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ÉDUCATION : LES ÉCOLES PUBLIQUES A LA RECHERCHE D’UN SECOND SOUFFLE

La violence prospère, impunément, dans l’espace scolaire, au vu et au su de tout le monde. Comme si personne n’en a cure. Pourtant l’école est notre seul vivier de cadres pour demain.

Un matin de novembre dernier, il était 9H30 quand nous nous dirigions vers la direction d’un établissement scolaire, précisément à« Magnambougou-projet C ». Sur la terrasse, se trouve un fauteuil bourré brinquebalant.

Des graffitis malsains sur le mur s’imposent à la vue du visiteur qui franchit le seuil du bureau de l’administration. Sur ces entre faites, un homme de teint clair, à la stature imposante, vient à notre rencontre. C’est Nouhoum Doumbia, le directeur de l’établissement scolaire. Drapé dans un boubou de pagne wax, il conduit notre équipe de reportage à l’intérieur du bâtiment délabré. Affiches et photos décorent son bureau par endroits. Le mur totalement décrépi n’est pas ce qui préoccupe principalement le pédagogue.

Il se soucie plutôt de l’insécurité et de comment éradiquer le phénomène dans son établissement. M. Doumbia explique le calvaire qu’il vit.Des délinquants impénitents qui ont pignon sur rue, ont introduit la violence dans l’espace scolaire et squattent une classe, au grand dam de l’administration scolaire. « Ils cassent les fenêtres que nous réparons chaque fois. Ils sont quasiment là chaque samedi, aux environs de 9h et restent jusqu’à 13h pour fumer le joint (du chanvre indien). Parfois, ils font sortir les enfants qui n’ont pas terminé leur cours».

L’école de Magnambougou-projet est surveillée par un seul gardien. Insuffisant ! Les multiples tentatives de l’administration scolaire auprès de la mairie pour avoir un deuxième gardien sont restées vaines. A en croire le directeur, le renforcement de la surveillance permettra de débusquer les bandits mais surtout d’empêcher les jeunes d’utiliser la cour de l’école comme un terrain de football. Mais l’enseignant garde espoir. Il se réjouit des appuis des Comités de gestion scolaire (CGS) à sa requête de disposer d’un autre gardien pour son établissement. L’effectif est raisonnable au niveau de son premier cycle. Mais l’établissement souffre en début d’hivernage, notamment entre mai et juin où les cours se font parfois sous la pluie. Ce qui est contraire à la pédagogie.

LE BON VIEUX TEMPS RÉVOLU – Nostalgique des années où la gestion des écoles publiques était directement du ressort de l’Etat, notre inter locuteur ne peut s’empêcher de faire une comparaison avec la gestion décentralisée des écoles par les collectivités territoriales. « Il y a une très grande différence entre les deux époques. L’école était surtout mieux entretenue », explique-t-il. Pour lui, les édiles ne foulent que rarement le sol des établissements scolaires. Ils ne viennent encore moins s’enquérir de la situation des écoles. Mauvaise foi ou négligence coupable ? La question demeure.

Nombre d’établissements partagent les mêmes difficultés  à quelques différences près. Le Groupe scolaire Moriba Traoré de Niamakoro vit aussi des jours difficiles. Oumar I.Touré, directeur du premier cycle C dans ce groupe explique que son établissement est envahi le soir par les jeunes du quartier.

« Il est difficile de tenir les cours de l’après-midi car les jeunes du quartier nous perturbent avec des activités extrascolaires comme les matches de football, lescourses de chevaux et, dans le pire des cas, les rodéos en moto avec descasse-cou. Les jeunes élèves sont les victimes de ce désordre. Mais le Comitéde gestion scolaire (CGS) et la municipalité restent indifférents à l’appel despédagogues pour mettre fin à ces pratiques dans l’espace scolaire, notamment aumoment des apprentissages dans les classes. Oumar I. Toure et ses collègues serésignent.

Le groupe scolaire Moriba Traoré est bâti sur un terrain de trois hectares. Il compte plus de 3000 élèves et 80 enseignants pour un seul point d’eau potable. L’établissement est, paradoxalement, surveillé par un seul gardien et n’est donc pas à l’abri de pillages des délinquants. « Ils viennent  enlever les portes et voler les tables bancs », signale notre interlocuteur. L’insuffisance de points d’eau pose problème. Mais la situation se complique davantage avec les coupures d’eau. Toute la semaine, l’eau n’est disponible qu’une seule fois, selon le directeur du premier cycle C avant d’ajouter, désabusé, qu’il n’y a pas non plus d’électricité dans son établissement. Notre interlocuteur, qui ne fait pas dans la langue de bois, incrimine la gestion des membres du comité de gestion.« Nous n’avons pas un CGS digne de ce nom. Ses membres viennent juste se partager le fonds d’Appui direct à l’amélioration des rendements scolaires(ADARS). Pourtant, ces ressources sont destinées à l’achat de matériels didactiques, notamment la craie, les règles et compas, entre autres »affirme l’enseignant.

DE L’EAU, DE L’ELECTRICITE ET DES MAITRES – Les japonais ont refait l’établissement et l’ont doté de douze nouvelles classes. Mais  l’état de délabrement de certaines anciennes salles de classe fait froid dans le dos. « Quand il pleut, nous sommes obligés de regrouper les enfants dans un coin. Les tôles sont défectueuses », souligne M. Touré. Il ajoute, joignant le geste à la parole, qu’il suffit de lever la tête pour voir le ciel. Il en appelle à l’accompagnement des partenaires et autres bonnes volontés pour l’approvisionnement suffisant en eau potable mais aussi l’électrification de son établissement. Le groupe scolaire Mamadou Konaté est constitué de 6 premiers cycles. Selon Soumaïla Traoré, directeur de Mamadou Konaté B, il y a une insuffisance d’instituteurs à son niveau. Quatre enseignants officient dans cet établissement là il en faut six. L’établissement fusionne parfois les classes et parfois le directeur lui-même assure les cours.

Une Organisation non gouvernementale (ONG), a apporté un véritable bol d’air à cette école, notamment dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable. Elle y a installé un château d’eau pour soulager élèves et enseignants. Pour ce qui concerne l’électricité,l’établissement a moins de souci à se faire puisque l’épouse du président de la République, Mme Keita Aminata Maïga y a installé des panneaux solaires.

Cependant, aussi invraisemblable que cela puisse paraître,« depuis 2015, nous n’avons pas reçu de nouvelles dotations en livres », signale le responsable de ce groupe scolaire avant de préciser que ce célèbre établissement scolaire a accueilli d’illustres noms, notamment Mamadou Konaté (illustre homme politique et un des pères fondateurs de l’US-RDAd’alors), Modibo Keita (premier président du Mali indépendant), Sira Diop (unefigure de la lutte pour l’émancipation des femmes dans notre pays) et tant d’autres personnalités historiques. Tous sont passés par cette école qui ne devrait vraiment connaître de telles insuffisances.

LES COMMUNES SE DEFENDENT – Abdallah Diarra, maire chargé de l’éducation, de la santé et des jumelages à la Commune VI explique que les établissements scolaires publics relèvent des autorités communales. A en croire cet élu municipal,l’insuffisance de ressources financières est un obstacle majeur. « Le transfert de compétences, dans le cadre de la décentralisation, n’a pas été accompagné par celui de ressources. Nos ressources financières ne nous permettent pas de faire face à certaines préoccupations des établissements scolaires », dit-il. Il ajoute aussi que les recettes obtenues grâce aux taxes sont insuffisantes faute de recouvrement efficace. Il estime, du bout des lèvres, que la démocratie est passée par là. Les populations ne s’acquittent plus convenablement des taxes de développement. Se prononçant sur l’insécurité dans les établissements scolaires, Abdallah Diarra et ses collègues comptent trouver des méthodes plus efficaces contre ce problème. « Il y a moins de deux semaines, nous avons tenu une réunion avec les commissaires de police ainsi que les deux commandants de brigade de notre commune pour leur demander de nous dégager des stratégies de sécurisation des écoles publiques », révèle M.Diarra.

Par rapport à leur relation avec les autorités scolaires, le conseiller municipal a expliqué qu’ils travaillent en étroite collaboration avec les quatre Centres d’animation pédagogique (CAP) de la Commune VI.« Ceux-ci nous informent de tous les problèmes scolaires qui prévalent dans les différents établissements ».

Sur la dilapidation du fonds ADARS par certains comités de gestion, le conseiller municipal balaie d’un revers de la main la question. Il explique que ces allégations pourraient venir de directeurs mécontents du fait que les textes attribuent la gestion de ce fonds à ces comités.  En outre, il exhorte les parents d’élèves à une plus grande implication dans l’amélioration des conditions de travail de l’administration scolaire. « Ceux-ci doivent appuyer les collectivités territoriales en vue de créer un meilleur cadre d’études pour les élèves », indique-t-il.

Combien de cadres sont passés par ces écoles publiques? Il est difficile d’en déterminer le nombre mais tous doivent leur formation à ces établissements scolaires qui ont, aujourd’hui, besoin d’un élan patriotique pour retrouver un second souffle. Autrement, ils continueront d’afficher cet air d’orphelin désemparé.

Mohamed D. DIAWARA

L’Essor

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