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CAN 2022: Mbappé Ier, la légende du «Maréchal» et des poteaux brisés

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C’était le premier des « grands lions », le meilleur pour Roger Milla. À l’époque où, au Cameroun et en Afrique, le football était d’abord un jeu, son maître s’appelait Samuel Mbappé Leppé. Mbappé comme Kylian, Leppé comme Pelé, le Roi, à l’envers. Un milieu de terrain génial, charismatique capitaine de la sélection dans les années 60, disparu dans la pauvreté un jour de Noël 1985. L’absence de vidéos, les récits parfois extravagants de ses coups d’éclat et sa prétendue filiation avec le champion du Monde français font aujourd’hui du « Maréchal » une légende au sens propre, un mythe fantasmé et depuis peu célébré.

De notre envoyé spécial au Cameroun (avec Christophe Jousset), 

Douala, ce 12 janvier 2022, quelques jours après le coup d’envoi de la CAN au Cameroun. Il y a foule devant le stade Mbappé Leppé. En fond sonore, clairons et trompettes annoncent l’événement : on dévoile la nouvelle statue de l’ancien capitaine des Lions indomptables, la première, installée il y a quelques années ayant été vandalisée, pour d’obscures raisons. Dans l’assistance, des anciennes gloires du football national, Roger Milla en tête, et les autorités locales.

Au micro, Samuel Eto’o, fraîchement élu président de la Fécafoot (Fédération Camerounaise de football), célèbre « la figure historique qui a inspiré le football moderne au Cameroun ». Mais 48 heures plus tard, surprise, le monument en bronze est retiré pour être peaufiné : on n’y retrouvait pas les traits du « Maréchal » et son intrigante ressemblance avec son célèbre homonyme. « C‘est son grand-père », jure Célestin, chauffeur de taxi rondelet basé à Yaoundé. Quelques minutes de marche dans les rues de la capitale, munis d’un montage photo de Kylian et Samuel Mbappé côte à côte, nous permettent de faire un rapide constat : 36 ans après son ultime retraite, rares sont les Camerounais à pouvoir mettre un nom sur le visage du « Maréchal ». En revanche, tous devinent une filiation avec l’attaquant des Bleus, dont le père, Wilfried, originaire lui aussi de Douala, est né peu ou prou au moment où s’achevait la carrière de Samuel Mbappé Leppé.
Une légende au sens propre
Vérification faite auprès de la mairie de Douala, Samuel et Kylian Mbappé seraient au mieux de lointains cousins, ou peut-être simplement deux hommes avec en commun un nom et un don.

La comparaison d’ailleurs s’arrête là. L’un est devenu riche et célèbre grâce à son talent, l’autre, à une époque où on ne vivait pas du football, est tombé, sa carrière terminée, dans la pauvreté et l’oubli. En 2016, un peu plus de 30 ans après sa mort, il reçoit tout de même, à titre posthume, la distinction de « légende africaine », décernée par la CAF, la Confédération Africaine de football. « C’est un nom dont on entendait beaucoup parler », se souvient Emmanuel Barranguet, journaliste à l’AFP et enfant de Yaoundé – il y a vécu de 6 à 14 ans, entre 1979 et 1987, plusieurs années après la fin de carrière du joueur. « Comme Leônidas le Brésilien, Mbappé Leppé est une légende qu’on n’a jamais vu jouer. Au Cameroun, la télévision n’existait pas avant 1985 et la venue du Pape Jean-Paul II », rappelle Barranguet, qui s’était fait, sans photo, mais à force de témoignages, une image du mythe : « On disait qu’il avait les jambes arquées, et qu’il était très grand, costaud, puissant, alors je le voyais un peu comme un cow-boy. Il y a une espèce de magie autour de lui, avec ce surnom de « Maréchal ». Finalement, c’est un mythe et c’est peut-être encore plus beau de ne pas avoir de document vidéo. Chacun peut se l’imaginer ».
« C’était un monument vivant »
On peut aussi facilement imaginer le rayonnement du joueur, capitaine des Lions Indomptables et de l’Oryx de Douala, la terreur du football camerounais dans les années 60. Avec ce club, il remporte plusieurs fois le championnat national, ainsi que la première édition de la Coupe d’Afrique des clubs champions, en 1965, après une victoire en finale, à Accra, au Ghana, face au Stade Malien de Salif Keita.

« Quand l’Oryx de Mbappé Leppé venait jouer chez nous, à Bafoussam, contre le Racing, le club de la ville, c’était un événement. On faisait tout pour assister au match, quitte à désobéir aux parents ou à prendre des risques », rembobine le célèbre chanteur non-voyant André-Marie Tala. « Mbappé Leppé était l’attraction, comme Salah ou Mané aujourd’hui. Je me sens privilégié parce Je l’ai vu de mes yeux avant de tomber aveugle », poursuit l’interprète du tube Je vais à Yaoundé, pour qui le « Maréchal », avec son charisme et son génie, était le « Manu Dibango du football ».

Comme le mythique Jazzman, Samuel Mbappé Leppé aurait pu, s’il l’avait voulu, faire carrière à l’international. « C’était un monument vivant. Quand on allait jouer à l’extérieur avec la sélection, les étrangers nous parlaient de lui », se rappelle avec émotion Joseph-Antoine Bell, gardien des Lions indomptables entre 1976 et 1994, « Je me souviens d’une rencontre au Congo où j’allais pour la première fois, on s’entraînait sur le Stade Félix-Eboué et les Congolais nous disaient : voilà le stade où Mbappé Leppé a cassé les poteaux. »
L’homme qui brisait les poteaux de bois
Une frappe de balle surpuissante, capable de briser les poteaux en bois (le phénomène se serait produit plusieurs fois), voilà pour beaucoup la principale caractéristique technique de Samuel Mbappé Leppé. Joseph-Antoine Bell peut en témoigner : au crépuscule de la carrière du « Maréchal », lui débute la sienne à l’Oryx de Douala. Entre les deux, une complicité se noue, l’ancien prend sous son aile le jeune espoir. « C’était un grand joueur et un grand monsieur. Il m’a appris l’humilité et la discipline. Sa grande boutade, c’était de se demander si j’aurais pu faire carrière comme gardien du temps de sa splendeur, tellement ses tirs étaient difficiles à arrêter. On parle beaucoup de sa puissance, mais Mbappé Leppé était un joueur très complet », tempère le consultant de RFI, « bon de la tête, au pied, dans la récupération, la relance, la vision du jeu, fort mais capable de finesse, et par-dessus tout un gagneur absolu ».

Un gagneur malheureusement gagné par les vices après sa carrière. Il boit et dépense trop, ne va pas toujours au travail « mais on lui pardonnait parce qu’on l’aimait et on le respectait beaucoup », précise Joseph-Antoine Bell, pour qui, sans parler d’argent à une époque où le football était d’abord un loisir, Mbappé Leppé n’a pas reçu « la contrepartie affective » qu’il méritait. Une anomalie en passe d’être corrigée, et Bell de conclure sur une anecdote : « Un jour, l’Oryx de Douala joue un match de coupe, à Buéa, contre une modeste équipe de deuxième division et peine à se défaire de son adversaire. Un penalty est sifflé, et bien sûr Mbappé Leppé le prend. Il s’avance, impressionnant, avec sa grande taille, pose son ballon, puis recule très, très loin, pour prendre beaucoup d’élan. Le portier adverse connaissait comme tout le monde cette réputation de briseur de poteaux, et il s’est dit « pourvu qu’il ne me brise pas moi ». Le temps que le Maréchal arrive jusqu’au ballon, le gardien était couché par terre (rires) donc il n’a pas eu besoin de s’employer pour envoyer le cuir dans les filets. La force et la finesse, c’était ça, Samuel Mbappé Leppé. »

rfi.fr

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