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Du Kurdistan irakien au piège biélorusse: «Nous en sommes à survivre sans avancer»

Meguetan Infos

Au cœur d’un bras de fer diplomatique entre Bruxelles et Minsk, plus de 2 000 personnes sont aujourd’hui bloquées entre les barbelés de la frontière polonaise et les forces biélorusses. Une grande partie est kurde irakienne.

Shaxawan est Kurde irakien. Il a grandi à Said Sadiq près de la frontière iranienne. Une fois l’université terminée, le jeune homme n’a pas trouvé de travail. Il voulait se marier, mais sans travail pas d’argent, et sans argent pas de mariage. Alors comme beaucoup d’autres de sa génération, il s’est tourné vers le seul horizon porteur d’un peu d’espoir : l’Europe.

Mais Shaxawan ne sait pas bien nager, il avait peur de mourir en mer comme certains de ceux qui tentent le long voyage en passant par la Grèce. Ses amis lui ont parlé de cette nouvelle route par la Biélorussie. L’un d’eux l’avait prise un mois plus tôt et était arrivé en Allemagne en une semaine. Il y avait bien sa cousine arrêtée par la police biélorusse avec son mari et ses enfants et dont plus personne n’a de nouvelles, mais tant qu’à choisir, il était prêt à tout pour éviter les flots noirs et glacés de la mer Égée.  Alors Shaxawan a emprunté de l’argent autour de lui pour réunir plus de 5 000 dollars. La famille et les voisins se sont cotisés pour financer cet espoir devenu si rare.
D’un côté les barbelés, de l’autre la police
Il y a une semaine, il est finalement arrivé par avion sur le continent européen avec une facilité presque déconcertante. Celui dont le prénom signifie « montagnard » en kurde affirme qu’il était « prêt à marcher des heures de nuit, à courir, se cacher, traverser des rivières et affronter les obstacles » qui se dresseraient sur son chemin. Mais ce qu’il vit aujourd’hui, il ne l’avait pas prévu. Depuis une semaine, il est bloqué entre des barbelés polonais et la police biélorusse.

« Nous en sommes à économiser l’eau et la nourriture, à survivre sans avancer, nous raconte-t-il. Moi, j’ai encore quelques dattes et un peu de pain, mais autour de moi il y a des familles de cinq, six personnes qui n’ont presque plus rien, juste assez pour une nuit. Et après que vont-ils manger ? »

Plusieurs milliers de personnes sont ainsi bloquées en pleine nature le long de la frontière polonaise. Les autorités biélorusses leur interdisent de sortir de ce périmètre pour aller acheter des provisions. Parfois, un camion arrive. « Il est toujours accompagné de caméras, ils viennent filmer pour servir les intérêts des autorités biélorusses, de Poutine ou de je ne sais qui. Mais en réalité, les camions sont à moitié pleins. Les gens repartent bredouille. Moi, en une semaine, je ne suis pas arrivé une seule fois à attraper de la nourriture. Mais bon, ça pourrait être pire, sans eux nous serions morts depuis plusieurs jours. »

La nuit, Shaxawan s’empêche de dormir, de peur de mourir de froid. « La température peut descendre jusqu’à moins sept degrés », affirme-t-il. Parmi les vidéos qu’il nous envoie, celle d’une jeune fille en tétanie, le visage bleu. Hommes et femmes s’affairent autour d’elle pour tenter de la réchauffer, l’aider à respirer, impuissants en réalité.

L’Irak, dont il a le passeport, a annoncé ce vendredi faire son possible pour identifier ses ressortissants et rapatrier ceux qui le veulent progressivement. Mais pour Shaxawan, rentrer n’est pas une option. Au Kurdistan, il ne gagnera jamais assez d’argent pour rembourser ceux qui ont investi dans son rêve. Alors, il garde le regard rivé sur « la grande muraille » que forment les forces polonaises face à eux jour et nuit. « Même si on ne me laisse pas passer ici et qu’on me force à rentrer au Kurdistan, je reviendrai, je tenterai autant de fois qu’il le faudra », assure-t-il.
« Il vaut mieux aller mourir ailleurs que de rester ici »
Au Kurdistan irakien, malgré l’inquiétude, Hajar comprend la détermination de son frère Shaxawan. « Chaque Kurde qui décide de partir en Europe sait qu’il va lui arriver des choses terribles puisqu’il voit ce qui est arrivé à ceux qui sont partis avant lui, dit-il. Mais, ici, les deux partis politiques qui gèrent le Kurdistan se sont tout accaparé. Vous terminez vos études sans trouver de travail, même pas un travail alimentaire. Il n’y pas d’argent, pas d’électricité, plus d’espoir. Il n’y a pas de vie dans ce pays, il vaut mieux aller mourir ailleurs que de rester ici. » Lui a pu se marier et fonder une famille. Il est professeur, mais comme beaucoup de fonctionnaires, il ne touche qu’une partie de son salaire et avec beaucoup de retard. Ses enfants sont la seule raison pour laquelle il ne tente pas lui aussi sa chance.

Depuis plus d’une dizaine d’années, les Kurdes manifestent contre des autorités de la région autonome qu’ils accusent de corruption. « Si vous n’êtes pas membre du PDK ou de l’UPK – les deux partis historiques du Kurdistan irakien –, vous ne trouvez plus de travail même en tant que professeur, poursuit Hajar. Et ceux qui sont embauchés en tant que fonctionnaires ne sont de toute façon pas payés. Les profs, les médecins sont devenus des bénévoles. »
Fuir une vie sans espoir

Rebwar – un nom d’emprunt pour se protéger des autorités – a lui aussi un petit frère coincé en Biélorussie. « Vous savez, parfois, ici, les journalistes disent des choses et quelques jours plus tard les gens sont retrouvés morts chez eux. »

Le jour où le frère de Rebwar est parti, toute la famille l’a accompagné à la gare routière de Souleymanieh. « Dans cette gare, presque tous les matins, il y a des familles qui font leurs adieux. Ils pleurent d’une telle manière… Personne ne pleure ainsi à moins d’avoir un proche sur le point de mourir », affirme Redwar. Tout le monde est bien conscient du risque encouru, mais les familles encouragent tout de même les candidats au départ faute de pouvoir leur offrir un avenir sur leurs terres.

Rebwar aussi a reçu des vidéos de son frère, et il en voit défiler sur les réseaux sociaux. « Ces images me rappellent 1991 quand les Kurdes fuyaient le régime de Saddam Hussein vers les montagnes iraniennes. Des morceaux de pains lancés à une foule entassée autour d’un camion, des enfants pétrifiés de froid. Aujourd’hui, les gens ne fuient pas la mort, mais une vie sans espoir. »

RFI

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