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Santé: «La médecine n’arrive pas à réduire fortement le recours aux antibiotiques»

Meguetan Infos

En France, l’agence sanitaire Anses vient d’annoncer que l’utilisation des antibiotiques dans la médecine humaine et animale avait diminué en dix ans de 45% pour l’animal, contre 18 % pour l’être humain – hors crise du coronavirus -. Nicolas Fortané est un sociologue qui travaille sur les politiques publiques de santé animale au sein de l’Institut national de la recherche en agriculture, alimentation et environnement (Inrae) : il appelle à poursuivre les efforts de manière globale.

RFI : Pourquoi questionne-t-on l’utilisation des antibiotiques ?

Nicolas Fortané : On a utilisé ces médicaments pour des raisons qui n’étaient pas uniquement médicales ou sanitaires. Une partie des antibiotiques sont devenus les pansements de systèmes de santé, de systèmes agroalimentaires qui ne sont pas soutenables, tournés vers des objectifs de performance et de rentabilité plutôt que vers une santé publique globale incluant le bien-être des animaux ou des humains.

On est devenu dépendants aux antibiotiques, une sorte d’antibio-dépendance, pour pallier aux défaillances et à la non-durabilité de nos systèmes sanitaires et agroalimentaires mondialement. Or, cette dépendance peut conduire au développement de bactéries résistantes aux antibiotiques, avec un risque d’incurabilité de certaines maladies. Certaines bactéries sont aujourd’hui résistantes, comme la tuberculose : s’il y a peu de cas en France ou en Europe pour l’instant, il y en a par exemple plus en Inde ou en Afrique du Sud.

Les deux médecines, humaine et animale, sont donc concernées ?

Dans certaines régions du monde, on a largement utilisé des antibiotiques en élevage pour augmenter la performance des exploitations agricoles. Il y a récemment eu, dans le domaine de l’élevage en Europe, une réduction importante d’environ 40 à 45%, mais ce n’est pas suffisant. Cette baisse concerne les antibiotiques dont il fallait le plus préserver l’efficacité, et des molécules plus classiques, plus quotidiennes, devraient, elles aussi, être moins utilisées.

En médecine humaine, on se souvient tous des campagnes de préventions d’il y a vingt ans, qui ont eu des effets sur les prescriptions et les usages à ce moment-là, mais cette tendance n’a pas été pérenne. Aujourd’hui, le monde de la médecine humaine peine plus à poursuivre la réduction du recours à ces antibiotiques. Il y a donc des efforts à faire du côté des deux médecines, même s’ils ne sont pas les mêmes.

Comment expliquer ces différences de rapport aux antibiotiques entre l’élevage et l’humain ?

Il y a une vingtaine d’années en Europe, une crise de santé publique a conduit à l’interdiction des antibiotiques d’élevage que l’on utilisait comme des promoteurs de croissance. En réaction à cette crise, le monde agricole et la profession vétérinaire ont su se réapproprier la question, questionner leurs propres pratiques, ce qui a permis de mettre en place des politiques publiques, des incitations professionnelles et économiques.

De manière plus large, on appréhende désormais la santé des animaux autrement, avec des approches plus préventives. Cela ne veut pas dire que l’on donne moins de médicaments : on continue, au sein des filières agroalimentaires d’avoir une vision technologisée de la production animale qui ne remet pas en question le modèle intensif et industriel de l’élevage, mais au moins ne se repose plus sur une mono-dépendance à l’antibiotique.

Du côté de la médecine humaine, il semble que les messages de santé publique ont  été moins efficaces, et la transition vers d’autres approches, d’autres manières de prendre en charge la santé, a eu moins d’effets. Les travaux généraux de mes collègues montrent que nos systèmes de santé sont dépendants aux antibiotiques, que nos systèmes d’assurance maladie et sociaux ont des objectifs de performance et de rentabilité : les patients doivent être guéris vite, retourner au travail rapidement… Dans un modèle comme cela, évidemment, le recours aux antibiotiques reste incontournable.

Comment pourrait-on, dans ce cas, continuer à réduire le recours aux antibiotiques ?

Il faut trouver les moyens de pérenniser et de généraliser la tendance en cours. Il est possible que cette tendance soit spécifique à certaines régions, certaines filières, donc il faut s’assurer qu’elle se transforme en tendance générale et homogène. Si cela a baissé si vite et si fort dans la médecine animale, c’est que l’on s’est probablement attaqué à des usages d’antibiotiques qui n’avaient pas une utilité vraiment prouvée.  Continuer à faire baisser la proportion d’antibiotiques dont l’usage est plus sédimenté, moins questionné, va demander un travail de fond. Cela nécessitera la pérennisation d’un certains nombres de mesures, qu’elles soient incitatives ou réglementaires, pour que la tendance se maintienne.

Plus largement, il faudrait aussi penser au problème des antibiotiques avec d’autres grands enjeux de l’agriculture, comme le changement climatique ou la transition agroécologique, et réfléchir sérieusement à la question des modèles de production, de circulation et de consommation des biens agroalimentaires… Sinon on se limite à des mesures cosmétiques qui ne changent rien aux problèmes de fond.

RFI

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