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IMMIGRATION:Migrants, la tragédie de « ceux qui restent »

La réalisatrice tunisienne Sarra Abidi choisit dans « Benzine » un point de vue inédit sur la tragédie des migrants en privilégiant « ceux qui restent ». Le film sera projeté le 1er juillet à 19 heures à l’Institut du Monde Arabe.

De « Welcome » (Philippe Lioret) à « Le Havre » (Aki KaurismaKi) en passant par « Harragas » (Merzak Allouache), la tragédie des jeunes migrants bravant la mer a déjà donné lieu à plusieurs fictions cinématographiques, mais en oubliant les familles qui, elles, ne partent pas, abandonnées à leur chagrin.

Le fils disparu
« Benzine » sublime le thème de l’immigration clandestine à travers le portrait « en creux » du fils disparu. Jamais on ne verra Ahmed, le fils chéri qui a quitté son village un matin sans crier gare, abandonnant une région déshéritée et des parents démunis pour tenter sa chance en Italie au lendemain du printemps arabe de 2011. De lui, on ne saura presque rien. Titulaire d’une maîtrise en informatique, mais au chômage (comme tous les jeunes de la région) il a choisi de quitter son village sans prévenir ses parents… Depuis, aucune nouvelle. L’attente…

Le fils est l’éternel absent de ce film tout en nuances qui se focalise sur l’immense douleur d’une splendide Mater Dolorosa. Et sur la résignation, l’inquiétude puis la révolte d’un père. Entre soumission et révolte.

Benzine (essence, en arabe)
Le titre « Benzine » (« essence » en arabe) évoque le commerce clandestin du carburant – que pratique le père – un trafic très répandu en Tunisie sur les routes qui mènent en Libye et en Algérie au coeur du trabendisme qui s’est propagé comme un incendie après la fin de la dictature. On peut y déceler une allusion aux immolations par le feu, qui se sont multipliées au cours des révolutions arabes.

C’est le personnage de la mère, Halima – magistralement interprétée par l’actrice Sondos Belhassen, qui s’impose comme le carburant de la dramaturgie. Le père, Salem (interprété par le metteur en scène Ali Yahyaoui) commence par se résigner et même par envisager de vendre la mobylette abandonnée par son fils, rutilante et dérisoire. Mais sa femme la « protège », comme elle protégerait son propre fils perdu, en la recouvrant d’une bâche contre la pluie dans un geste maternel plein d’amour.

L’infinie douleur d’Halima doit passer par la maladie et l’hospitalisation pour que son mari prenne enfin conscience, se révolte à son tour et réagisse en tentant de comprendre qui a favorisé le départ de son fils…

Deux figures de souffrance
Avec émotion, la réalisatrice s’inscrit dans les pas du couple et de sa recherche désespérées : le bureau de l’avocat, le ministère des Affaires étrangères, la tentative pour identifier le passeur et le réseau qu’Ahmed a emprunté pour son aventure. Car le père est sur la route avec son camion, revendant à la petite semaine des jerricanes d’essence, un trafic  sur lequel la police ferme plus ou moins les yeux mais qui n’est pas sans rapport avec la bande des passeurs qui lui ont volé son fils, moyennant quelques billets…

Au fil de cette dramaturgie linéaire et implacable – au tempo lancinant de cette chronique d’une mort annoncée – la réalisatrice suggère l’attente (et la lenteur du film s’impose alors comme une nécessité) mais aussi les rapports subtils et complexe d’un couple parental : les acteurs sont superbes de retenue et d’élégance mais tout aussi percutants dans leurs brutaux élans de colère et de désespoir.

Fiction, mais documentaire aussi…
Mais au-delà d’un portrait sensible c’est toute une chronique quasi documentaire d’un coin perdu de la Tunisie profonde qui émerge, par petites touches, scène après scène. Tourné en novembre 2015, au village El- Menji au gouvernorat de Gabès, Benzine a su traduire le vécu des habitants d’un village abandonné du sud tunisien : la contrebande de l’essence, mais aussi les réseaux de solidarité, le marché, les petits boulots, la désertification, l’émeute des mères qui ont perdu leurs fils et celle des jeunes chômeurs qui exigent du travail, une soirée de beuverie…

De tous ces riens bien sentis, bien filmés, émane une mélancolie humaniste et sincère, servie par une très belle image et de beaux cadres, souvent picturaux, qui nous emportent dans des paysages arides, poétiques : une mosquée plantée au milieu de nulle part comme un mirage d’espoir où va se réfugier la mère  cheminant à travers les murets de pierres sèches dans lesquels cavalent les chèvres…

Le dernier plan du film, magistral, emporte les parents vers une nouvelle que l’on devine macabre. Trop tard pour la vengeance, voilà le couple parti vers la ville lointaine sur les routes caillouteuses, inconsolable.

MondAfrique

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