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« L’Afrique ne doit pas rattraper l’Occident mais définir sa propre voie de développement »

Ingénieur agronome, auteur du livre Pour la dignité paysanne et fondateur d’Adisco, le Burundais Deogratias Niyonkuru plaide pour la valorisation de la production et de la consommation locales en Afrique. (vidéo)

« Le grand problème c’est que l’Afrique n’a jamais été décolonisée complètement. Ce sont les grandes agences de développement qui définissent les méthodes de vulgarisation et de formation parce que, pour elles, le développement signifie rattraper l’Occident, souligne Deogratias Niyonkuru. Or la réalité est encore plus grave car il s’agit en fait pour elles de proposer des méthodes qui, finalement, obligent les Africains à ne cultiver que des produits qui se vendront sur le marché international. C’est une voie détournée pour les multinationales de pouvoir contrôler l’alimentation des Africains ! C’est une volonté de conquérir un marché extrêmement important qui représente plus de 400 milliards de dollars par an pour pouvoir nourrir l’Afrique. Les acteurs du développement pensent que le modèle occidental est le bon au lieu de construire des politiques propres à l’Afrique, développées en lien avec les gens de terrain. Je me suis rendu compte que c’était une erreur, voilà pourquoi aujourd’hui je dénonce ce système catastrophique. C’est ce devoir de parler qui m’a poussé à écrire mon livre. Il faut faire en sorte que les paysans deviennent des acteurs plutôt que de sujets de développement. »

Notre rôle en tant que société civile est de faire du plaidoyer pour améliorer la gouvernance
 
Les Etats africains considèrent que « le modèle économique à privilégier est le modèle occidental : productiviste, consumériste, où un certain nombre de personnes contrôlent à la fois la politique et la finance. C’est le modèle qui leur est enseigné. Mais l’Africain arrive au point où il se renie entièrement (dans ses choix en matière de beauté, de vêtements, de nourriture livrée par Air France comme c’est le cas pour les personnes les plus riches au Cameroun). Comme si l’Afrique n’avait rien à apporter… Ce sont des modèles qui favorisent des économies d’ailleurs. C’est très grave, c’est à la fois du rattrapagisme et de l’extraversion. On crée une culture alimentaire artificielle qui a un impact politique et social. Sans se fermer à la civilisation extérieure, il faut refuser de ne se nourrir, comme c’est le cas dans la plupart des villes africaines, que de riz chinois, d’oignons hollandais, de poisson portugais ou de poulet brésilien arrivés congelés… à cause de la mondialisation. C’est regrettable, surtout dans un pays comme la RDC, où les capacités de production sont énormes et où, avec seulement quelques appuis, des personnes qui ne cherchent qu’à vivre, pourraient vraiment développer leur potentiel. »
La population doit se prendre en main, écrivez-vous dans votre ouvrage, mais le rôle des Etats est primordial…
Evidemment. Les politiques agricoles et de développement relèvent des Etats, c’est leur rôle de garantir la stabilité politique et la qualité des routes et des communications. Si non, on ne peut pas avancer. Ce n’est pas une ONG qui va créer une route ou faire en sorte que la téléphonie fonctionne. Notre rôle en tant que société civile est de faire du plaidoyer pour améliorer la gouvernance et le climat des affaires pour que le développement puisse perdurer. Mais on est très limité face à, d’une part, des dirigeants corrompus et incompétents et d’autre part, face aux appétits de l’Occident pour contrôler les richesses africaines.
 
L’instabilité politique a-t-elle déjà eu des répercussions importantes sur le travail de votre association Adisco (Appui au Développement Intégral et à la Solidarité sur les Collines) ?
Oui, malheureusement. Certaines autres organisations africaines se sont inspirées d’Adisco qui avait créé un réseau dans la région des Grands Lacs avec le Rwanda et la RDC. On avait presque une ambition africaine. En 2011 est né le Réseau des acteurs pour la promotion économique et sociale (Rapes) regroupant une cinquantaine d’organisations réparties sur une quinzaine de pays, mais cela devenait trop difficile à gérer et trop cher en termes de déplacements. L’objectif était d’organiser des échanges d’expériences pour apprendre les uns des autres. Le réseau a très bien fonctionné jusqu’en 2017 mais le conflit entre le Rwanda et le Burundi a cassé les liens.
Avant, c’était entre la RDC et le Rwanda que les relations étaient compliquées. Mais aujourd’hui, avec l’est de la RDC, on a des relations intenses, on s’inspire les uns des autres.
Entretien: Karin Tshidimba

Le début de l’entretien avec Deogratias Niyonkuru est à lire ci-dessous: La gratuité empêche les pays africains de bien se développer

Pour la dignité paysanne, Deogratias Niyonkuru, Edition du Grip*, 2018, 508 p.

Grip*: Groupe de recherche et d’information pour la paix et la sécurité

Afriquelibre

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