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ECONOMIE AFRICAINE : DE LA RECESSION A LA DEPRESSION ?

L’heure est grave. Deux vagues séismiques éprouvent le monde. L’un (sanitaire) est la cause de l’autre (économique). Depuis la peste (Peste Justinien du 5e siècle, Peste Noir du 14e siècle), en passant par le Cholera (1854) aux Grippes Espagnole (1918) et Hong Kong (1968) jusqu’à l’apparition du SRAS (2002), les pandémies au travers l’évolution de l’humanité ne cessent de bousculer l’ordre politico-économique et social. Le Coronavirus, connu sous le vocable du Covid19, au rythme de son contexte d’évolution à la fois incertain et risqué, ne présage pas une volonté de faire exception.

En effet, les marchés financiers, considérés comme étant ceux qui permettent à l’économie réelle de financer ses activités, dans ce contexte pandémique doublé de guerre commerciale entre la Russie et l’Arabie Saoudite sur le prix de pétrole, ont déjà montré des signaux de stress. De la Grande Dépression (1929) à la crise de Subprimes (2008), le fonctionnement de l’économie mondiale a suffisamment démontré la sensibilité de la sphère réelle aux variations de la sphère financière.

Les puissances économiques, notamment la Chine, l’Amérique et l’Europe, ont déjà revu en baisse leur prévision de croissance pour l’année 2020. Rien ne sera comme prévu dans l’exécution des budgets des nations. Dans ce méandre d’évolution incertain pour les économies, qu’en est-il pour l’Afrique ?

Le Covid 19 à l’aune de l’augmentation des dettes publiques…

En observant le rythme de propagation du virus, tout laisse augurer que l’Afrique qui ne compte aujourd’hui de façon estimative que 500 cas confirmés repartis sur plus de 30 pays, doit davantage se préparer pour faire face à une possible évolution brusque, qui risque de mettre les systèmes sanitaires dans l’abime, déjà dans le précipice pour la plupart des pays.

Se préparer en achetant des masques, des lits de réanimation, des gants, des gels hydro alcooliques, mais aussi et surtout former et motiver le personnel soignant et le rapprocher le plus des populations, et financer les projets de recherche de vaccin. Cela se traduit par une hausse des dépenses dans un contexte où les recettes sont à la traine à cause de la récession à laquelle nous commençons à assister. Pire, ces recettes pourront baisser pour relancer l’activité économique. Cela gonflera le déficit qui est un flux, et par effet de causalité la dette, qui est un stock (la somme des déficits sur plusieurs années).

Les Etats d’Afrique, depuis un demi-siècle, présentent un solde budgétaire structurellement déficitaire, qui ne cesse d’envenimer leur dette (en moyenne 47% du ratio Dette/ Produit Intérieur Brut). Dans cette situation compliquée, c’est la population qui vit dans la précarité qui sera la plus touchée. Il convient d’opérer une réorientation du budget des dépenses publiques vers le secteur de la santé et de la sécurité sociale. Cette pandémie va davantage creuser les dettes, et contribuer à de plus en plus hypothéquer l’avenir de la génération future, puisque c’est elle qui doit solder le compte.

Le Covid 19 et la balance commerciale…

La Chine, deuxième puissance économique mondiale avec 1, 4 milliard d’habitants, constitue l’un des marchés de consommation les plus porteurs. Face à cette grande demande, elle importe plusieurs matières premières (produits agricoles, pétrole, bois, etc.) de l’Afrique afin de répondre à ses besoins d’offre de produits finis. Sauf que depuis Janvier, le malheur du Covid19 pousse cette économie au ralenti. Plusieurs usines sont fermées.

Des pays exportateurs de pétrole, comme l’Algérie, l’Angola, le Congo, ou encore le Nigéria, assistent à une chute brutale non seulement de la quantité exportée, mais aussi du prix (20 dollars le baril, soit une chute de 60% en comparaison avec le début de l’année, jamais enregistrée depuis la crise du golfe en 2003.). D’autres pays exportateurs de mentirai de fer comme l’Afrique du Sud, la Guinée ou encore la Mauritanie ont vu le prix de ce produit chuté de 8%. La baisse du prix du café et de sa quantité exportée impacte également des pays exportateurs de café, comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana. Les quantités exportées du nickel malgache et du cuivre Ougandais ont aussi baissé.

Il convient de rappeler que les économies Africaines demeurent globalement à leur phase d’insertion primaire, et donc ont comme recettes d’exportations principales, celles issues de la vente des matières premières. Ce qui, de facto, conditionne fortement la situation de leurs balances commerciales aux tempêtes des prix de ces produits bruts. Une chute des prix, de la quantité vendue ou des deux, engendre par une relation de causalité, des déficits de la balance commerciale.

Cette dernière, étant un élément constitutif du Produit Intérieur Brut, toute augmentation du déficit commercial risque de causer la baisse du PIB. Ce PIB étant l’indicateur de mesure de la croissance économique, toute diminution de ce dernier induit la baisse de la croissance économique. Lorsque la croissance baisse, la richesse nationale baisse, et donc le bien-être économique.

De la fermeture des frontières aux ruptures des stocks ?

La brutalité avec laquelle le virus se propage depuis plus d’un mois a poussé les Etats à fermer leurs frontières afin de réduire les mouvements. Cette fermeture, à terme, provoquera une diminution des mobilités des personnes, mais aussi et surtout, des biens, des services et des capitaux. Du courant de pensée néoclassique, « la rareté d’un bien, ou d’un service fait sa valeur ». L’Afrique demeurant un continent qui dépend du reste du monde pour son alimentation, verra son stock de produit alimentaire diminué.

Cette diminution présentera une opportunité d’augmenter les prix pour les vendeurs. L’inflation se traduira par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, et donc de la consommation. Une autre cause de rupture de stock peut se découvrir dans la volonté des ménages de se prémunir contre une évolution brusque du virus en procédant à des achats leur permettant de faire des surstocks chez eux. Dans l’un comme dans l’autre cas, il convient que les politiques publiques d’approvisionnement soient exécutées pour éviter des ruptures de stocks, source d’inflation.

De la Récession à la Dépression ?

Durant une période de pandémie, les agents économiques vivent au ralenti. Les mesures de prudence, qui vont jusqu’au confinement le plus strict, font planer de l’incertitude sur les prévisions de consommation et de production. La croissance économique du continent Africain attendue pour 2020 est revue à la baisse, passant de 3,2% à 1,8%.

L’investissement, outil de relance économique à horreur de l’incertitude. Plus l’avenir est brouillé, moins l’agent investisseur est tenté d’engager son capital. Sans cet investissement, l’emploi ne se crée pas et le chômage augmente. Une hausse du taux de population active n’ayant pas d’emploi se traduit par une baisse de la consommation globale finale. Et comme consommation et production s’impliquent mutuellement, la baisse de la première cause celle du deuxième.

Si l’incertitude est maitrisée sur une courte période (3 mois à une année), les conséquences sont conjoncturelles, et donc la crise se traduira par une récession (ralentissement sur une courte période de la consommation, de la production et de l’investissement). Si le contexte d’évolution de l’incertitude s’inscrit dans une longue durée (plus d’une année), les conséquences sont structurelles, et donc il s’agira d’une dépression (ralentissement grave, durant une longue période de la consommation, de la production et de l’investissement). Le Covid 19 à ce stade, ne rassure ni pour l’un, ni pour l’autre : UNE INCERTITUDE QUI REND LA VIE ECONOMIQUE IMPOSSIBLE !

Favoriser le made in Afrique pour circonscrire le mal ?

L’interdépendance des économies, au niveau mondial, démontre aujourd’hui sa vulnérabilité extrême aux variations d’un secteur (santé) qui, désormais, doit davantage influencer de façon profonde les politiques économiques des Etats. Selon les statistiques officielles, 94% des médicaments consommés en Afrique sont importés. Le continent débourse 35 milliards de dollars chaque année pour importer des produits alimentaires (statistique Banque Africaine de Développement). Seulement 2% des exportations mondiales en produits finis sont réalisées par les pays Africains. Cette tragédie sanitaire, bien que malheureuse, doit « vitaliser la réflexion » pour ainsi paraphraser le Philosophe et Anthropologue Français de la Complexité, Edgar Morin.

Elle constitue une opportunité pour les pays du continent afin de créer des chaines de valeur dans différents secteurs pour soutenir la croissance économique au profit du bien-être collectif partagé. Cela doit passer par le fait de repenser nos politiques industrielles à travers la mise en place et l’exécution d’une vision stratégique à l’échelle continentale, qui aura comme fil conducteur, un secteur industriel diversifié, soutenu par les matières premières du secteur primaire. Mais aussi, les politiques d’éducation doivent s’adapter à ce contexte évolutif et incertain.

L’industrie a comme moteur de fonctionnement le capital humain (ensemble de compétences, d’atouts, d’expériences, de connaissances, d’aptitudes, de qualifications qu’un individu peut avoir). La gouvernance institutionnelle se doit d’être de bonne qualité et les capacités de coordination des politiques publiques à la hauteur. Le gaspillage des ressources publiques, la privatisation de l’appareil étatique au profit d’une bande organisée entre copains, l’irresponsabilité de certains agents de l’Etat doivent cesser.

L’humanité, à travers des siècles, a toujours combattu des pandémies. Ces dernières ont toujours influencé l’ordre établit. Dans la phase de prévention, comme dans la gestion d’après, l’Afrique se doit d’avoir un plan qui lui permettra d’assurer l’avenir de la génération future. Pour cela, le Politique doit davantage écouter le Chercheur.

Khalid DEMBELE

Source: Bamakonews

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