clavier, guitare et batterie. “Je ne fais pas ça seulement avec les artistes qui parlent une autre langue”, assure-t-il. La technique, dans le cas présent, a “bien marché”, estime-t-il, prenant pour exemple N’yanyan, qui a nécessité une seule prise au micro à Bamako ce jour d’août 2020 où s’est produit le coup d’État au Mali. “Pendant que j’étais en train de l’écouter, j’ai commencé à jouer au piano et j’ai trouvé les accords qui fonctionnent. J’avais compris de quoi il était question, et je savais ce qu’il fallait”, se souvient le producteur-compositeur qui compare la démarche à “un processus de méditation”. Dans quelques semaines, ils se rencontreront enfin en France, afin de présenter sur scène le fruit de leur association. Avec ou sans mots, ils pourront vérifier qu’au-delà des intuitions, ils sont au diapason.

Source: https://musique.rfi.fr/

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