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Ghana : quand la diaspora africaine se reconnecte avec la terre des ancêtres

Avec le Full Circle Festival, le Ghana a lancé les manifestations officielles de « l’année du retour » initiée pour marquer les 400 ans du début de la traite transatlantique en Afrique de l’Ouest

Plébiscité pour sa stabilité politique et économique, le Ghana cherche à se placer comme destination incontournable du tourisme mémoriel en Afrique de l’Ouest. Ce tourisme répond au désir croissant des descendants d’esclaves en Amérique de remonter la trace de leurs ancêtres. Rien d’étonnant à ce que CNN intègre le pays dans sa liste annuelle d’une vingtaine de lieux touristiques à visiter. En effet, 2019 marque le 400e anniversaire de l’arrivée des premiers esclaves africains à Jamestown en Virginie aux États-Unis, soit 12 millions entre 1619 et 1860. Pour le passage au nouvel an, près d’une centaine de personnalités afrodescendantes se sont déplacées en famille à Accra pour participer au Full Circle Festival (FCF) qui a donné le coup d’envoi aux célébrations de « l’année du retour » voulue par le président du Ghana, Nana Akufo-Addo. « Nous sommes ici pour célébrer notre résilience, notre survie et nos contributions […]. Nous revendiquons notre histoire et notre présent », résume Bozoma Saint John, l’icône afro-américaine du marketing passée par Apple et Uber. Cette dernière a engagé avec l’acteur hollywoodien Boris Kodjoe, également originaire du Ghana, ce séjour pour promouvoir davantage le pays à l’international et célébrer l’héritage culturel. L’idée du FCF est venue à Bozoma Saint John à la suite d’un entretien l’année dernière avec le président Nana Akufo-Addo, qui lui avait demandé ce qu’elle pourrait faire pour contribuer à la santé du Ghana en tant que fille de la diaspora : « J’étais vraiment inspirée par ce qu’il avait dit à l’époque : tant que l’Afrique ne sera pas respectée, les personnes d’ascendance africaine ne seront pas respectées. »

Une délégation de personnalités afrodescendantes venues en nombre
De prestigieux invités de la diaspora ont ainsi pu découvrir, souvent pour la première fois, les multiples facettes de la culture ghanéenne au travers de visites, de rencontres avec des locaux et de tables rondes. Le « Black Hollywood  » était particulièrement représenté par les actrices Gabourey Sidibe, Rosario Dawson, Nicole Ari Parker, Kellee Stewart, Gillian Iliana White et son mari Michael Jai White ainsi que les acteurs Anthony Anderson et Djimon Hounsou. Parmi les personnalités afro-américaines figuraient Opal Ayo Tometi, la cofondatrice du mouvement Black Lives Matter ; Funa Maduka, la vice-présidente de l’équipe de développement et d’acquisition de contenu de Netflix Original Films ; le magnat de l’immobilier Jay Morrison ou encore le scientifique Thomas Mensah, le père de la fibre optique. Certaines célébrités afro-caribéennes du Royaume-Uni avaient fait le déplacement comme Naomi Campbell, le rédacteur en chef du magazine Vogueanglais Edward Enninful, l’acteur Idris Elba et le styliste Ozwald Boateng, tous trois d’origine ghanéenne. Présente également la documentariste et écrivaine française Rokhaya Diallo, qui décrypte son séjour : « Ce que je retiens, c’est la volonté du Ghana de se positionner comme un pays d’une richesse culturelle à voir. Je ne connaissais pas le Ghana, ce fut pour moi l’occasion de découvrir son histoire, comme le fort de Cape Coast, un moment vraiment fort. Les Américains ont été émus, souvent ils ne connaissaient pas l’Afrique et ils ont été très touchés. »
Un défi pour pérenniser l’effet de cette « année du retour » sur le tourisme
Depuis une décennie, de la visite de Barack Obama en 2009 à celle de Melania Trump en 2018, l’attention médiatique autour des vestiges de l’époque esclavagiste n’est jamais retombée. La venue du président américain, lors de sa première tournée en Afrique, avait eu des retombées économiques substantielles : le nombre de touristes en 2010 avait augmenté de plus de 30 %, passant de 698 000 en 2008 à 931 000, accompagné d’un accroissement des revenus liés au tourisme de 20 %. Inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, les forts de Cape Coast érigé par les Suédois au XVIIe siècle et d’Elmina, l’un des plus anciens construits par les Portugais au XVe siècle, étaient des lieux névralgiques du commerce triangulaire des esclaves sur la côte de l’Or. Le Ghana tire son épingle du jeu avec son soft power face aux autres pays de l’Afrique de l’Ouest qui investissent aussi dans la valorisation du patrimoine et dans les infrastructures d’accueil pour attirer davantage de touristes, comme l’île de Gorée au Sénégal, les ports négriers de Ouidah au Bénin et de Bimbia au Cameroun. « L’année du retour : Ghana 2019 » est une campagne de marketing qui cible le marché afro-américain et vise à placer le Ghana au centre des activités commémorant les 400 ans du débarquement des premiers esclavages africains dans les colonies anglaises. Déjà en 2007, lors du 50e anniversaire de l’indépendance du pays, une série d’événements avait été lancée pour célébrer l’excellence africaine en réunissant les Ghanéens et la diaspora afro-américaine.
Une volonté de renforcer le leadership du Ghana comme symbole du panafricanisme
Preuve de l’importance de l’année du retour, le ministère du Tourisme, des Arts et de la Culture supervise la manifestation avec le ministère du Développement des entreprises, en lien étroit avec le Bureau des affaires de la diaspora du Bureau présidentiel. Lors de la présentation de cette année, le directeur de l’office du tourisme ghanéen, Akwasi Agyeman, avait précisé l’état d’esprit : « L’année du retour est une année de fête pour les Africains de la diaspora. Comme Joseph dans la Bible, vendu comme esclave avant de se reconnecter à ses frères et qui a eu droit à une fête. » Le directeur a ensuite repris l’antienne adressée aux Ghanéens de la diaspora de revenir au pays pour contribuer à l’’essor de l’’économie et dissiper l’image négative du continent. Une année de commémoration émaillée par de nombreux événements comme le concert Bra Fie animé par Damien Marley, fils de l’icône du reggae Bob Marley, un sommet du retour et de l’investissement en juin, les festivals Panafest et Emancipation en juillet, le Carnaval du Ghana en novembre et le concert Afrochella en décembre. Ce dernier, la version ghanéenne du festival américain Coachella, a réuni plus de 4 000 personnes pour sa première édition en décembre dernier et a bénéficié de la visite des célébrités afrodescendantes venues pour le FCF. Suivi, juste après le nouvel an, par la dixième session ghanéenne du Modèle international des Nations unies (GIMUN) où les jeunes étudiants peuvent débattre des affaires internationales, du rôle des Nations unies et de leurs valeurs.

Des célébrités de la diaspora sous le charme ghanéen
Durant leur pérégrination, les personnalités afrodescendantes ont même eu un déjeuner de travail avec le président Nana Akufo-Addo et sa ministre du Tourisme Catherine Afeku. L’acmé de leur séjour s’est déroulé au fort de Cape Coast, à 200 kilomètres à l’ouest d’Accra, comme le relate avec émotion Ebro Darden, animateur de radio aux États-Unis : « Nous sommes rentrés par la même porte, maintenant appelée la Porte du retour, par laquelle nos ancêtres ont quitté l’Afrique. Cela s’appelait la porte du non-retour pendant des centaines d’années. N’oublions jamais que les Noirs ont survécu à la plus inhumaine et à la plus grande atrocité humaine de l’histoire. À bien des égards, nous sommes brisés mais beaucoup d’entre nous travaillent à se reconstruire spirituellement, mentalement et culturellement. » Également au programme, la visite du mausolée à Accra de l’ancien président Kwame Nkrumah, père de l’indépendance et panafricain comme W. E. B. Du Bois, l’intellectuel afro-américain qui renonça à sa citoyenneté américaine et devint citoyen ghanéen. Des sorties plus légères ont permis au groupe de découvrir les labels de luxe ghanéens comme Christie Brown, Ophelia Crossland et Velma Accessories ou la marque de cosmétique R&R Luxury.

L’acteur hollywoodien Michael Jai White et Bozoma Saint James ont aussi reçu des titres honorifiques lors d’une cérémonie traditionnelle à Akwamufie, la capitale du royaume d’Akwamu, présidée par l’Akwamuhene Odeneho Kwafo Akoto III. L’enthousiasme de la délégation à la suite de ce séjour est résumé par ce commentaire de Mike Hill, animateur sur Fox Sports : « Je ramène sans aucun doute beaucoup de Ghana avec moi aux États-Unis. C’est tellement incroyable ici  ! Je vais certainement investir mon temps et mon argent dans ce pays à l’avenir.  »

Source: lepoint

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