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Du Togo au rock, le parcours en stéréo d’Amen Viana

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Pour un musicien de son calibre, il flotte sur chacun de ses albums un parfum de challenge : avec son nouveau projet The Afrocanalyst, le Togolais Amen Viana au CV impressionnant a su passer au filtre de son énergie brute et de sa culture rock toute son expérience capitalisée. Lumières sur un artiste habitué à évoluer dans l’ombre, au service de chanteurs tels que Christophe Maé ou Keziah Jones.

Le monde des plateformes de streaming musical est ainsi fait qu’en deux secondes, vous pouvez accéder aux différents albums d’un artiste. Et obtenir aussitôt des indications pour le situer, avec tout ce que cela peut avoir utile et à la fois de réducteur. Mais dans certains cas, les conclusions ne s’imposent pas d’elles-mêmes. L’équation s’avère plus complexe à résoudre que prévu. Amen Viana en fournit un exemple des plus éloquents. Sur le papier – ou sur l’écran –, on frise le grand écart entre son projet de 2019 intitulé Togo : comptines, danses et berceuses aussi tranquille qu’on l’imagine, et celui de cette fin d’année 2021, The Afrocanalyst, gonflé à bloc d’une énergie rock à deux doigts de sortir du lit dans lequel elle a été canalisée.

« Je me définis dans la musique comme un caméléon ; je peux prendre une couleur ou une autre, et ça me va bien », assure le quadragénaire, dont les qualités sont unanimement saluées par ses pairs. « Certainement ma plus belle rencontre artistique de ces dernières années », dit à son sujet Christophe Maé, en marge de son concert filmé au Cirque d’Hiver. Le chanteur français l’a embarqué dans son équipe de musiciens de haut vol et l’a laissé exprimer en live ses racines, avec la même bienveillance qu’il avait pour l’accordéoniste malgache Régis Gizavo.

Vaste, le spectre des collaborations pour lesquelles le guitariste togolais a été sollicité au cours des quinze dernières années se mesure à sa discographie : près d’ »une centaine d’albums », estime-t-il, du raï de Cheb Kader au dancehall d’Admiral T, de la pop française de Vitaa ou Kendji Girac au zoblazo de l’Ivoirien Meiway. Toutes ces cultures qu’il a « brassées », ces incessants voyages effectués au sens propre comme figuré ont apporté de la matière à sa réflexion personnelle. Mais à travers quel prisme la regarder, sous quel angle la traiter ?

La réponse se trouve dans le concept même qui donne à l’album son nom : The Afrocanalyst. Définition : « Toute personne ayant vécu ou venant d’Afrique, qui en est partie pour un monde nouveau et s’est adaptée de façon positive à toutes les situations », indique Amen qui ajoute que « ce n’est ni une victime ni quelqu’un qui revendique à tort, mais avant tout un état d’esprit ». Sur la pochette de l’album, les pinces à linge qui sont fixées au bout de ses doigts symbolisent « toutes ces histoires douloureuses qu’on traine et qui sont finalement le signe de notre force », poursuit-il avant de lâcher, pudique : « Il va sans dire que mon parcours n’a pas été facile. »

Quand il utilise sur Dommage collatéral, un faux discours attribué au roi des Belges Léopold II (qui circule depuis plusieurs décennies au Congo), c’est pour « dénoncer le commerce religieux » et épingler « ces missionnaires qui ont apporté la parole de Dieu en Afrique, mais avaient une autre idée derrière la tête ». Sur A Fric no Freak – aucune référence à Ah ! Freak sans fric de Manu Dibango –, il peint un « tableau musico-géopolitique » de son continent, tandis que sur Aguegue, il cherche à « représenter de façon sonore » la panique de ceux que l’on expulse d’un jour à l’autre pour les ramener dans leur pays d’origine. « Je sais de quoi je parle. Ce ne sont pas des copiés-collés. Ces sujets me concernent de très près », explique le musicien, qui a multiplié les allers-retours entre son pays natal et la France pendant plusieurs années avant de pouvoir s’y installer en 2004.

Vraiment rock

Voilà pour le fond, la démarche. Sur la forme, il y a cette filiation revendiquée : « Je suis un enfant de Jimi Hendrix et de son énergie », affirme le natif de Lomé, la capitale togolaise. À l’origine, la prestation mémorable de l’Américain durant son Live at Monterey diffusé à la télé locale en 1986. Hendrix se roule par terre, joue avec les dents, brule son instrument… « Je ne l’oublierai jamais. Ça m’a percuté avec une intensité que j’ai encore du mal à définir. J’étais autant traumatisé que fasciné par le personnage », se souvient Amen. Le garçon de neuf ans n’en dort pas de la nuit. Le lendemain, il fabrique sa propre guitare « avec un câble de frein, une tige et une boite de lait », et s’imagine dans la peau de l’auteur d’Electric Ladyland (un titre qui lui a inspiré l’album Electric Togoland, paru en 2017).

Chaque fois que la « vraie » guitare qui fait le tour du quartier et qu’on se passe de maison en maison arrive chez lui, il ne la lâche pas durant ces quelques heures si précieuses. Le souvenir d’un grand frère musicien, populaire, très influencé par Bob Marley et décédé en 1989, alimente sa flamme. Il est encore au lycée quand il fait ses débuts professionnels avec le rockeur bluesman togolais Jimi Hope, son « mentor ». À la même époque, il lui arrive de se rendre au club So What à Cotonou, au Bénin, où joue Patrick Ruffino, avec lequel il va entretenir une complicité musicale de longue date.

Chez lui, il se fait rapidement un nom et s’illustre notamment aux côtés de King Mensah, l’un des chanteurs les plus en vue du pays. Avec son groupe Maleeka, en compagnie duquel il enregistre son premier album au début des années 2000, son répertoire se situe déjà entre le rock et l’Afrique. Une fois ses bagages posés en France, son univers se diversifie au contact de Richard Bohringer, Keziah Jones (invité sur l’album), Matthieu Chédid ou encore Angélique Kidjo, qu’il voit comme une des artistes emblématiques de l’Afrique.

À Paris, il est souvent contacté « parce qu’on a besoin d’un guitariste qui apporte une couleur africaine ». Difficile d’échapper aux clichés. Alors, il commence par donner ce qu’on attend de lui. Mais très vite, au fil des séances de studio, celui qui aime utiliser comme « signature musicale » (ici sur Back Home) le principe de stéréo sur les guitares, emprunté à son modèle Hendrix, fait d’autres propositions. « Au final, ils se rendent compte qu’ils ont eu un guitariste rock », s’amuse-t-il, conscient que son pouvoir de conviction tient en six cordes.

RFI

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